Tout le monde connaît ou devrait connaître H.P. Lovecraft, le célèbre écrivain américain misanthrope et reclus des années 20 et 30 dont les écrits angoissants constituent l’un des plus grands chef-d’uvre de la littérature fantastique mondiale. Il est en effet l’un des rares auteurs à avoir créé une cosmogonie et une mythologie d’une telle intensité que l’on se surprend parfois à soupçonner un vieux fond de véracité dans ces récits de défunts réanimés par la magie noire, de rites païens orchestrés dans la pénombre de vieux manoirs de la Nouvelle-Angleterre, et d’entités indicibles menaçant la survie du genre humain.
Pour exemple, le Necronomicon, célèbre ouvrage démoniaque inventé de toutes pièces par Lovecraft mais décrit avec une profusion de détails qui laisse rêveur, est toujours activement recherché par une poignée d’irréductibles !
Curieusement, alors que son uvre s’y prête pourtant à merveille, et que l’on retrouve nombre de ses influences dans la littérature actuelle, le cinéma, la musique et les jeux vidéo, les adaptations plus directes de ses romans et nouvelles restent relativement peu fréquentes. Infogrames et les studio Chaosium ont réparé cette tragique carence en proposant un jeu d’aventure qui ravira tous les amateurs de fantastique et de mythes démoniaques.
La séquence d’intro pose le décor, de manière plus brutale et soudaine que dans les écrits du grand homme de Providence, Massachusset. Vous êtes Ryan, un jeune officier américain en mission d’observation à bord du HMS Victory, un sous-marin de la flotte de sa Majesté, envoyé en mission secrète en Antarctique. Nous sommes en 1937 et la guerre menace. Les services secrets Britanniques semblent d’autant plus déterminés à ce que cette mission soit un succès. Il s’agit de récupérer deux scientifiques norvégiens, ainsi que de mystérieuses caisses, qui sont détenus dans la base allemande de Schlossadler. Comme le montre la brillante vidéo d’introduction, les caisses semblent contenir quelque chose de vivant et de dangereux. La mission est cependant menée à son terme : les caisses sont chargées à bord du bâtiment, ainsi que l’un des deux savants, malheureusement malade et frappé par la folie. Alors qu’il reprend sa route vers la base Edwards aux îles Falkland, le HMS Victory est touché et expédié par le fond par un navire de la Kriegsmarin. Le petit incendie provoqué par les avaries fait fondre la glace qui recouvrait une des caisses : une épouvantable créature en sort et dévore en un instant le commandant Lloyd. Vous, Ryan, parvenez à l’enfermer dans la soute, alors que le sous-marin prend l’eau et sombre dans les abysses. En tant que plus haut gradé à bord, c’est à vous de prendre le commandement des opérations, et la chose la plus urgente à accomplir est de renflouer le submersible en perdition, d’avertir la flotte alliée de votre position, et de protéger votre équipage de la fureur sanguinaire de la créature.
Plus tard, alors que votre enquête continuera dans les sombres recoins de la Base Edwards et au musée archéologique de Buenos Aires, vous comprendrez peu à peu que les Nazis de Schlossadler sont en train de mettre à jour une très ancienne malédiction, une terreur indicible qui pourrait plonger l’humanité dans le chaos et la destruction, en faisant revenir sur terre les Grands Anciens, ces entités obscures et meurtrières qui sommeillent aux confins de l’univers, attendant leur heure. L’aventure prendra alors un tour mystique et fantastique, alors que votre personnage luttera pour sa survie et celle de ses proches à travers un imbroglio de paradoxes temporels des plus réjouissants. Sauverez-vous l’humanité des terribles ambitions du colonel Dietrich et du sorcier Narrackamous ?
Graphismes : Les décors, dans un style inspiré par la bande dessinée réaliste, sont particulièrement originaux et agréables à l’il. Quant aux personnages, ils ont été digitalisés avec finesse, et le résultat est d’un grand réalisme. Ils ont beau se déplacer de manière un peu raide et mécanique (Ok, ce sont des militaires en majorité, je n’ai rien dit), leurs autres mouvements sont d’une souplesse et d’un réalisme impressionnants.
Jouabilité : Rien à reprocher, c’est du point & click basique. Les objets ne sont pas toujours facilement repérables, mais vu la facilité globale de Prisoner of Ice, ça ne fait pas de mal de devoir fouiller un peu. Car la durée de vie de ce jeu d’aventure est malheureusement assez courte. Les énigmes sont logiques et bien imaginées, mais les objets ne sont jamais très éloignés de l’endroit où il faudra les utiliser. Les quelques rares jeux de réflexion à résoudre (le système électrique du sous-marin, les livres à ranger chronologiquement, le socle sacrificiel vers la fin du jeu) sont d’une grande simplicité.
Son : : La bande sonore est angoissante et mystique et contribue à instaurer cette ambiance de terreur latente propre aux écrits de Lovecraft. Le morceau de hard rock du générique de fin est particulièrement enthousiasmant, mais s’il tranche un peu avec le reste. Dommage que les voix françaises soient un peu médiocres, avec un héros au ton moraliste et sentencieux, des intervenants qui vous parlent de fanfreluches avec un sérieux hors du commun, et une nette tendance à surjouer un peu trop les dialogues. Seule exception : le doubleur du colonel allemand est parfaitement à l’aise dans son rôle de psychopathe hystérique.
Intérêt : 15/20 Prisoner of Ice est sans doute l un des jeux d’aventure de ces années là qui m’a le plus accroché. Sur ce coup là, je l’admets, je ne suis pas très objectif : en bon fan de Lovecraft, j’attendais depuis longtemps un jeu d’aventure capable de me propulser dans l’ambiance des malédictions antédiluviennes chères à mon auteur fantastique favori. La trame scénaristique ne déroutera d’ailleurs pas les amateurs du grand écrivain, quoique les éléments surnaturels ne se dévoilent pas aussi progressivement que dans ses écrits, et qu’on se retrouve très vite à utiliser les célèbres et mélodieuses incantations à la « Pht’tang Chtulu iiyaheh » pour éliminer les terribles prisonniers des glaces. Certaines références et informations peuvent également paraître un peu obscures si l’on n’a pas joué à Shadow of the Comet au préalable : sur la fin, les évènements ont tendance à se précipiter quelque peu, et qu’on ne comprenne pas toujours tous les tenants et les aboutissants des actions que l’on effectue. En dépit de son scénario passionnant, quel dommage que cette expérience soit si courte et qu’un amateur chevronné de jeux d’aventure ne mette pas plus d’une journée à le terminer .