1982-1985 De Hi-Toro à l'Amiga 1000
1982-1985 : De Hi-Toro à l’Amiga 1000
Dans cette partie il va nous falloir revenir un peu en arrièrepour examiner comment s’est passée l’acquisition d’Amiga par Commodore.J’ai préféré séparer cela de la partie précédentepour une simple question de lisibilité, le maelström dans lequelest plongé Commodore en 84-85 étant déjà assez compliquéen lui-même pour en rajouter une couche. ;)
Revenons un moment en 1982, sur une toute jeune entreprisecalifornienne de jeu-vidéo qui vient juste de se fonder à SantaClara: Hi-Toro. Le fondateur originel est Larry Kaplan,un ex-employé d’Atari ayant quitté la firme pour fonderun des éditeurs les plus marquants du jeu-vidéo, j’ai nomméActivision. Mais il est frustré par le marché qu’il trouvestagnant et souhaite créer une nouvelle boîte. Son ami et ex-collèguede travail, Jay Miner, lui présente trois dentistes, prêts àinvestir 7 millions de dollars dans un marché du jeu-vidéo alorsen plein essor. Kaplan quitte alors sa position de vice-président d’Activisionpour fonder Hi-Toro. Il recrute Dave Morse, jusqu’alors vice-présidentde la division marketing de Tonka, au poste de chef des ressourceshumaines. Mais les choses avancent trop lentement pour l’impatient Larry Kaplanet diriger un business ne l’intéresse plus, aussi quitte t’il rapidementson poste.
Jay Miner
Dave Morse recrute alors Jay Miner, lui aussiest un ex-employé d’Atari. Brillant ingénieur, il avaitdéjà travaillé sur la VCS 2600 et les Atari400 et 800. Il quitte Atari, où il s’ennuie, suiteau refus de celle-ci devant son idée d’un ordinateur 16 bits. Atariest très content de sa position de leader et ne veut certainement prendrele moindre risque. Il rejoint Hi-Toro après avoir brièvement officiécomme concepteur de pacemakers dans l’industrie médicale. Parce qu’ilest à la base de la géniale architecture matérielle del’Amiga, l’homme à l’air jovial sera le personnage emblématiquede toute une communauté, presque une icône.
Hi-Toro va d’abord se faire connaître par la créationde jeux-vidéo pour la VCS 2600 et surtout par la conceptionde périphériques de jeux originaux. Le plus célèbreest le Joyboard, sorte de joystick sur lequel le joueur s’assoit.Toujours est-il que la conception de périphériques n’est pas lavocation voulue de Hi-Toro. Cela ne doit servir qu’à financer le développementdu mystérieux Projet Lorraine (nommé ainsi carc’est le prénom de la femme de Dave Morse).
Car Jay Miner n’a jamais oublié son ambitionde créer un ordinateur 16 bits et le Lorraine doit en êtrel’aboutissement. Disposant d’un lecteur de disquettes 3,5 », le Lorrainedoit être la machine la plus puissante possible. Pour cela, il sera architecturéautour d’un Motorola 68000, accompagné des fameux customschips qui seront progressivement conçus et qui auront pour rôlede s’occuper de tâches dédiées, déchargeant ainsile processeur.
Fin 1982 s’impose un changement de nom. En effet, plusieurscompagnies internationales, dont un important transporteur japonais, portentun nom trop proche et il s’agit de se différencier. Jay Miner ne souhaitaitpas un nom d’ordinateur (comme CMXZ-25-UE :o) ). D’abord parce que ce n’estpas très facile de s’en souvenir, ensuite parce que le Projet Lorrainedoit rester secret. Il est alors choisi une appellation qui se veut amicale,Amiga Corp (amiga signifiant amie ou petite amie enEspagnol).
RJ Mical
Dale Luck
Mais l’année qui suit s’annonce difficile alors quele marché connaît ses premiers grincements. L’argent part trèsvite chez Amiga, englouti dans un projet si ambitieux. D’autant que l’entrepriserecrute de nombreux ingénieurs, notamment pour le développementsoftware. Parmi les nouvelles recrues, on compte sur Dale Luckqui dirige l’équipe développant le système d’exploitationet sur RJ Mical, créateur d’Intuition,le système d’interface graphique de l’Amiga (la partie graphique de cequi sera le Workbench). Enfin Carl Sassenrath(futur concepteur du langage Rebol) s’occupera de concevoir le multi-tâchedu système d’exploitation. Jay Miner s’occupe pour sa part de la partiehardware, avec son équipe, et notamment de la conception descustomchips qui est à peu près achevée en Septembre 1983.
Le Lorraine. Chacune des cartes sur le côté contient un élément du chipset.
- au CES de Chicago. Ce n’est certes pas l’apparence de la machine qui va impressionner
- elle est composée de 4 cartes, sans aucun boitier et la légendedit que trois quart d’heure avant le début du show, les ingénieursétaient dessus avec le fer à souder, la machine refusant obstinémentde booter… Un vrai prototype quoi! ;) Mais finalement tout se passe correctementet le public découvre médusé la « Boing Demo »,une démo conçue par RJ Mical et Dave Luck. Une boule blanche àdamier rouge s’anime et rebondit sur l’écran d’une manière fluide,du jamais vu! Le CES est plus qu’un succès, c’est une consécration.
n d’une manière fluide,du jamais vu! Le CES est plus qu’un succès, c’est une consécration.
Mais Amiga est dans une situation financière, on s’endoute, critique. Les 7 millions de dollars initiaux ont été dépensésil y a bien longtemps et la vente de leurs produits était largement insuffisantene serait ce que pour payer les ingénieurs qui ont pour la plupart travailléde façon bénévole. Refinancer la boîte étaitdéjà critique, alors produire les machines était hors dequestion. Seul moyen, rejoindre un grand groupe qui a les finances nécessaires.Un appel d’offre est donc lancé : Sony, Apple et Silicon Graphics entreautres sont sur les rangs mais les négociations échouent. Restel’offre d’Atari, fort peu enthousiasmante : un prêt d’un millionde dollars à rembourser… sur un mois. Que se passe t’il si l’argentn’est pas remboursé à temps? Amiga serait rachetée au prixde 3$ par part. Atari, fraîchement rachetée par Jack Tramiel, savaitpertinemment que cette somme, Amiga ne pourrait jamais la rembourser, et aufur et à mesure que le mois passait renégociait un accord déjàbien avantageux… A la fin du mois, le prix de rachat des parts est tombéde 3$ à… 0.98$!
L’équipe complète d’Amiga en 1985
Evidemment pendant ce temps, chez Amiga on cherche une solutionà cet accord calamiteux.Cette solution, elle viendra de Commodorequi aligne sans discuter un prix de 4,25$ par part avec des garanties et uneavance d’un million pour rembourser Atari à temps… Il faut dire quechez Commodore, on cherche un peu ce qui va sauver la boîte dans toutesles directions. Le 15 août, deux jours avant l’échéance,Amiga se libère d’Atari et est incorporée dans Commodore.
On s’en doute, Atari n’est pas trop content de cedénouement et intente un procès visant à briser l’accordentre Commodore et Amiga et réclamant 100 millions de dollars de dommageset intérêts pour rupture de contrat. Affaire rejetée en1988. Tramiel fulmine et cherche sa revanche. Pourtant, tout laisse àpenser qu’Atari n’a jamais eu la volonté de commercialiser lamachine. Seul le concept des custom chips l’intéressait.
Commodore va aligner 27 millions à l’améliorationdu Lorraine (notamment la miniaturisation des chips) permettant le 23 Juillet1985 la présentation de la première machine Amiga au Lincoln Centerde New York : l’Amiga 1000. Chez Commodore, on est nombreuxà voir dans l’Amiga le futur de l’entreprise aussi met on les petitsplats dans les grands. Andy Warhol et Debbie Harry(la chanteuse de Blondie) sont là pour faire le show et on sait que lepionnier du Pop-Art sera longtemps un utilisateur de l’Amiga.
Voyant en profondeur à quoi ressemble la machine :L’Amiga 1000;void(0);)Cliquez sur l’image pour l’agrandirCPUMC 68000@7,14Mhz (PAL) ou @7,38Mhz (NTSC)RAMAgnus : 256Ko puis 512 Ko de Chip RAM (dont 256 réservés au Kickstart), extensible à 8,5Mo.ROM8Ko (seulement un bootstrap, Kickstart en ROM en option)ChipsetOCSGraphismesChip Denise: jusqu’à 320x220 en 32 couleurs parmi 4096, jusqu’à640x240 en 16 couleurs. Jusqu’en 768x512 en mode entrelacé overscanMode EHB : 64 couleurs affichables en simultanée (modèleseuropéens tardifs)Mode HAM-6 : jusqu’à 4096 couleurs en simultanée àl’écran (modèles européens tardifs)4 sprites gérés simultanément en hardware d’une taillemaximale de 80x200Scrollings câblésBlitterCopper SonChip Paula : 4 canaux sur 8 octaves en stéréoMédiasDisquettes 3,5 » 880KoOSKickstart 1.0 à 1.3, Workbench 1.xProduction1985 - 1987
Il est nécessaire d’expliciter un peu l’architecturematérielle de l’Amiga tant celle-ci est originale à l’époque.Attention, c’est technique! ;)
La machine est architecturée autour du puissant microprocesseur32 bits Motorola MC 68000@8Mhz. Pour une question de synchronisationavec le chipset, sa fréquence est cependant rabaissée à7.14 Mhz sur la machines PAL et à 7.38Mhz sur les machines NTSC.Le processeur, quoique 32 bits ne peut échanger les données avecle reste de l’architecture qu’en 16 bit, une machine intégralement en32 bits aurait été beaucoup trop coûteuse. C’est pourquoion parle d’ailleurs de machine 16/32 bits.
La principale caractéristique de l’Amiga au niveau physiqueest ce qu’on appelle le chipset, c’est-à-dire un ensemblede puces ultra-spécialisées conçues pour traiter certainesdonnées et ainsi décharger le microprocesseur. Le chipset qu’ontrouve dans l’Amiga 1000 est nommé OCS (OriginalChip Set) et il est composé de différents processeursportant chacun un prénom, dans la lignée du nom Amiga. Trois pucesont une importance importance particulière :
- Agnus est chargé du contrôle de la mémoire,qui se divise en deux types : la Chip et la Fast.La Chip RAM porte son nom parce qu’elle est partagée entre le processeuret le chipset. Agnus gère jusqu’à 512Ko de Chip. La Fast-RAMest une mémoire rapide (d’où son nom) se branchant sur unslot d’extension et n’est accessible que par le 68000. Eventuellement, ona pu voir en vente de la Slow-RAM, moins rapide et moinschère mais officiant de la même manière que la Fast.En ce qui concerne l’Amiga 1000, il est livré avec 512Ko de Chip,mais seuls 256Ko sont disponibles pour l’utilisateur. Agnus gèreégalement les 25 canaux DMA.
- Denise gère l’ensemble de l’affichage. Les 32couleurs affichables simultanément à l’écran en basserésolution sont au-dessus de tout ce qui existe et l’Amiga peut setarguer de gérer de nombreuses résolutions, multipliéespar la possibilité d’afficher en mode entrelacé, doublantainsi le nombre de pixels affichés, au prix d’un scintillement trèsdésagréable. Les derniers modèles européensdisposeront de deux modes supplémentaires : le mode EHB(Extra Half Brite) permet un affichage de 64 couleurs simultanées.Le mode HAM-6 (Hold & Modify) autorise quand à lui l’affichaged’images statiques en… 4096 couleurs simultanées!
- Paula se charge de la restitution sonore sur 4 voies.La restitution sonore, d’excellente qualité, fera de l’Amiga la machineoù apparaîtra le **soundtrack **(méthodeconsistant à ne disposer que d’une note pour un instrument, les autresnotes étant générées en modifiant certains caractèresde la note dont on dispose, notamment la fréquence). Paula est égalementle contrôleur du lecteur de disquette.
A cela il faut ajouter le Blitter et le Copper, tous deux contenusdans Agnus. Le blitter est chargé de déplacerde manière efficace des blocs de mémoires rectangulaires. Outrele fait qu’il libère le processeur de cette tâche, il est capablede le faire trois fois plus vite que le 68000 et ce, de manière asynchrone(pas besoin d’être synchronisé avec le processeur qui a alors lesmains totalement libres). Quand au Copper (Co-Processor),il est spécialisé dans la manipulation d’objets graphiques. Cesobjets graphiques peuvent être dans une autre résolution que cellede l’écran. D’abord conçu pour la gestion des fenêtres,le Copper permettra à l’Amiga d’afficher des animations d’une grandefluidité par l’emploi des « copper scrolls » par exemple.Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’Amiga est leseul ordinateur à utiliser le copper. Aucune carte graphiquen’a jamais repris ce concept pourtant efficace.
Le système d’exploitation de l’Amiga fait aussi preuved’originalité. Fortement inspiré d’Unix, il est aussile premier système d’exploitation multi-tâches préemptif(c’est-à-dire que l’OS gère les priorités affectéesaux tâches, elles ne se gèrent pas toutes seule). Cette caractéristique,il faudra attendre bien longtemps avant de la voir véritablement dansles PC et les Mac (respectivement Windows 95 et MacOS-X- auparavant ces systèmes sont mono-tâche puis multi-tâchescoopératif). L’OS de l’Amiga est divisé en deux parties :
- Le Kickstart qui gère le kernel de l’OS et ledémarrage, entre autres. Il contient également le CLI(Command Line Interface), une ligne de commande, un peucomme le MS-Dos (mais en mieux :p ). D’abord sur disquette (carles mises à jour sont fréquentes), il passera ensuite en ROM.
- Le Workbench est l’interface graphique, avec icones,pointeurs, fenêtres… Avec lui est inclus Arexx,un puissant langage de scripts.
Le Workbench 1.3
Malgré ces qualités, on constate un certainsnombres de défaut. Le plus important, que l’Amiga trainera des années,est l’absence de catalogue de fichiers, tant pour les disquettes que pour lesdisques durs. Ceci fait que les accès-disques sont particulièrementlents. Autre chose, les spécificités techniques de l’Amiga, quisont sa force, sont aussi ses faiblesses dans le sens où c’est un standardtrès cloisonné. Commodore sortira pour l’Amiga 1000 une cartepasserelle permettant de le rendre compatible PC (le Sidecar).On utilisera souvent une émulation matérielle ou logicielle surAmiga, que ce soit pour émuler un PC, un Mac… voirmême un Atari ST! Enfin, le multi-tâche si efficace del’Amiga ne se révélera pendant longtemps pas d’une grande utilité,à cause du prix dissuasif des disques durs.
L’Amiga est à sa sortie plus puissant qu’un Macintoshdeux fois plus cher et il sera considéré comme un ordinateur révolutionnaire,disposant de plusieurs années d’avance sur ses concurrents. Par ses qualitésintrinsèques, il marquera toute génération d’utilisateurspassionnés, fervents défenseurs de leur machine, parfois de façonexcessive. La communauté Amiga comptera et aura son mot à dire.Mais on verra que les débuts de la plate-forme seront plus difficilesque prévus.
Crédits pour les images :- http://www.inode.at/reebok- http://www.amiga-hardware.com