Un jeu qui date du milieu des années 90, tenant sur pas moins de quatre CD-Rom et bourré de vidéos à raz-bord….tous les ingrédients semblent réunis pour qu’on ait affaire une fois de plus à une de ces fumeuses expériences « interactives » qui ont émerveillé des générations de naïfs – dont votre serviteur – avant qu’ils ne se rendent compte que le « réalisme » n’impliquait pas forcément un grand jeu. Tragique erreur ! Si Under a Killing Moon table sur une technologie qui a fait long feu depuis lors, on a affaire ici à ce qui est probablement l’un des plus grands jeux d’aventure point & click de tous les temps, l’un des rares à pouvoir concurrencer les produits Lucasarts au niveau de l’ambiance, des énigmes et de l’humour.
Plantons brièvement le décor : nous sommes en 2047 à San Francisco. Une nouvelle mégalopole tentaculaire s’est développée sur les ruines de l’ancienne, durement éprouvée durant la troisième guerre mondiale. Dans les restes de l’ancienne cité vivent à présent les mutants irradiés par les retombées radioactives du conflit, les parias, les marginaux…et Tex Murphy qui, bien que de « sang pur » a choisi de partager le sort de ses compagnons d’infortune. A vrai dire, il ne s’agit pas à proprement parler d’un choix : Tex vit le lot de tous les détectives privés depuis que la profession existe, à savoir qu’il est divorcé, fauché et vaguement alcoolo. Le jour où l’aventure débute, Tex a touché le fond : il a malencontreusement perdu son flingue en faisant le con devant sa fenêtre. Heureusement, le destin ne tarde pas à frapper à sa porte. Rook, le prêteur sur gages du quartier, s’est fait dérober un collier de grande valeur la nuit précédente. A cheval donné on ne regarde pas les dents et Tex plonge immédiatement sur l’affaire. Ce que notre brave détective ignore, c’est que cet insignifiant délit de voisinage va l’emmener plus loin qu’il ne l’aurait jamais imaginé, sur les traces d’une secte eugéniste dont l’ambition n’est rien moins que de provoquer l’apocalypse. Tout au long des sept jours que durera l’enquête, Tex aura souvent l’occasion de songer qu’il y a décidément des jours où il vaudrait mieux ne pas se lever.
Tex Murphy était déjà apparu dans plusieurs jeux d’aventure de facture classique, à la fin des années 80 et au début des années 90, mais Under a Killing Moon fut le premier à inclure de véritables environnements en 3D. Le jeu fonctionne sur l’alternance de deux modes : le mode « déplacement » et le mode « visualisation ». Prenez par exemple la rue où réside Tex, et où se déroule la totalité de la première journée d’aventure. On peut s’y déplacer comme on le souhaite, entrer dans les bâtiments, regarder en haut ou en bas, tourner son regard à 360°…en résumé, faire tout ce qu’on fait habituellement dans un FPS (à part tirer au lance-roquettes). Une fois qu’on a repéré un endroit plus intéressant à examiner, on passe en mode visualisation. L’image s’immobilise alors mais devient également plus nette, ce qui permet de repérer plus facilement de petits objets comme des clés. Le mode visualisation permet d’examiner la plupart des objets à l’écran et, le cas échéant, de les ramasser ou de les utiliser. Tout cela se fait automatiquement, sans choix d’un système de verbe comme dans les point & click Lucasarts.
Comme dans tout bon jeu d’aventure, le jeu fait la part belle à la recherche d’objets et à leur utilisation dans le contexte correct. A l’instar d’un jeu comme Monkey Island, la logique à posséder pour résoudre les énigmes est parfois sacrément tordue. Auriez-vous pensé à utiliser un anneau en caoutchouc rempli d’eau pour désactiver un système de sécurité ? Ou à remplir un vase d’eau à l’aide d’une flûte à champagne afin de récupérer le petit bout de ferraille qui traîne au fond ? Under A Killing Moon ne s’arrête pas là, puisque les dialogues jouent également un rôle capital dans l’enquête, qu’il s’agisse des interrogatoires avec liste de sujets à aborder ou des conversations où vous aurez à choisir le type de réponse que vous souhaitez produire. On découvre aussi quelques puzzles assez simples (reconstituer une lettre déchirée à partir de ses débris par exemple), et même quelques séquences en temps réel : le quatrième jour, Tex devra infiltrer un laboratoire de génétique, et se planquer rapidement dans un coin sombre dès que le drone de surveillance débarquera dans la pièce où il se trouve.
Si vous séchez en cours de partie, un menu d’indices est accessible à tout moment. Ce menu vous indique la prochaine action à accomplir en échange de quelques points « enquête ». Les points d’enquête sont ajoutés à votre crédit dès que vous accomplissez une action qui fait progresser l’aventure, qu’il s’agisse de ramasser un objet ou de discuter avec quelqu’un. A moins d’être vraiment paresseux du cerveau, on gagne donc plus vite des points qu’on n’en dépense à quémander des indices. Libre à chacun de jouer honnêtement et de ne pas laisser le jeu lui mâcher tout le travail.
Réalisation graphique :
Ne reculant devant rien pour assurer une forte conscience professionnelle aux tests d’Emunova, j’ai rejoué à Under a Killing Moon juste avant de rédiger ce test. Evidemment, la réalisation graphique a beaucoup vieilli mais il ne faut pas oublier qu’à l’époque, en termes de richesse visuelle, le mode de déplacement 3D d’Under a Killing Moon explosait tout ce qui existait chez la concurrence, y compris les FPS les plus récents comme Doom ou Dark Forces. En dépit de quelques bugs graphiques et malgré la présence de quelques textures très granuleuses, Under A Killing Moon présente des environnements variés (appartement, bas-fonds, château médiéval, …) dans lesquels on peut se déplacer à volonté, emprunter des escaliers et visualiser la totalité de l’environnement, de manière plus réaliste que tout ce qui avait été fait jusqu’alors. Le mode visualiation n’est pas non plus en reste. Fin et détaillé, il permet de repérer rapidement les objets à récupérer (même si certains d’entre eux sont TRES bien cachés). Under a Killing Moon étant en FMV, on ne va pas se priver du plaisir de décortiquer le jeu des acteurs et la réalisation cinématographique. Nous avons affaire ici à un des précurseurs du genre, avec des acteurs filmés incrustés dans des décors datant de l’âge héroïque de la 3D. Du point de vue du réalisme, le résultat n’a jamais été très crédible mais avec le recul, je dois dire que cela dote le soft d’un charme désuet assez intéressant. Quant aux acteurs, on ne trouve aucune véritable pointure parmi eux (Tex Murphy étant même incarné par Chris Jones, scénariste principal de la série) mais ils s’en tirent très honnêtement. Vu le côté suranné de la technique utilisée, le fait que la majorité d’entre eux surjouent et cabotinent à n’en plus finir passe comme une lettre à la poste (contrairement à un jeu comme Gabriel Knight II où la tendance plus réaliste des décors était sans pitié pour les acteurs médiocres).
Jouabilité / difficulté
Les déplacements, exclusivement à la souris, sont parfois un peu difficiles à maîtriser. C’est particulièrement vrai lors de la séquence en temps réel, durant laquelle on meurt souvent faute d’avoir pu se trouver une cachette dans les cinq secondes. Pour le reste, c’est assez basique : l’action requise est présélectionnée en fonction de chaque objet, ce qui rapproche Under a Killing Moon des point & click les plus simples. Heureusement, sans être vraiment difficile, l’aventure et les énigmes proposées sont très bien pensées, toujours logiques (dans le sens « Monkey Island » du terme) et vous feront parfois agréablement cogiter. On râlera juste un poil sur certains objets très difficiles à dénicher (genre une petite clé accrochée sur la face non visible d’un meuble) mais c’est dans ce type de situation que le menu d’indices apporte une aide bienvenue.
**Son **
De discrètes musiques d’ambiance, de ton assez jazzy, des bruitages limités mais des dialogues (en anglais) interprétés de manière plutôt convaincantes. Là aussi, malgré quelques excès, le côté très théâtral passe plutôt bien.
En bref : 19/20
Dans la grande famille des références de l’âge d’or du jeu d’aventure, Under a Killing Moon se classe parmi les tout meilleurs spécimens. Tout ce qui concourt à assurer la réussite d’un jeu d’aventure y figure : un scénario plein de rebondissements, des énigmes bien torchées et une atmosphère à mi-chemin entre le cyberpunk et le polar noir. Cerise sur la gâteau, Under a Killing Moon ne manque vraiment pas d’humour. Qu’il s’agisse des observations délirantes de Tex sur ce qui l’environne ou des conversations décalées entre les personnages, Under a Killing Moon est un régal à ce niveau, potache sans être graveleux et absurde sans être débile. Tout simplement un classique indéboulonnable.