CD Projekt a beau être un tout jeune studio, pour leur premier jeu, ils ont décidé de s’attaquer à un pilier de la littérature fantastique polonaise. Si le monde du sorceleur est quasiment inconnu en France, il en est autrement en Pologne, où son auteur est littéralement considéré comme le Tolkien polonais.
Géralt de Riv, le personnage principal de cet univers, est un sorceleur, un mutant tueur de monstres ; et pas des moindres, il s’agit juste de l’un des meilleurs de sa corporation. Enfin, c’était l’un des meilleurs de sa corporation. Il est retrouvé en piteux état, et surtout amnésique, quelques années après sa mort. Il est amené à la forteresse de Kaer Moren par ses amis sorceleurs, afin d’y être soigné et de s’y reposer. Cependant, peu de temps après, l’endroit est attaqué par un mystérieux groupe armé mené par un puissant magicien.
Cette attaque sera justement le point de départ du jeu, et servira principalement de tutoriel permettant au joueur d’assimiler ses principes, et notamment son système de combat assez original. Ici, il n’est pas question de régler les combats au tour par tour ; au contraire, il faudra porter les coups en rythme pour que Géralt enchaîne les attaques. De plus, celles-ci varieront suivant l’arme utilisée (principalement, un glaive d’acier et un autre d’argent, mais rien n’empêche d’utiliser une dague, une hache ou un marteau de guerre par exemple), le style de combat (puissant, rapide ou en groupe) et le niveau atteint pour le style. Au départ, c’est assez déroutant, mais on s’y fait assez rapidement.
Cependant, ne comptez pas uniquement sur vos épées pour terrasser vos ennemis. Étant sorceleur, Géralt a aussi été bercé dans les arcanes de la magie et de l’alchimie. Si pour la magie, le système est assez simpliste avec seulement 5 sorts différents, le plus gros morceau se situe au niveau de l’alchimie. En effet, comme pour tous les sorceleurs, les mutations de notre tueur de monstres lui permettent de boire des élixirs mortels pour la plupart des êtres humains. Grâce à différentes formules récupérées tout au long de l’aventure, vous pourrez vous concocter différents élixirs et huiles, permettant d’augmenter vos capacités et d’améliorer temporairement vos armes contre différents types de créatures. Malheureusement, il y a une contrepartie : si les mutations de Géralt lui permettent de boire ses élixirs sans mourir, ces derniers restent toxiques. Il faudra gérer le degré global d’intoxication de notre sorceleur ; et si celui-ci devient trop élevé, c’est la mort assurée. Si au début du jeu, on peut très bien survivre sans élixirs, ils deviendront très vite nécessaires avant chaque combat, faute de quoi vous serez vite réduit en charpie… Après tout, un sorceleur n’est que la moitié de lui même sans ses élixirs.
Une fois l’attaque terminée et les bases du jeu acquises, il est temps de découvrir le monde du sorceleur, et par la même occasion, retrouver les cerveaux de cette attaque, même si parfois, il faut faire bouger les choses de manière brutale. Et c’est là la véritable force du jeu. L’univers créé par Sapkowski est sombre et violent. Les sorceleurs sont loin d’être des chevaliers en armure rendant service à la population, comme on pourrait le croire au premier abord. Ce sont plutôt des mercenaires spécialisés dans l’éradication de monstres, même s’ils sont aussi capables de résoudre d’autres problèmes ; leurs services sont loin d’être gratuits et peu importe les méthodes, du moment que le résultat soit là. Le monde de Sapkowski est tout sauf manichéen. Personne n’est fondamentalement bon ou mauvais. Ainsi, vaut-il mieux aider une sorcière accusée d’avoir créé un monstre attaquant les villageois, mais vendant des poisons conduisant au suicide d’une jeune fille, ou aider les notables de la ville, impliqués dans des activités suspectes et certains meurtres (sans oublier aussi le viol de la fille mentionnée précédemment) ? Les choix que vous ferez dans le jeu peuvent avoir des conséquences importantes plus tard. Par exemple, vous pouvez très bien aider un petit groupe d’elfes affamés et désarmés, mais cela aura des répercussions bien plus loin dans la partie, et le temps que cela se produise il sera hors de question de faire marche arrière, à moins de tout recommencer, surtout quand il y aura une petite vingtaine d’heures d’écoulées.
En parallèle au scénario principal, vous aurez aussi à remplir une multitude de quêtes secondaires. Si la plupart des quêtes sont optionnelles, certaines seront cependant nécessaires pour faire avancer l’histoire. Ceci dit, elles ne sont pas là pour gonfler artificiellement la durée de vie du jeu. Bien au contraire, elles sont très variées et permettent de découvrir le monde de Temeria, et il ne faudra pas longtemps avant de se rendre compte à quel point l’univers de Sapkowski est complexe. Car celui-ci n’hésite pas à aborder des thèmes que l’on rencontre très rarement dans les jeux vidéo, tels que le racisme, le terrorisme, la prostitution, la drogue, le génocide, l’alcoolisme, le sexe, etc. Si l’ambiance générale est assez sombre, le jeu recèle de nombreuses pointes d’humour grivois. Il suffit d’écouter les chansons des bardes, ou les péripéties de ce bon vieux Jaskier, toujours en train de se fourrer dans le pétrin pour obtenir la couche d’une belle jeune femme, pour s’en convaincre. Et comme dans les livres, il est aussi possible de s’attirer les faveurs de certaines paysannes ou villageoises afin de passer de « bons moments », surtout que Géralt est l’amant parfait pour ces dames, vu que ses mutations l’ont rendu stérile et insensible aux maladies vénériennes.
La réalisation du jeu est à la hauteur de son scénario. On voit clairement que les développeurs ont été fortement inspirés par les livres. Graphiquement, c’est superbe. Les extérieurs s’étendent à perte de vue, le cycle jour/nuit est parfaitement rendu, les villes et les villages regorgent de détails et sont incroyablement vivants et cohérents. Les villageois s’occupent de leurs affaires, n’hésitent pas à faire des commentaires lorsque l’on passe près d’eux, les enfants passent leur temps à jouer, les animaux errent dans les rues des villes, etc, etc. Cependant, cette beauté a un prix : le jeu demande une configuration assez musclée pour fonctionner, et même avec une machine équipée d’un processeur Quad-core et un SLI de 8800GTX, il n’est pas totalement fluide à certains endroits. La bande-son n’est pas en reste et colle parfaitement à l’action. Le doublage français est assez bien réalisé, et a dû demander un travail colossal, surtout lorsque l’on voit le nombre de dialogues tout au long du jeu. Les effets sonores renforcent d’autant plus l’immersion et rendent le monde vraiment vivant.
A priori, on dirait que The Witcher est le jeu parfait. Eh bien non, la perfection n’est toujours pas de ce monde. Contrairement à Oblivion, où l’on peut exploiter le monde entier dès le départ, on est ici confiné aux zones prévues par les développeurs en fonction de l’avancée du scénario. Ainsi, il sera par exemple impossible d’aller dans le quartier des marchands, tant que le chapitre ne sera pas terminé, à cause d’une quarantaine. Cependant, ces zones sont assez larges pour que l’on ait quand même une impression de liberté, même si certains chemins sont balisés et impossibles à quitter, Géralt n’étant pas capable de sauter par-dessus une simple barrière, ni de nager.
Les villes et les villages ont beau être très vivants, ils souffrent d’un mal bien étrange. On dirait que leurs habitants ont toujours vécu dans la consanguinité. C’est simple, mis à part les personnages principaux, les autres personnages sont clonés. On peut s’en rendre compte vite fait dès le premier chapitre, où le tenancier ressemble comme deux gouttes d’eau à un malfrat que l’on rencontre après avoir quitté l’auberge. Le problème est encore plus flagrant dans les villes, où il n’est pas rare de rencontrer une bonne dizaine de fois la même vieille mémé édentée tout au long du canal. Le dernier patch en date a beau corriger légèrement ce défaut, celui-ci persiste toujours, et c’est bien dommage.
Les rôlistes purs et durs hurleront au scandale, le jeu ne propose pas de classe. Il sera impossible de faire de Géralt un puissant magicien ou un guerrier berzerk, mais CD Projekt a pris le parti de respecter l’œuvre originale. Cependant, avec plus de 250 compétences à choisir, il y a largement de quoi faire un personnage s’adaptant à sa façon de jouer.
Et pour terminer, LE gros point noir du jeu, les temps de chargement. C’est simple, dès que l’ont rentre dans une nouvelle zone ou dans un bâtiment, le jeu prend un temps assez long à charger le niveau. Ce ne serait pas vraiment handicapant si ceux-ci étaient nettement moins fréquents et surtout aussi longs. Même avec les dernières mises à jour qui diminuent sensiblement ceux-ci, ils sont toujours aussi gênants.
Pour un premier projet, CD Projekt réalise un véritable chef d’œuvre. Certes, tout n’est pas parfait, mais avec son univers sombre et adulte, son scénario digne d’un roman d’Andrzej Sapkowski, où vos choix ont vraiment des conséquences, The Witcher a tout d’un grand jeu de rôle et mérite de faire partie de votre ludothèque.