Le célèbre Sim City de Will Wright est sans conteste l’un des jeux les plus importants et novateurs de toute l’histoire du jeu vidéo, puisqu’il constitue le matériau de base de pratiquement tous les jeux de « gestion capitaliste » qui suivirent au cours des années 90 et 2000. Ses multiples clones pouvaient bien se dérouler dans la Rome antique, l’Egypte ou la Chine impériale, vous faire gérer un parc d’attraction, un hôpital, un gratte-ciel ou une compagnie de chemins de fer, la totalité de leurs principes ludiques trouvent leur origine dans l’idée de génie qu’eut Will Wright en 1989, celle de faire gérer au joueur tous les aspects du développement d’une ville et de lui faire assimiler les principes de « croissance vertueuse ». Ce Sim City Classic est tout simplement la version originale de Sim City, légèrement relookée et utilisant le grand espace de stockage du CD-ROM pour truffer le jeu de vidéos et autres gadgets multimédia. Sim City Classic n’eut cependant pas un grand succès, en raison de la sortie voisine de Sim City 2000, moins riche en gadgets mais beaucoup plus convaincant visuellement.
Ce Sim City Classic ne diffère que par de menus détails de la toute première version du jeu. En tant que maire d’une future ville encore à naître, vous gérez tout, de l’implantation des différentes zones d’habitat (quartiers résidentiels, industriels et commerciaux) à l’approvisionnement en énergie (centrales électriques ou nucléaires reliées à tous les quartiers de la ville), en passant par la disposition intelligente des infrastructures civiles (commissariats, casernes de pompiers, …) et des aménagements économiques d’importance (port, aéroport, …) et la construction des voies de communication (routes, chemins de fer, …).
Vous décidez aussi du taux d’imposition et de la répartition des recettes dans les différents postes de dépenses (en essayant évidemment de ménager la chèvre, le chou et ce tocard d’enfant gâté de citoyen Sim, qui voudrait bien avoir des services publics de qualité sans payer trop d’impôts). La logique à retenir de Sim City est que chaque aménagement positif en faveur des citoyens déclenche en contrepartie des effets négatifs. Les Sims souffrent en effet du syndrome NIMBY et sont toujours d’accord avec les décisions maïorales… sauf lorsqu’elles influent sur leur petit confort. Ainsi, les zones industrielles sont vitales pour le développement économique de la ville et l’augmentation de la population, mais les placer stratégiquement relève du casse-tête chinois. Si elles sont très éloignées des quartiers résidentiels, les citoyens ne peuvent pas y travailler aisément. Si elles sont trop proches, la pollution qu’elles génèrent les incite bien vite à déménager. Même remarque pour les commissariats de police et les casernes de pompiers : il faut absolument que les diverses antennes couvrent chaque quartier de la ville… mais personne n’a envie d’en avoir une dans son quartier. De la même manière, les recettes des impôts sont vitales pour améliorer l’infrastructure urbaine et attirer de futurs résidents dans votre ville… mais des impôts trop élevés les feront déménager vers la cité voisine. Croyez-moi, après quelques heures à vous débattre virtuellement avec diagrammes évolutifs, statistiques, bilans comptables et aménagements pragmatiques du paysage urbain, vous ferez preuve de beaucoup plus d’indulgence envers les édiles qui se flanquent quelques dessous de table dans les poches… !
En dehors des difficultés générées par une mauvaise estimation des désirs des citoyens ou un manque de rationalité dans l’implantation des différentes infrastructures, vous devrez de temps à autre faire face à un problème totalement exogène, et il ne restera plus qu’à espérer que vous disposiez des infrastructures suffisantes pour faire face à la catastrophe. Sim City vous permet heureusement de vous entraîner à gérer ce type de cataclysme au travers des 8 scénarios qu’il propose. Se déroulant chacun dans un contexte historique précis, ces scénarios vous demanderont de gérer une croissance exponentielle du trafic automobile urbain et une hausse soudaine de la criminalité, et de faire face aux conséquences d’une inondation, d’une vague d’incendies, d’un tremblement de terre, d’une explosion nucléaire, de bombardements aériens et de l’attaque de Godzilla !
Quoique relativement ancien aujourd’hui, Sim City est un grand jeu, personne ne peut le nier. La question est de savoir ce qu’apporte cette version CD-Rom, sortie près de cinq ans après le jeu original. Tout d’abord, les graphismes utilisent le mode SVGA. La représentation de votre ville en devient un peu plus lisible qu’à l’origine mais Sim City reste fidèle à ce qu’il était au départ, autrement dit un jeu qui ne s’embarrasse guère d’attraits de séduction esthétique. La visualisation, en vue aérienne, reste tout de même très moche, comparativement à celle de Sim City 2000, son contemporain. L’animation est réduite à sa plus simple expression (les voitures qui roulent, quelques petits détails comme la foule dans les stades ou la fumée des usines… le tout représenté de manière très simpliste) et la bande sonore est tout aussi insignifiante (à l’instar de tous les jeux Maxis finalement). Sim City reste heureusement un jeu suffisamment riche en possibilités pour que sa réalisation austère n’influe pas trop négativement sur le plaisir de jeu. Notez tout de même qu’il s’agit d’un jeu de gestion à l’ancienne : autrement dit, si les menus sont clairs et qu’il est relativement simple d’y naviguer après quelques heures de prise en main, Sim City ne cherche pas à présenter les choses de manière ludique ou attirante. Les icônes sont purement fonctionnelles et pas toujours très représentatives de leur utilité, et les divers menus ne brillent pas par leur esprit fantaisiste. On est ici dans le domaine des chiffres, des statistiques et des prévisions à moyen terme : c’est du sérieux que diable ! Il faudra aller voir ailleurs si on souhaite de petits personnages amusants ou des loupiottes dans tous les coins. Bref, ce n’est pas au niveau du jeu en lui-même que la version CD apporte une plus-value.
Sim City CD est un témoignage typique de cette époque où, ne sachant trop quoi faire avec l’immense espace de stockage qui leur était alloué, les développeurs de jeu le remplissaient avec tout et n’importe quoi. Sim City Classic propose donc un nombre impressionnant de vidéos mettant en scène de sympathiques figurants. Ces vidéos se divisent en deux sections. Les premières mettront en scène vos plus proches conseillers : le chef de la police, le capitaine des pompiers, le responsable des transports et le responsable de l’énergie. Ces quatre acteurs vous tiendront au courant des tendances principales du secteur les concernant, soit à la demande, soit lorsque les besoins deviennent criants ou au contraire, que tout baigne dans l’huile. A défaut d’être très nombreuses ou très variées, ces séquences filmées permettent de rester informé de l’actualité de votre ville sans devoir compulser des graphiques et des schémas abscons. Les autres vidéos font simplement office de flash-info et vous présentent cinq secondes de la vie d’un de vos administrés : madame machin qui tricote des chaussettes pour les chats errants de la paroisse, monsieur machin qui arbore une expression bovine en plein milieu des embouteillages, machin Jr qui se viande la gueule en skateboard, pépé machin qui fait une réussite en fumant son cigare. C’est un peu con, parfaitement superflu et très cliché, mais finalement rafraîchissant compte tenu de l’austérité générale de Sim City. Dommage simplement que la définition de toutes ces vidéos soit assez faible, et que le rendu soit à ce point granuleux.
En bref : 14/20
Difficile de coller une mauvaise note à Sim City. Malgré son âge canonique et ses principes mille fois améliorés depuis lors, l’ancêtre se défend encore très bien, et gérer sa ville au jour la jour reste un plaisir de longue haleine… d’autant plus qu’on peut y jouer à l’infini puisque Sim City est dépourvu d’objectif à atteindre. Dans le cas présent, l’original reste préférable à nombre de copies. Cette version CD-ROM ne s’imposait néanmoins peut-être pas. Il est vrai qu’en dehors de l’ajout amusant de vidéos, cette version reste aussi austère (voire même rébarbative pour les jeunes joueurs habitués à un peu moins de sérieux dans les simulations) que celle de 1989. Le pire étant que Sim City 2000, publié la même année, conservait toute la saveur et la complexité du jeu d’origine en offrant enfin quelque chose d’agréable à regarder. Malgré son manque de sex-appeal visuel, Sim City reste un soft qui vieillit remarquablement bien mais cette version « Classic » est davantage un collector qu’autre chose.