Malgré un fort à-priori négatif, c’est avec curiosité que je me suis acheté Ring 2… A priori négatif parce que la réputation de ce jeu n’est plus vraiment à faire… En effet, les tests que j’ai pu lire à son sujet étaient unanimement assassins… Curiosité néanmoins, parce qu’en tant qu’admirateur (mais pas forcément grand connaisseur) de Wagner, forcément, ce jeu ne pouvait que me titiller… Car la spécificité de la série Ring est de reprendre la trame du fameux Der Ring des Nibelungen de celui qu’on a surnommé le Mage du Nord, extraordinaire tétralogie inspirée du roman médiéval Nibelungenlied et surtout de l’ensemble composite de mythes nordiques contant les hauts faits des Völsungar. Et puis quelques caractéristiques sont à la base alléchantes… Ainsi le dessinateur Philippe Druillet est toujours présent pour le design visuel. Quand à la musique, ce ne sont pas moins que des enregistrements de Sir Georg Solti qui ont été employés. Si ce nom ne vous dit rien, sachez qu’il est indiscutablement un des plus grands conducteurs des opéras de Wagner (et accessoirement mon favori avec Daniel Barenboim).
La Tétralogie wagnérienne est composée de quatre opéras. Une introduction (L’Or du Rhin - Das Rheingold) suivie de trois « journées » : la Valkyrie (Die Walküre), Siegfried et le Crépuscule des Dieux (Die Götterdammerung). Ring 2 reprend avec beaucoup de liberté les deux dernirs opéras (je vous épargnerai une rétrospective des autres). Ainsi donc incarnerez-vous Siegfried, enfant de l’union incestueuse de Siegmund et de Sieglinde, tous deux issus du dieu Wotan. Recueilli nourrisson par le nain Mime après la mort de ses parents, il ignore tout de sa parenté. Il faudra donc guider le jeune héros afin dans un premier temps de le libérer de la servitude dans laquelle le cruel nain forgeron l’a réduit puis dans sa quête d’identité. A la suite de cela, Siegfried devenu adulte cherchera à récupérer et à reforger l’épée de son père, Notung, qui lui servira à tuer Fafnir, géant métamorphosé en dragon qui détient le fameux or du Rhin…
Fort malheureusement, pour de nombreuses raisons, l’adaptation ne tient pas ses promesses. D’abord le jeu est une courte alternance de scènes d’action mal foutues et d’énigmes simplistes. Scènes d’action mal foutues d’abord parce que les commandes, si elles sont simples, ne répondent pas au quart de tour, loin de là… Aussi parce que la vue en 3D n’offre généralement pas la précision nécessaire… Ainsi certaines scènes sont particulièrement frustrantes non par leur difficulté intrinsèque, mais parce que la jouabilité est purement et simplement mauvaise. Les énigmes malheureusement ne rehaussent pas non plus l’impression générale qu’offre Ring 2… Certaines sont d’une simplicité enfantine mais dans d’autres cas, le jeu n’offre pas les éléments de compréhension nécessaires au joueur…. L’une des premières énigmes est d’ailleurs assez pénible puisqu’il s’agit d’apporter divers objets éparpillés dans la scène au bon endroit… Seulement Siegfried n’est capable de porter qu’un seul objet à la fois… Au final, on fait des allers-retours en expérimentant un peu tout… Bref, tant au niveau de l’action que de l’aventure, Ring 2 est un mélange plutôt fade…
Autre problème, c’est que finalement les scènes se suivent selon un scénario qui restera assez obscur, si bien que les gens ne connaissant pas le Ring auront en réalité bien du mal à comprendre quoi que ce soit sur l’histoire… Le cas le plus flagrant est celui des Giblichungen… Pourquoi veulent-ils la mort de Siegfried ? Le joueur n’aura pas d’élément de réponse…
On me dira que si les profanes en matière de Wagner n’y comprendront rien, sans doute les Wagnériens seront au moins satisfaits… Malheureusement non… Du moins n’est ce pas franchement mon cas… Que le jeu prenne des libertés face au scénario original, certes c’était prévisible et probablement inévitable… Que les éléments qu’on qualifiera d’intellectuels (constat social, philosophie etc) véhiculés par le Ring disparaissent, c’est compréhensible… Mais les scènes d’anthologie ne sont finalement pas mises en scène de manière aussi magistrale que l’oeuvre de Wagner l’exigeait… Ainsi combien est pitoyable la séquence de l’affrontement entre Siegfried et Fafner !! Il y avait moyen de bien mieux faire ! Décevante aussi la scène de la réparation de Notung, l’épée brisée de Sigmund récupérée par Siegfried. Idem pour la rencontre entre le héros et Brünnhilde… Brünnhilde parlons en, tiens… Voilà peut être le personnage le plus attachant, le plus profondément humain, car celui présentant les émotions et les sentiments les plus contrastés, de toute la Tétralogie… La guerrière céleste est en plus un personnage central tant de la Valkyrie que du Crépuscule des Dieux… Et la voilà complètement effacée… Bizarrement d’ailleurs, le jeu reprend essentiellement Siegfried, mais seule la phase finale reprend, de très loin, le Crépuscule des Dieux, qui est pourtant le sous-titre du jeu…
Enfin, un regret personnel mais qui peut-être ne sera ressenti que par moi, le sublime, extraordinaire « duel » d’énigmes entre Mime et Wotan est remplacé par un dialogue sans saveur… Hélas ! Non seulement cette scène est pour moi musicalement magnifique mais elle est de plus le scellement du destin de Mime en plus de rappeler les textes mythologiques nordiques exploitant cette technique du duel d’énigme, tels que le Alvissmal (texte sublime au passage). Preuve s’il en est que Wagner s’était lourdement documenté sur ce qu’il pouvait savoir à son époque des mythes norses.
Terminons le bilan par le côté technique, plus mitigé comme vous pourrez le lire… Visuellement, le moins qu’on puisse dire, c’est que la patte de Druillet est bien présente. Les décors sont à mon goût esthétiquement très réussis, fort inspirés… Le design des personnages donnera probablement des avis plus partagés… On aime ou on aime pas, mais visuellement le résultat est intéressant. L’univers fait très BD, avec des éléments à la fois très fantasy et très futuristes. Cela étonnera peut être le grand public, habitué aux caricatures surfaites et éculées de grosses dondons meuglant des « lailalooo » assourdissants et affublées d’un casque cornu et d’un bouclier… Caricatures d’autant plus grotesques que le Ring est une oeuvre d’une extraordinaire modernité. Dommage toutefois qu’au niveau technique, le visuel du jeu ne suive pas : le moteur 3D animant et affichant tout ça est malheureusement de piètre qualité et les cinématiques sont plutôt laides à cause notamment d’un encodage trop destructeur… Toutefois c’est au niveau sonore qu’on attendait le titre. Passons sur les voix, le doublage étant extrêmement peu convaincant… Mention pour la scène du dialogue entre Siegfried et l’oiseau… Sans souhaiter du mal à la personne qui a fait la voix de l’oiseau (après tout elle n’a fait que son travail, sans aucun doute de la manière la plus honnête possible), il aurait mieux valu qu’elle ait eue la grippe ce jour là… Mon dieu, la voix n’est non seulement pas crédible, elle est en plus ridicule… Pourquoi, mais POURQUOI, ne pas avoir dans ce cas gardé la musique avec la voix de l’oiseau manifestée par son instrument, avec un sous-titre à l’écran ?? OK dans l’opéra, à un moment l’oiseau parle (enfin Siegfried le comprend plutôt) mais c’est une cantatrice qui chante, pas un mauvais doublage grotesque au possible… Bon ceci dit, musicalement, on ne saurait redire quoi que ce soit sur l’interprétation… C’est Solti et comme je l’ai écrit en introduction, je pense indéniable qu’il était un des plus grands conducteurs de Wagner… Mais là encore, il faut que quelque chose vienne tout gâcher : les extraits sont courts, très courts… Parfois guère plus d’une dizaine de secondes, au plus moins d’une minute. Comme ils sont passés en boucle, ça devient pénible à la longue…
Au crédit de Ring 2, l’idée d’adapter le Ring en jeu-vidéo était enthousiasmante et l’implication de Druillet dans le visuel est pour moi une réussite. La Tétralogie a de plus tous les ingrédients d’une bonne recette : un scénario béton, une oeuvre étonnamment moderne, des personnages qui ont une carrure certaine… Enfin, le multimedia ne pourrait il pas représenter un excellent moyen de mettre en oeuvre le concept artistique de gesamtkunstwerk (oeuvre totale, où tous les arts fusionnent en un seul dessein) énoncé par Wagner en son temps?
Pénible conclusion qui s’impose toutefois à moi… Ring 2 est raté… De manière évidente, la fadeur de cette aventure et sa réalisation peu moderne (même lors de sa sortie) répugnera les joueurs expérimentés. Peu importe, il est évident au bout de quelques minutes que Ring 2 vise un public plus… grand public, justement. ^^ Malheureusement, ces gens seront probablement déçus par une jouabilité laborieuse et un déroulement pour le moins obscur d’un scénario déjà relativement complexe. Ce dernier point fait échouer Ring 2 en tant qu’éventuelle initiation des profanes à l’une des oeuvres musicales les plus magistrales que l’Homme a pu concevoir. Les amoureux de Wagner seront globalement déçus par les manques sus-cités plus les autres que j’ai pu exprimer…
Ring 2 a été testé sans avoir rencontré de problèmes sous Windows XP, avec le Service Pack 1.