Des vacances ratées :
Librement adapté du film Jurassic Park, Trespasser fut une expérience des plus originales sur PC, un jeu au principe rarement exploité qui récolta à sa sortie un feu nourri de critiques pour ses grosses faiblesses de gameplay. Si ces défauts étaient en partie justifiés, on oublia un peu vite au passage que Trespasser, pour qui aurait la patience de s’y atteler sérieusement, fut un des jeux qui offrirent la plus grande impression de liberté dans ces années-là. Dans Trespasser, vous incarnez Anne, une jeune cadre new-yorkaise en partance pour quelques vacances bien méritées sous les tropiques. Malheureusement, suite à une tempête tropicale, l’avion s’écrase sur une île isolée. Seule survivante du crash, Anne commence à explorer son nouvel environnement. Question tropiques, la jeune femme est gâtée : un soleil étincelant, des plages de sable fin, une mer d’azur… et même quelques bâtiments désaffectés, signe qu’il y a probablement une présence humaine dans les parages. La situation ne semble donc pas critique à première vue. Mais en s’enfonçant un peu plus en avant dans les profondeurs de l’île, Anne comprend à sa grande terreur… qu’elle se trouve sur le site B, l’île voisine d’Isla Nublar sur laquelle les dinosaures s’ébattent en parfaite liberté, avant d’être transférés au besoin dans le fameux parc Jurassique, à présent fermé depuis quelques années. Bien entendu, comme un malheur ne vient jamais seul, le zone portuaire, où il devrait être possible de trouver une système de communication en état de marche, se situe aux antipodes du point d’atterrissage de la jeune femme sur l’île. Il ne lui reste donc plus qu’à prendre son courage à deux mains, et à traverser la jungle, les collines et les montagnes de l’île, en priant pour ne pas tomber sous les crocs d’un prédateur en goguette.
Du FPS ? Pas tout à fait :
Présenté de cette manière, Trespasser semble posséder toutes les caractéristiques requises pour être un FPS de plus dans un contexte peuplé de dinosaures voraces. Si le jeu proposera effectivement de nombreuses séquences de tir sur cible écailleuse, Trespasser est avant tout… un jeu d’exploration. On passera en effet l’essentiel de son temps à progresser plus ou moins facilement à travers les différents environnement du site B, et à admirer la flore et la faune (mais pas de trop près… !) du lieu. Quelques mini séquences de plates-formes et de réflexion sont également au menu, mais à faible dose. Il faudra en effet parfois placer des caisses au bon endroit pour escalader l’une ou l’autre structure, utiliser des barres de fer comme leviers, sauter par-dessus les tronçons manquants du monorail du parc, etc. De même, il sera parfois nécessaire de chercher des cartes d’accès, des batteries ou d’autres objets pour réactiver le courant dans le centre touristique de l’île.
Mon ami le bras :
Pour se livrer à toutes ces actions palpitantes, vous ne pourrez compter que sur votre principal – et unique - outil pour vous échapper du parc : votre bras. Avec ce bras, vous pouvez pousser des choses, ramasser et manipuler n’importe quel objet qui traîne dans les parages… bref, vous en servir comme n’importe quel être humain se sert d’habitude d’un bras dans la vie réelle. L’armement fonctionne de la même manière. Au cours de cette promenade dans la nature inviolée de l’île, Anne mettra la main sur un sympathique stock d’armes : barre de fer, pistolet de gros calibre, fusil à pompe, AK-47, etc. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, les armes ne remplissent pas la même fonction que dans le FPS moyen. Tout d’abord, on ne peut en porter que deux simultanément, ce qui change des armureries mobiles qui deviennent généralement les héros de FPS. Ne songez même pas à progresser comme un dératé dans la jungle, l’arme fermement chevillée au corps, en canardant la faune et en vous rechargeant en munitions derrière chaque palmier. Non, les armes dans Trespasser sont, à l’instar de n’importe quel élément présent dans le jeu, des « objets ». Autrement dit, à l’aide de votre fameux bras, il faut les ramasser, et tenter de les placer plus ou moins correctement dans la lignée de votre champ de vision. Leur positionnement dépend donc de la manière dont vous manipulerez « le bras » ! Comme pour les autres objets, leur force d’inertie est plutôt réaliste. Aussi, si vous vous baladez le bras levé avec l’arme au bout, et que le bras – ou l’arme – s’accroche à un arbre, elle vous échappera des mains. Quant aux munitions, on n’en trouve tout simplement pas. Les armes disposent d’un certain nombre de balles dans le chargeur et une fois celui-ci à sec, vous n’avez plus qu’à vous débarrasser de l’objet devenu inutile (enfin, aussi inutile que n’importe quel bout de bois ou boîte de conserve trouvé au sol). Il s’agit donc d’utiliser les munitions disponibles avec parcimonie et d’éviter autant que possible la confrontation avec les reptiles du parc. Cela peut paraître irritant pour les fanas de la gâchette, mais cela renforce le côté « survival » de cette équipée sauvage.
Dino crisis :
Le comportement des dinosaures a lui aussi fait l’objet de beaucoup de soin. Au lieu de se ruer instantanément sur vous comme des bots moyens de FPS, les dinosaures mènent leur propre existence, bouffent, se battent entre eux, et vaquent à leurs occupations de dinosaures dans les prairies et les collines du site B. L’approche comportementale des bestioles a été soigneusement étudiée pour coller au plus près à ce que l’on sait de leur mode de vie. Vous n’avez donc rien à craindre en particulier d’un brachiosaure ou d’un tricératops, à moins que vous ne marchiez dans les pattes du premier ou qu’il vous prenne la fantaisie d’aller titiller le second avec une barre de fer. Quant au fameux T-Rex, il est généralement beaucoup trop massif pour s’intéresser à une avortone telle que vous mais, s’il vous remarque, attendez-vous à souiller votre chaise de bureau. Avec une machine à tuer de 8 mètres de haut - insensible à vos balles en plus - qui vous colle au train en poussant des rugissements de fin du monde, vous vous rappellerez vite à quel point, au fond, la vie est quelque chose de précieux. Heureusement, ce colosse n’a que peu de suite dans les idées, et vous planquer sous un tronc d’arbre ou derrière un rocher suffira généralement à lui faire abandonner la poursuite. Le plus drôle reste encore de parvenir à l’amener face à une meute de raptors et à se mettre vite à l’abri pour assister au choc des titans !
Les raptors justement, parlons-en. Comme dans le film, il s’agit de la plus grande menace présente sur le site B. Vicieux, rapides et sournois, ces affreux petits carnassiers vous attaqueront presque toujours dès qu’ils vous auront repérée. Quelques balles dans la tête suffisent généralement à les mettre hors d’état de nuire, mais encore faut-il en avoir le temps, car ces horreurs ambulantes prennent un malin plaisir à se planquer, à vous attaquer sur le flanc ou à faire mine de ne pas vous avoir vue pour mieux vous assassiner par derrière. Les dégâts sont assez bien localisés car, si vous lui collez une balle dans la patte par exemple, le raptor préfèrera généralement renoncer à son repas et s’éloigner en boitillant plutôt que de risquer sa vie. Huit très longues zones de jeu, couvrant l’intégralité de l’île, vous attendent avant que vous ne puissiez éventuellement trouver un moyen de fuir le site B et revenir à la civilisation.
Réalisation technique :
Graphiquement, Trespasser souffle le chaud et le froid. La bête était gourmande en ressources et, avec l’équipement de l’époque, il était préférable de rogner un peu sur la définition et la finesse des graphismes pour que le jeu ne cale pas toutes les dix secondes. En niveau de détails maximum, on pouvait seulement regretter que la plupart des structures, arbres et autres véhicules, n’apparaissaient qu’au fur et à mesure de la progression, et que plus ils étaient lointains, plus ils étaient grossiers et dépourvus de détails. Paradoxalement, quand on s’en approchait trop près, il arrivait aussi qu’ils soient salement pixelisés. Tout s’arrangeait quand on se tenait à quelques mètres des éléments du décor, qui étaient alors réussis, détaillés et très réalistes. Ce phénomène graphique était peut-être un poil décevant, mais il fallait voir ce que Trespasser proposait en matière de décors : aucun endroit ne ressemblait à un autre (comme si l’île avait été conçue dans son intégralité en une seule fois, sur base de véritables relevés géographiques), les développeurs avaient sûrement dû faire appel à un consultant-botaniste en renfort tant on rencontrait un immense panel de plantes et d’arbres au cours de la progression à travers la jungle, et la zone de jeu, ininterrompue et immense, était totalement crédible et réaliste. Les mouvements des dinosaures avaient eux aussi été très soignés, et leur démarche chaloupée avait quelque chose de salement flippant. La bande sonore avait été pensée en termes très cinématographiques : quelques musiques qui résonnaient aux moments cruciaux, des bruitages d’ambiance agréablement changeants, des cris de dinosaures qui… euh… ressemblaient à des cris de dinosaures, les réflexions du personnage principal à tout bout de champ (là aussi, ces monologues étaient plutôt réalistes : marchez quelques heures seul en forêt et vous comprendrez… !) et quelques déclarations de John Hammond sur la genèse du parc et le mode de vie des dinosaures rencontrés. Avec un peu d’imagination, on s’imagine clairement avoir été projeté au beau milieu du film.
Il faut malheureusement aborder aussi le sujet qui fâche : le gameplay. On a beaucoup critiqué la manière dont on gère ce fichu bras, qui a souvent un comportement plus proche de celui d’une trompe d’éléphant ivre que d’un appendice humain plein d’os et de muscles. Il est vrai que les contrôles ne sont franchement pas optimaux, et on galère pendant de nombreuses heures avant d’arriver à manœuvrer les objets avec efficacité et, même une fois passée cette période de prise en main, on se retrouve encore souvent à perdre son arme bêtement quand un raptor fonce sur le personnage, à lâcher un objet crucial et à ne plus savoir à quel endroit on l’a égaré (et ça, c’est super frustrant quand on s’est tapé dix heures de jeu et qu’on se retrouve bêtement bloqué avec un minuscule truc à chercher dans un zone de 500 m² !). Si on considère Trespasser comme un simple FPS un peu différent des autres, il est clair que la progression est lente, vexante et souvent compliquée par ces défauts très irritants. C’était peut-être le prix à payer pour avoir un gameplay aussi innovant. Reste que terminer Trespasser n’est pas insurmontable en soi, si on se débarrasse des réflexes du strafeur patenté habitué à traquer le marine dans les sombres couloirs de Black Mesa. Une progression calme, mesurée et l’esprit toujours en alerte, voilà la solution pour ne pas se transformer prématurément en boîte de canigou pour dinosaure !
En bref : 14/20
Très original dans son principe et salement stressant par moment, Trespasser offrait un gameplay complètement atypique, où l’action dispute le premier rôle à l’exploration et à la ruse. L’esprit « survival » du jeu provoque de fréquentes poussées d’adrénaline auxquelles on ne s’attendrait pas, vu la relative lenteur de la progression.
L’intérêt principal de cette aventure sur l’île des dinosaures vient du fait que, pour une fois, on n’incarne pas un tueur-né avec assez de munitions pour liquider 5 fois la population terrestre, mais une simple touriste malchanceuse, obligée de ruser et d’esquiver les confrontations pour survivre. Parmi les autres qualités de Trespasser, on insistera à nouveau sur le réalisme de l’aventure. Le moteur physique du jeu a fait l’objet de beaucoup de soins et, en dépit de quelques bugs de temps à autre, les objets réagiront à vos interactions avec eux comme les dociles objets qu’ils sont. Les chutes, mouvements, réaction au relief, force d’inertie des caisses, boîtes, armes,… tout cela contribuait à faire de Trespasser une aventure vraiment pas comme les autres (du moins à cette époque, on a évidemment vu beaucoup mieux depuis). Reste que la maniabilité du fameux bras n’est pas exempte de défauts, et qu’on râlera à de nombreuses reprises contre l’imprécision et la difficulté à prendre le personnage en main.