J’en ai entendu parler il y a bien longtemps. Les frères Miller avaient développé un jeu vidéo. Pour Mac. Preuve qu’impossible n’est pas que français. Brøderbund l’avait édité alors que les autres grosses boîtes n’y croyaient pas (un jeu sur Mac, aussi…). Ça avait été un succès. Pour moi, ce n’était qu’un jeu. Jusqu’à il y a peu, je pensais que Myst ne pouvait m’atteindre. Je ne pouvais pas plus lourdement me tromper.
ET IN ARCADIA EGO
Je suis l’Étranger. Nul ne connaît mon nom, pas même moi. Et à vrai dire, je n’aurai sans doute pas l’occasion de me pencher sur la question. Mon histoire est… étonnante. C’est le mot qui me viendrait à l’esprit si je n’étais pas où j’en suis aujourd’hui. Hier soir, je lisais un livre, justement intitulé Myst. Il décrivait une île pour le moins étrange. Arrivé à la dernière page, j’ai eu le malheur de vouloir le refermer. Mal m’en a pris, puisqu’une sorte de faille dimensionnelle est alors apparue pour m’aspirer, si je puis dire. Je me trouve désormais sur l’embarcadère (le débarcadère, en l’occurrence) de l’île de Myst. L’île semble déserte, sans vie. Je suis seul. Il va bien falloir que je trouve le moyen de retourner chez moi…
S.O.S. D’UN TERRIEN EN DÉTRESSE
Je suis, semble-t-il, pris au piège dans une sorte de dimension étrange. J’ai l’impression d’être une entité éthérée. Je peux voir le monde qui m’entoure, mais pas mon propre corps. À l’exception de l’une de mes mains. Et non seulement je la vois, mais en outre elle me guide.
Si je la pointe vers le haut de l’écran et que j’effectue une pression sur quelque « bouton » invisible de ma psyché, j’avance. Si c’est vers les côtés de mon champ visuel que j’envoie ma main, je tourne le regard dans ce sens. Si je la pointe sur un objet ou un endroit particulier du décor, j’interagis avec ce dernier.
Lorsque tout cela est possible, bien entendu, car il arrive que je ne puisse rien faire, malgré ma volonté. Par exemple, quand je suis arrivé, j’ai remarqué une sorte d’interrupteur en position basse. J’ai voulu l’actionner, mais il m’a résisté. Par dépit, j’ai continué mon chemin. J’ai trouvé une lettre, j’ai pu la ramasser. Elle était froissée et ne semblait pas s’adresser à moi.
J’ai continué mon exploration de l’île. J’ai trouvé d’autres interrupteurs, identiques au premier. Ceux-là ne m’ont pas résisté. Je n’ai par contre rencontré vie nulle part. Il y a des traces d’activité humaine passée, des machineries, des écrits, mais pas la moindre trace de vie.
J’ai trouvé un indice qui m’a conduit vers une énigme, un mécanisme complexe qu’il m’a fallu résoudre à la seule force de mes neurones. Cela a fini par me mener à un livre. Et là, stupeur ! Le livre me parle ! Plus précisément, l’une de ses pages contient une image, mobile et parlante, une sorte de vidéo d’un homme qui m’enjoint de retrouver des pages égarées.
Je ne comprends pas. Je ne comprends plus. Encore moins qu’avant. J’ai découvert un passage qui m’a conduit vers… Vers quoi ? Un autre temps ? Un autre monde ? La forêt y est luxuriante. Passé ou futur ? Ou rien de tout cela, peut-être. En tout cas, il n’y a personne ici non plus. Juste d’autres indices, d’autres énigmes à résoudre, et peut-être une page à récupérer.
UN PAS EN AVANT, TROIS PAS EN ARRIÈRE
Il y a d’autres passages, cachés, qui donnent accès à d’autres âges. Ma quête, bien que tortueuse, me plaît. Je ne sais ni qui je suis, ni ce que je fais, mais à dire vrai je n’en ai cure.
L’île de Myst est somptueuse. Chacune des époques que je traverse est plus impressionnante que la précédente. Le monde qui m’entoure est peut-être polygonal, mais il s’en dégage une certaine majesté. Et certains endroits, naturels ou travaillés par l’Homme (quel qu’il soit), sont riches en détails.
Je sais bien ce que vous vous dites. Que j’ai perdu la raison, qu’il faut y être contraint pour accepter de passer des heures à farfouiller dans ce monde vide. Je trouve pour ma part que cet aspect immobile renforce l’ambiance d’une île figée dans le temps. Les bruits qui m’entourent sont également minimalistes. Il n’y a pas de vie ici, et c’est ce qui rend cette expérience si unique. Mon parcours est teinté d’une incroyable mélancolie.
Et d’une effroyable impression de tourner en rond. Souvent, je ne sais que faire. Je suis perdu, alors je dors un peu, réfléchissant aux maigres indices que j’ai pu découvrir dans la journée. Il me serviront à résoudre une énigme, qui me conduira à un autre indice, qui lui-même me mènera à une autre énigme.
Je suis perdu, oui. Et pour un bon moment. Mais malgré ce que le destin m’a imposé, je suis heureux d’être ici. Je pourrais y rester des heures… J’y resterai d’ailleurs des jours ! Qu’importe. En fait, ce que j’appréhende le plus, c’est le retour à la réalité. Parce qu’il va falloir que je fasse un compte-rendu pour mes tortionnaires d’Emu Nova. Ils ne me lâchent pas, ceux-là. Y’en a même un qui me harcèle jour après jour, un Belge je crois.