Il était une fois un monde peuplé de créatures rondes aux yeux exorbités. Cet endroit était étrange et hostile pour ces petites boules. Elles semblaient animées par la volonté intense de construire des structures absurdes afin de se déplacer le long de ces constructions. Pourquoi faisaient-elles cela ? Vers quel endroit se dirigeaient-elles ? Dans quel but s’agitaient-elles ainsi ?
-- Le Maître des Pancartes
Comme une boule de flipper
Ce petit monde absurde et décalé, c’est celui de World of Goo, créé par un petit studio « indépendant » : 2D Boy. Comme beaucoup de petits studios indépendants de la fin de la première décennie du 21e siècle, il profite de la dématérialisation pour distribuer plus facilement son logiciel. Il faut avouer que ces productions renouvellent véritablement le paysage vidéoludique, grâce à une inventivité rafraîchissante. Il existe certes une masse importante de jeux présentant un intérêt pas toujours au top, mais World of Goo est un des meilleurs softs indépendants de l’année 2008 (avec Braid) et rivalise sans problème avec les « Über Productions ».
Qui roule
Entrons dans le vif du sujet plutôt que d’utiliser des superlatifs ronflants. World of Goo est un jeu de réflexion demandant un peu d’habileté à la souris. On pourrait le comparer à un improbable descendant de Lemmings et des Lego Technic. Le but de chaque niveau est d’amener vos boules de goo à la sortie. Ça semble trivial, mais ces dernières se déplacent uniquement le long de structures réalisées à partir… d’autres boules de goo.
Le jeu est découpé en plusieurs niveaux (une cinquantaine au total). Pour chacun, vous débutez avec un certain nombre de ces créatures rondes et devez en amener un minimum à la sortie. Pour cela, il faudra en sacrifier à la construction d’une structure permettant d’accéder à un tube de sortie. Le système d’assemblage est très simple : vous cliquez sur une boule, la déplacez puis la relâchez près d’une structure existante. Des liaisons se forment entre les différentes boules de goo, donnant naissance à des éléments en treillis dignes de la Tour Eiffel. Les boules et les structures sont soumises à quelques lois simples de physique, telles que la gravité ou les frottements. Ainsi il ne faut pas bâtir n’importe comment, sous peine de voir les structures s’effondrer.
Ode aux constructeurs de ponts
World of Goo est donc basé sur un concept simple et plutôt novateur. Mais cela ne fait pas un bon jeu, et c’est grâce à la qualité de sa réalisation que ce titre devient exceptionnel.
Pour commencer, chaque niveau explore un nouvel aspect du concept. Cela se fait soit par le besoin d’une structure particulière, soit par l’introduction d’un nouveau type de boule de goo. Il y en a une dizaine, chacun ayant des propriétés physiques différentes. Je vous passe le détail de tout cela pour ne pas spolier la découverte. Les possibilités du jeu et son gameplay sont en constante évolution et les niveaux ne se ressemblent jamais. Le tout est parfaitement jouable et c’est un vrai plaisir de parcourir ce monde.
Un rouage dans la machine
Le monde est quant à lui particulièrement amusant, coloré et complètement bizarroïde. Les seules formes de vie semblent être les boules de goo et d’autres boules, géantes, en forme de têtes, articulées sur un corps en bâtons et visiblement fans de shopping. Elles ne parlent pas, et les informations sur le déroulement de l’histoire vous seront données à travers des pancartes en bois, pleines d’humour, signées par le « maître des pancartes » (traduit librement de l’anglais « sign painter »). Il faut en profiter pour vanter les mérites de la traduction française, celle-ci est de très bonne qualité. Son seul défaut est de manquer légèrement de « peps » par rapport à la version originale.
Cet univers semble être une oasis de bizarrerie au milieu d’un monde de néant. Le tout nous est présenté en 2D avec des couleurs vives ou pastel. Tous les éléments utilisent une représentation vectorielle très arrondie s’harmonisant parfaitement avec les couleurs choisies. C’est très beau.
La musique et les bruitages ne sont pas en reste. Les morceaux que l’on peut entendre lors de cette expérience vidéoludique sont un mélange de mélodies douces et rythmées, aux influences variées, et restent toujours au service de l’ambiance de chaque environnement. C’est superbe.
Et si je veux jouer avec mon voisin ?
Il existe un mode de jeu que je ne qualifierai pas de multijoueurs, mais qui pourrait s’en rapprocher. À la fin de chaque niveau, si vous avez libéré plus de boules de goo qu’il ne vous était demandé, ces boules supplémentaires deviendront disponibles dans un niveau à part. Dans celui-ci, le but est de construire la tour la plus haute. Il est possible de se connecter à internet pour afficher la hauteur des structures des autres joueurs en ligne. Il existe même un système de « leaderboard » pour sauvegarder les constructions, et ainsi mettre en place un système de classement mondial. Ce mode complète agréablement le jeu.
Let’s go shopping !
Récapitulons un peu. Le concept est novateur. Le jeu est très bien réalisé. Il est beau et addictif. On a constamment envie de savoir quel sera le prochain challenge. Chaque nouvel environnement est un vrai plaisir pour les yeux.
World of Goo se termine en une petite dizaine d’heures. Je sais que certains trouveront cela plutôt court, mais le jeu étant vendu à 16 € (20 US$) dès sa sortie, c’est bien plus qu’honnête. De plus, une fois le jeu terminé, il est tout à fait possible de refaire chaque niveau pour essayer d’améliorer son score (temps, nombre de coups, boules de goo amassées). 2D Boy a participé à des offres promotionnelles regroupant plusieurs jeux indépendants en promotion. Il a même, pour le premier anniversaire du jeu, lancé une offre spéciale : « Payez la somme que vous pensez juste ». Cette opération s’est avérée être un fiasco, le jeu s’étant vendu en moyenne à 2 euros. Malgré cela, 2D Boy garde le moral, le jeu s’étant correctement vendu par ailleurs.
World of Goo, qui a obtenu plusieurs prix, est indubitablement un excellent jeu grâce à son gameplay intelligent et parfaitement maîtrisé.