Au vu du franc succès de Sands of Time, le Prince de Perse était redevenu un individu fréquentable aux yeux des actionnaires des sociétés de développement de jeux vidéo. Faut dire que ce premier essai du 21ème siècle, non content de surfer à mort sur la vague Matrix avec force ralentis et postures inspirées des films d’art martiaux, était en plus super bien foutu techniquement, original, passionnant… en un mot, un hit comme on n’en rencontre que quelques-uns par an. De quoi faire vivre quelques aventures supplémentaires au jeune guerrier avant qu’il ne retourne pour une décennie supplémentaire au sanatorium des héros hors du coup.
The Warrior Within, rebaptisé « l’âme du guerrier » en version française, ne révolutionne pas fondamentalement les principes ludiques de Sands of Time. C’est surtout au niveau de l’atmosphère, plus sombre et plus violente, qu’il marque sa différence. Après bien des péripéties, le Prince était parvenu à faire en sorte que sa précédente aventure, la trahison du vizir, la malédiction des sables du temps et ses pérégrinations avec la princesse Farah dans les ruines du palais de Hazad, n’aient jamais eu lieu. Mais on ne joue pas impunément avec le temps. A avoir corrompu le flux temporel, le Prince a libéré un ennemi d’une puissance incommensurable, le «Dahaka», une personnification démoniaque du Temps dont le seul objectif est d’anéantir le blasphémateur. Incapable de lutter contre cette créature, le Prince décide de faire voile vers l’île du Temps, où une mystérieuse impératrice créa jadis les sables maudits. Pour sauver sa peau, le Prince a tout simplement décidé de repartir gambader à travers les couloirs du temps afin d’empêcher la création des sables, rien que ça ! Il y a des gens comme ça… quand ils ont touché le fond, ils se mettent à creuser !
Première constatation : les Perses ont décidément le chic pour concevoir des palais d’habitation où le simple faut d’aller à la toilette la nuit et revenir avec tous ses membres à la même place tiendrait de l’exploit ! Le palais de l’impératrice, qui occupe toute la surface de l’île, est à peu près aussi fertile en pièges destructeurs que le palais de Hazad : scies circulaires qui sortent des murs, piliers rotatifs garnis de lames, sols piégés par des pointes amovibles,… sans oublier qu’y circuler n’y est possible qu’en se livrant à d’éprouvantes acrobaties, comme du saut de colonne en colonne, du funambulisme sur des poutres étroites ou des courses le long des murs. Dans l’ensemble, on ne note cependant guère d’évolutions dans les possibilités d’interaction du prince avec les décors. La seule capacité réellement nouvelle dont il dispose est la possibilité de s’accrocher aux draperies pour amortir une chute. Bien qu’ils aient évolué (des démons, des sortes de ninjas, des entités spectrales constituées de corbeaux agglomérés,…), les adversaires ne sont pas non plus particulièrement nombreux. Les affrontements ont en revanche gagné en finesse, et le nombre de combos et de coups spéciaux réalisables ferait pâlir d’envie un Soul Calibur ! La mise en scène de ces combats est de toute beauté, bien supérieure à ce qu’on pouvait voir dans le premier épisode (et dieu sait s’il n’était déjà pas mal dans son genre). Le prince peut également utiliser deux armes simultanément : son cimeterre magique et n’importe quelle autre arme ramassée sur un ennemi (hachette, sabre, marteau de guerre,…). Cette deuxième arme sert également de projectile à distance. A noter que les ennemis ne nécessitent plus d’être achevés avec la dague du temps. Le Prince pourra cependant, au bout de quelques heures de jeu, utiliser à nouveau le pouvoir de déformation temporelle pour revenir quelques secondes en arrière dans le temps et éviter une mort malencontreuse.
En fait, la principale originalité de ce Warrior Within tient à ses voyages temporels. En franchissant des portails disséminés à travers la forteresse, vous pourrez explorer l’endroit à deux époques différentes : au moment de la création des sables du temps, alors que le palais était habité, et durant le temps présent, alors que les siècles ont fait leur office et que l’endroit est en ruines. La même salle sera ainsi très différente suivant l’époque à laquelle on la traverse, et les changements qui sont apparus au fil des siècles (mur détruit, colonne effondrée, etc.) permettront de progresser dans une époque mais pas dans l’autre. Ne vous imaginez cependant pas que le jeu vous demandera de cogiter, d’explorer méthodiquement le palais et d’emprunter les portails au moment opportun : la progression se montre très dirigiste, et vous emprunterez automatiquement les portails quand le scénario le réclamera. Traverser les portails vous dotera également d’un pouvoir spécial à chaque fois : on retrouvera ainsi la faculté de revenir quelques secondes en arrière mais également une augmentation de la barre d’énergie, la faculté de ralentir le temps autour de vous, et des combos supplémentaires.
Au niveau de la réalisation, c’est du grandiose une fois de plus. Bien qu’il soit notoirement plus gore et plus « adulte » que son prédécesseur (décapitations à la chaîne et corps tranchés en deux dans le sens de la hauteur… tout un programme !), Warrior Within présente également un design un peu plus comic-book et moins réaliste que les sables du temps. La différence ne tient pas à grand-chose : des sprites un peu plus trapus, des traits un peu plus marqués, des mouvements un peu plus rapides,… certains éléments (les voix ridicules des défenseurs du palais) ajoutent même un petit côté « Evil Dead » à la sauce. Oubliez aussi le palais raffiné du premier épisode : l’action se déroulera ici dans des ruines brumeuses et inquiétantes. Même lorsqu’on retourne dans le passé, dans le palais au temps de sa splendeur, les décors tiennent plus du donjon médiéval que de l’élégance orientale. Une toute autre atmosphère en somme, qui correspond bien à l’esprit nettement plus noir de ce deuxième épisode de Prince of Persia, mais qui se montre au final moins séduisante. On n’échappe malheureusement pas à une certaine monotonie visuelle d’autant plus que, si l’idée de traverser le palais à deux époques différentes est excellente pour le gameplay, elle limite quelque peu la variété des lieux présentés. Enfin… l’excellence des mouvements et la classe totale des combats rattrapent amplement la sauce.
Petite faiblesse au niveau de la jouabilité, en revanche. Warrior Within est d’une difficulté sans commune mesure avec son prédécesseur. Là où on progressait rapidement et avec régularité, Warrior Within vous coincera à de nombreuses reprises avec quelques séquences réellement coriaces. Je pense tout particulièrement aux rencontres avec le Dahaka, durant lesquelles vous devrez cavaler tous réflexes en alerte et négocier les pièges en une fraction de seconde tandis que cette gigantesque créature vous poursuit. Le genre de scène que personnellement, j’adore, et qui m’oblige à vérifier mon rythme cardiaque sitôt l’épreuve franchie. Je regretterai tout de même que cette difficulté accrue provienne aussi parfois d’une maîtrise des commandes curieusement inférieure à celle de l’épisode précédent. Qu’il s’agisse de mouvements imprécis ou d’une caméra mal placée, on meurt parfois très bêtement… ce qui n’arrivait jamais dans Sands of Time ! Enfin, la bande sonore est un autre motif d’étonnement. Non par la qualité des bruitages ou des voix (ces dernières sont vraiment brillantes, surtout celle du Prince qui semble perpétuellement au bord de la crise psychotique) mais par ses musiques. Nulle trace de mélodies arabisantes, d’ûd ou de sitar cette fois mais du gros metal hargneux – composé par Godsmack tout de même – qui se déclenche en cas de séquence importante ou de combat majeur. Quelque part, ça s’accorde plutôt bien avec cette ambiance qui creuse décidément dans la noirceur obsessionnelle mais… tout de même, il s’agit du Prince de Perse, pas du Prince de Détroit ou de Seattle !
En bref : 16,5/20
Warrior Within fait honneur à la série en adaptant dans un nouvel univers le fabuleux cocktail d’action et de plates-formes qui avait assuré la renommée de Sands of Time. Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de le trouver légèrement inférieur à son grand frère. L’atmosphère, toute originale qu’elle soit, s’avère moins accrocheuse. Quelques défauts, minimes mais énervants, ont fait leur apparition. Et surtout, l’effet de surprise et d’émerveillement fonctionne moins. Néanmoins très réussi, Warrior Within offre un challenge élevé, qui contentera ceux qui avaient été déçus de la relative facilité de l’épisode précédent. Par sa violence et son côté action prédominant, Prince of Persia : Warrior Within rappelle un peu Gods of War sur Playstation 2… mais en un peu moins convaincant.