Nous sommes à la fin du mois d’avril 1945 et la capitale du Reich, agonisante sous les salves des Orgues de Staline, vit ses dernières heures. Mais derrière l’affrontement mortel entre l’Union Soviétique et les restes de l’armée allemande, une autre guerre se profile déjà. Des unités spéciales du NKVD ont été secrètement amenées sur le front. Leur objectif est de s’infiltrer au plus profond des ruines de Berlin afin de s’emparer des recherches en physique nucléaire que les scientifiques nazis étaient sur le point de concrétiser. Le gouvernement américain ne peut tolérer que les Soviets mettent la main sur ces technologies destructrices, mais ne peut pas pour autant se brouiller avec ses alliés de circonstance. Reste l’option de la covert-op, afin de voler la science nucléaire allemande au nez et à la barbe des cocos. Karl Fairburne, un ancien diplomate en poste à Berlin, a été choisi pour accomplir cette mission dangereuse, en raison de sa connaissance de la langue allemande et de ses talents de tireur d’élite. Revêtu d’un uniforme allemand, Fairburne va devoir explorer Berlin, rencontrer des contacts de la résistance allemande, abattre soldats russes et nazis fanatiques, et accomplir son devoir pour que vive la démocratie ! Waouhh, c’est beau comme du Jerry Bruckheimer !
Les amateurs de bourrinage en règle en seront pour leurs frais : malgré ses allures de FPS classique, Sniper Elite ne fonctionne résolument pas selon les principes philosophiques qui ont fait le succès de ce style de soft. Ici, on ne fonce pas comme une brute, l’arme au poing, en entonnant « The Star-Spangled Banner » et en utilisant le bullet-time pour truander quinze ennemis en une demi-seconde. Non, dans Sniper Elite, vous allez vous déplacer discrètement, vous planquer dans les portes cochères et derrière les amoncellements de débris tous les cinq mètres, vous jeter dans les trous d’obus au moindre bruit suspect avant de vous en extraire en rampant pour progresser de quelques mètres… et vous allez attendre. Attendre beaucoup et tout le temps. Attendre patiemment que le soldat ennemi commette l’erreur fatale de passer la tête par dessus sa cachette pour jeter un coup d’œil aux alentours. Votre lunette de visée vous permet de zoomer jusqu’à une certaine distance et de réussir des coups au but à plusieurs dizaines de mètres de votre position. Dans le cas d’un tir particulièrement admirable, la caméra suivra la trajectoire de votre projectile (un peu comme dans Max Payne) jusqu’à son point d’impact – sanglant – avec la cible. Certains de ces pigeons d’argile en chapka et uniforme kaki ne se méfient absolument pas et sont tranquillement en train de patrouiller ou de monter la garde dans les rues. Ils constituent donc une cible très facile pour un tueur silencieux tel que vous. En revanche, certains des militaires soviets ont la même occupation que votre sniper, c’est à dire qu’ils sont eux-aussi planqués (dans un trou d’obus, à la fenêtre d’un bâtiment, sur un toit, …) et à l’affût de tout ce qui porte l’uniforme allemand. Lorsqu’on arrive dans un espace ouvert (une grande place ou une avenue par exemple), il ne faudra donc pas hésiter à perdre quelques secondes à examiner les lieux avec vos jumelles afin de déceler la présence de dangers éventuels. Pour survivre, vous pouvez aussi compter sur les informations qui figurent en bas de l’écran. Ces dernières vous indiquent votre niveau de furtivité (suivant votre position debout / assise / couchée et l’environnement immédiat) et, si un tir vient juste de vous manquer d’un cheveu, la provenance de ce tir. Quand on cavale à découvert alors que la zone n’a pas été préalablement nettoyée, on ne doit sa survie qu’à un pur coup de chance. Car ces salauds visent bien, foutrement bien. Car s’il est théoriquement possible d’encaisser plusieurs blessures avant de passer l’arme à gauche et de se soigner avec des medikits, une seule balle bien placée et c’en sera fini de votre guerrier de l’ombre. Il sera donc important de vous déplacer avec précaution dans la ville détruite, d’éviter le contact avec l’ennemi quand c’est possible et, dans le cas contraire, de tirer vite, bien, et de vous déplacer rapidement une fois votre forfait accompli, afin de ne laisser aucune trace de votre présence.
Les missions suivent un fil conducteur général compartimenté en plusieurs objectifs principaux et secondaires. On couvre généralement une zone de la taille d’un gros quartier urbain, et il vous sera par exemple demandé de vous rendre à un point précis du quartier, de rencontrer un contact à cet endroit, de récupérer du matériel dissimulé à un autre endroit, de sécuriser un pâté de maison ou d’aller récupérer un blessé pour le ramener sain et sauf au point de rendez-vous. En cours de mission, vos objectifs changeront en fonction des événements, et vous pourrez très bien être obligé de revenir sur vos pas pour aider la résistance à repousser une contre-offensive ou bien de tenir une position à vous seul face à l’avancée des Russes. Au commencement de la première mission, Fairburne n’est équipé que de son fusil de sniper et d’un pistolet muni d’un silencieux. Il pourra néanmoins récupérer d’autres armes et des munitions dans des caisses ou en fouillant les cadavres des ennemis abattus. Dans cette sélection d’armes, on trouve plusieurs types de mitraillettes, allemandes ou russes. Bien pratiques pour liquider rapidement un soldat qui ne vous avait pas vu arriver, ces armes ont pour inconvénient d’être bruyantes (ben oui, les troupes ennemies entendent TRES bien, y compris la résonance de vos pas quand vous arrivez en courant. Alors une giclée de sulfateuse, vous pensez bien…) et la nature même du gameplay de Sniper Elite fait que foncer vers les lignes ennemies en lâchant rafales sur rafales équivaut à un ticket direct vers la fosse commune. A utiliser quand on n’a pas d’autre choix, donc. Les explosifs sont déjà plus pratiques : les grenades peuvent être lancées à une grande distance et détruisent tout dans un rayon d’un mètre ou deux. Quand vous les lancez, une courbe virtuelle apparaît pour calculer sa trajectoire et il est donc très facile de viser une position précise. La TNT est encore plus destructrice mais son maniement est assez délicat. Il faut en effet la poser au sol et ensuite tirer dessus à une certaine distance. Elle est donc davantage destinée à tendre des pièges à des soldats de passage. Enfin, le Panzerfaust (célèbre bazooka artisanal de l’armée allemande) est l’arme ultime avec laquelle vous pourrez détruire n’importe quel char ennemi. Il faut néanmoins viser la tourelle et s’approcher dangereusement près de ces colosses d’acier pour obtenir le résultat souhaité. Dans le cas de certains chars russes (des vieux KV-2 si je ne m’abuse), il est également possible de les détruire en tirant précisément sur le bouchon du réservoir extérieur, mais la bonne position requise pour une visée optimale vous rend alors vulnérable aux mitrailleuses du char.
Réalisation technique :
Sans être moche le moins du monde, Sniper Elite n’est tout de même pas la huitième merveille du monde techniquement parlant. Les textures ne sont pas toujours très fines, les ennemis finalement guère mieux représentés qu’à l’époque du premier Medal Of Honor et l’ensemble manque un peu d’envergure pour un jeu datant de 2005. Mais plus que par ses appâts techniques, c’est surtout par sa représentation très crédible du Berlin dévasté d’avril 45 que Sniper Elite séduit. Les différents quartiers de la ville regorgent de détails, de débris en tous genres, de carcasses de voitures et de chars d’assaut, d’anfractuosités dans la chaussée ou les constructions. On peut d’ailleurs pénétrer dans un grand nombre de bâtiments afin de se dénicher une position de tir confortable au dernier étage d’une ancienne maison de maître ou sur un toit éventré par une bombe. L’impression de réalisme est énorme, et les multiples dangers – mais aussi les opportunités de fuite et de dissimulation – que doivent offrir une opération de guerilla urbaine dans une ville à moitié dévastée sont parfaitement retranscrits. Le germanophile appréciera aussi de visiter quelques hauts lieux de la capitale allemande, comme le Reichstag ou la porte de Brandebourg. Cette dernière donne d’ailleurs lieu à une des missions les plus intéressantes. Après avoir nettoyé le périmètre de la Porte de Brandebourg et le début de la célèbre avenue Unter Den Linden, Fairburne devra attendre patiemment l’arrivée de Martin Bormann (numéro deux du régime nazi) et de son escorte et le liquider d’une balle bien placée avant de fuir au plus vite vers le point de chute indiqué dans le briefing. L’ambiance sonore contribue à cette bonne impression de réalisme. Centrée sur l’essentiel (bombardements, vent, bruits de pas, cliquetis des chars en approche), elle ne cède au côté hollywoodien que le temps de quelques rythmes martiaux « Zimmerien » résonnant en cas d’événement majeur. Au niveau des possibilités, Sniper Elite gâte le joueur. Pour accomplir la vingtaine de missions que le jeu a à proposer, il faudra la jouer très finement, redoubler de précautions, utiliser au mieux la configuration du terrain et ne commettre aucune erreur. Si les commandes sont relativement simples à maîtriser, Sniper Elite est un jeu difficile à négocier, non seulement en raison des réflexes de survie à acquérir qui dérouteront les amateurs d’action fraîche et joyeuse mais aussi en raison de la précision et de la hargne de la soldatesque ennemie. Il est heureusement possible de sauvegarder quand on le souhaite mais si vous sauvegardez la partie plus de 5 fois par mission, votre score final s’en trouvera affecté. Les détails ont été soignés au possible afin que l’on ne puisse pas trop souvent accuser le jeu de ses propres erreurs. Ainsi, il est possible d’expulser l’air hors de ses poumons lorsqu’on vise, afin d’obtenir quelques secondes de stabilité dans la visée. On notera aussi une étonnante gestion du bruit environnant, à savoir que si on souhaite tuer un soldat avec une arme bruyante, la déflagration n’attirera pas l’attention des soldats proches pour autant qu’une sonorité plus bruyante (bombardement, sirène d’alerte, …) se fasse entendre à cet instant.
Pourtant (Hé oui, il y a un « mais »… !), il existe un certain écart entre les ambitions théoriques de réalisme et de précision invoquées par le jeu, et leur application pratique en cours de partie. On note ainsi pas mal de collisions foireuses, qui font perdre de précieuses secondes – et souvent la vie – à votre soldat lorsqu’il tente d’échapper à un feu nourri des Soviétiques. Cette gestion des collisions aléatoires se retrouve dans le cas des tirs : il arrive que l’on rate son coup alors que de toute évidence, on avait visé avec une précision parfaite. Ces imprécisions fonctionnent heureusement dans les deux sens. Pire : lorsque vous êtes tué par un tir ennemi, la caméra se déplace pour vous dévoiler la position de votre meurtrier. Et parfois, elle vous montre… rien ! On peut toujours y aller pour abattre un ennemi invisible ! Des problèmes d’I.A. aléatoire se font également ressentir. Parfois, un simple tireur vous abat comme pour rien à une distance de plus d’une centaine de mètres. Si un tir au but à une telle distance est tout à fait possible, vous constaterez, au moment où vous en réussirez un, qu’il s’agit d’un art très difficile à maîtriser. A l’inverse de ces ennemis diaboliquement précis, certains fantassins ennemis courent sans but comme des dératés, sans parvenir à vous abattre avec plusieurs tirs alors que vous êtes debout à quelques mètres d’eux. On justifiera cette faiblesse en s’inventant qu’il s’agit de Russes pétés à la vodka.
Ces bugs déplaisants, qui nuisent quand même relativement souvent au bon déroulement de la partie, tranchent douloureusement avec les compétences extrêmes qui sont demandées au joueur pour progresser dans les missions.
En bref : 14/20
Si vous aimez le côté bourrin des FPS et que votre arme favorite est la sulfateuse, Sniper Elite risque rapidement de vous sortir par les trous de nez. En revanche, si vous êtes davantage intéressé par l’infiltration et que vous ne résistez pas au plaisir de sniper n’importe quoi dès qu’un soft vous en donne l’occasion, vous allez être aux anges. Son réalisme, sa difficulté et les possibilités relativement riches qu’il offre en font un plaisir de fin gourmet pour tous les amateurs de meutres de sang froid. Si Sniper Elite en était resté là, il serait certainement devenu un titre incontournable. Malheureusement, les ambitions énormes du jeu s’écrasent sur ses problèmes de jouabilité récurrents. Pas de quoi détruire tout ce qui fait de Sniper Elite un soft éminemment appréciable, mais suffisamment pour lui faire manquer le podium du hit incontournable !