C’est toujours triste une époque qui se termine. Shadow Warrior fut en effet le dernier jeu à être développé avec le moteur de Duke Nukem 3D, ce fameux Build Engine qui avait réussi à pousser les FPS de première génération dans leurs derniers retranchements. D’ailleurs, malgré la lente prise de pouvoir des successeurs de Quake, il était évident, au vu de la qualité visuelle de ce combattant d’arrière garde, que 3D Realms était parvenu à offrir quelque chose de réellement probant avec ce moteur, avec une masse de décors et d’objets sans commune mesure avec les jeux antérieurs, et quelques améliorations notables depuis l’époque glorieuse de Duke Nukem (à peine un an auparavant !), comme l’eau et son rendu à présent transparent.
Petit détour par le scénario de ce énième jeu de tir aux clays humains. Le héros de l’heure est un tueur à gages nommé Lo-Wang, exécuteur des basses œuvres de la Mega-Corporation Zilla. Sentant l’âge peser sur ses épaules chenues, le mercenaire décide un beau jour de rompre unilatéralement son contrat avec Zilla, afin de se consacrer à l’œuvre de sa vie : passer les soirées qui lui restent dans des bars / karaoke / boîtes de striptease à bâfrer, se soûler et batifoler en aimable compagnie. Mais la corporation n’entend pas de cette oreille les velléités de liberté de son homme de main. Histoire d’éliminer toute preuve de ses pratiques expéditives, elle envoie immédiatement des tueurs traquer Lo-Wang jusque dans son appartement tokyoïte. Quelques tueurs en moins plus tard, Lo-Wang a pris sa décision : puisqu’on lui refuse sa tranquillité, il ne lui reste plus qu’à détruire tout ce qui concerne Zilla Corp., personnel compris, et à commencer par ceux qui se trouvent dans son périmètre immédiat. Les niveaux se dérouleront donc toujours en Orient, qu’il s’agisse d’un Orient traditionnel avec ses temples, ses jardins de bonsaïs et ses statues de Bouddha sereins, ou d’un Orient moderne, avec ses bars à sushi (où on découvrira que l’escalope de chat n’est pas qu’une légende !), ses marchés au poisson ou ses salles de pachinko.
L’armement respectera ce parti pris asiatique. On appréciera tout particulièrement le katana, arme de corps à corps assez radicale, puisqu’elle tranche en deux d’un seul coup les adversaires les moins solides. Dès le premier coup de sabre porté, on peut d’ailleurs apercevoir les mains de Lo-Wang éclaboussées de sang. Fraîcheur, quand tu nous tiens… Hormis ce coupe-chou, on pourra bien entendu faire joujou avec des shuriken, des bombes ninja violemment destructrices et le classique attirail composé du fusil à pompe, de l’uzi dans chaque main, de la mitraillette, du lance-roquette et du lance-grenades. Néanmoins, comparé à un Blood par exemple, il est regrettable que la majeure partie des armes ne soient pas plus originales que ça. Seules les deux dernières armes s’avèrent plutôt fun à l’usage. Il s’agit en effet d’une tête de démon tranchée qui crache des flammes, et d’un cœur encore battant qui, une fois écrasé, fera brièvement apparaître un clone de Lo-Wang furibard qui attaquera tout ce qui lui passe sous le nez. Au niveau des adversaires, Lo-Wang devra se taper tout un florilège de sales bestioles issues des légendes chinoises ou japonaises. Le gros du contingent ennemi est constitué de démons asiatiques vaguement humanoïdes équipés d’une arme à feu, mais on rencontrera aussi des monstres verts écailleux (ceux dont la tête fait office de lance-flammes), de singes glabres franchement antipathiques, de petits insectes bourdonnants, des requins, des paysans chinois porteurs d’un explosif et des spectres bien énervants. On rencontre au moins un adversaire totalement décalé : il s’agit d’un innocent petit lapin blanc qui se révèlera être une bête enragée avide de déchiqueter tout ce qui passera à sa portée. Tout le monde aura reconnu le clin d’œil..!
Alors qu’en terme d’objectifs, Shadow Warrior se borne à exiger une simple recherche de clés pour ouvrir des portes comme tous les FPS de l’époque, il propose néanmoins quelques séquences plus originales que ce qu’on avait coutume de voir à l’époque. Dans l’un des tous premiers stages, il faudra par exemple piloter une petite voiture radiocommandée jusqu’à la sortie de son circuit pour récupérer une des clés. D’autres séquences vous permettront de vous mettre aux commandes d’une mitrailleuse lourde (cas de figure classique aujourd’hui mais à l’époque, il s’agissait de la première fois qu’un FPS offrait une telle possibilité) ou d’un canot à moteur pour se déplacer plus vite sur l’eau. 3D Realms oblige, on « subira » également les commentaires désobligeants du personnage principal, jamais avare d’un bon mot lorsqu’il charcute ses ennemis. Malgré son allure de vieux sage capable de trancher les testicules d’une mouche en plein vol, Lo-Wang est un barbouze dont l’humour graveleux et les réflexions de corps-de-garde n’ont rien à envier à Duke Nukem.
Réalisation graphique :
Peu de progrès visibles depuis Duke Nukem (hormis quelques détails comme l’eau mentionnée plus haut – et encore, ce n’est pas systématique), ce qui sous-entend que Shadow Warrior reste sacrément performant graphiquement. L’optique orientale des décors permet quelques jolis paysages feng-shui, des temples et des habitations richement décorés et des textures très colorées. Néanmoins, ce choix d’atmosphère finit par se retourner contre Shadow Warrior, en restreignant les possibilités de variété. On finit par trouver que les stages se ressemblent un peu trop entre eux, et une légère monotonie visuelle s’installe.
Jouabilité/difficulté
Rien à redire au niveau des commandes : elles sont aussi pratiques que celles de n’importe quel FPS de l’époque, même si elles peuvent surprendre les habitués des FPS d’aujourd’hui. Shadow Warrior est également plutôt difficile : les zones ne sont pas particulièrement étendues mais certaines clés et interrupteurs sont diaboliquement bien planquées. De plus, même dans les modes de difficulté les plus simples, les ennemis se montrent redoutables. Il y en a d’ailleurs pour tous les goûts : tireurs des plus classiques, grosbills résistants qui attaquent au corps à corps, petites bestioles très mobiles mais peu résistantes, ennemis kamikazes, … Tous ont en commun d’être mortellement dangereux. A moins de posséder très rapidement tout l’armement de pointe, on trépasse extrêmement souvent dans Shadow Warrior. Le jeu propose également quelques mécanismes sous forme de dalles sur lesquelles il faut marcher dans un certain ordre, ou d’interrupteurs à actionner selon le même principe. C’est typiquement le genre de truc gonflant dans un gameplay FPS : on perd dix minutes à résoudre l’énigme et on ne s’amuse pas plus pour autant.
**Son ** Une bonne ambiance sonore globale : explosions tonitruantes, grognements de créatures affamées, claquement de gongs, babillage des ennemis en japonais et réflexions à deux balles de Lo-Wang… on n’en demandait pas plus.
En bref : 14/20
Dernier avatar jamais sorti de Duke Nukem 3D, Shadow Warrior n’est finalement qu’une transposition de ce dernier dans un contexte différent. Pas très varié visuellement, pas franchement original en dehors de quelques séquences, Shadow Warrior vaut surtout par sa difficulté assez élevée, qui offre un challenge appréciable aux joueurs confirmés. Shadow Warrior n’a cependant pas très bien vieilli, et rechercher des clés pour ouvrir des portes devient assez vite fastidieux, sans que les surprises ou les décors soient suffisamment intéressants pour tenir le joueur en haleine. Comme Duke Nukem 3D également, Shadow Warrior se montre plutôt gore mais ne se départit pas d’un certain humour idiot assez rafraîchissant. Si on le compare aux autres softs basé sur le Build Engine, Duke Nukem 3D, Blood et Redneck Rampage, Shadow Warrior manque quand même un peu d’originalité et de fantaisie (à l’une ou l’autre exception près) et reste probablement le moins agréable des ces quatre grands FPS. A noter qu’un portage Open GL a été réalisé voici quelques temps afin de permettre au jeu de tourner sur les configurations actuelles sans qu’il soit nécessaire de recourir à un émulateur. Si la finesse est au rendez-vous, ce portage n’échappe pas à quelques bugs malencontreux et les ennemis y apparaissent pour ce qu’ils sont réellement : des trucs tout plats !