Prince of Persia est sans doute l’une des dix réalisations les plus essentielles de toute l’histoire vidéoludique, au même titre qu’un Space Invaders, un Pac-Man ou un Super Mario Bros. Jeu d’action novateur, centré sur des pièges et des mécanismes complexes pour l’époque et doté d’une animation au réalisme jamais vu, Prince of Persia révolutionna tout simplement le jeu d’action, tant au niveau de sa réalisation que de son gameplay. Suivirent, en 1994, un Prince of Persia 2 bien foutu mais peu novateur et en 1999, un Prince of Persia 3D dont on dira pudiquement qu’il vaut mieux faire comme s’il n’avait jamais existé. Ce n’est qu’en 2003 que le jeune héros imaginé par Jordan Mechner retrouvera ses lettres de noblesse. Sands of Time renoue en effet intégralement avec l’esprit de la version originale, les pièges vicieux, les déplacements millimétrés et les combats haletants… mais en l’adaptant à la technologie du XXIème siècle.
Il ne s’agit cependant pas d’une simple remise à niveau du jeu original car le scénario et les possibilités d’action ont été considérablement améliorés depuis le classique sauvetage de princesse du premier jeu. Pour commencer, il y a du progrès dans la vie du prince : cette fois, il ne se retrouve pas flanqué au cachot dès le départ. Au contraire : parti conquérir avec son père le royaume d’un maharadjah voisin, le prince se distingue lors de l’assaut par sa bravoure. Alors que les troupes royales mettent la main sur un monumental sablier magique, le jeune homme s’infiltre au plus profond du palais et s’empare d’un mystérieux poignard, appelé la « Dague du temps ». Avec ce magnifique butin entre leurs mains, le prince et son père repartent vers la Perse, comptant bien s’arrêter en chemin chez le sultan de Hazad afin de lui offrir le sablier en gage d’amitié. De son côté, le grand vizir – qui s’appelle vraisemblablement Jaffar comme tous les grands vizirs – convoite passionnément la dague mais le roi décide que son fils a bien mérité de garder l’objet en récompense de son courage. Mortifié par ce camouflet, le vizir prépare sa vengeance. Lors de la réception de victoire, Jaffar persuade le prince d’utiliser la dague sur le sablier. L’objet se brise et les sables du temps sont libérés, semant la dévastation dans le palais et le plongeant dans une sorte de faille temporelle. Toutes les créatures présentes sont immédiatement transformées en créatures de sable, ni vraiment mortes ni vraiment vivantes. Seul le Prince, la Princesse et Jaffar échappent à ce funeste destin. Enfermé dans le palais devenu tombeau, le Prince n’a d’autre solution, pour survivre, que de partir à la recherche du sablier du temps, dans l’espoir d’annuler les effets du maléfice.
Heureusement pour lui – et pour vous aussi tant qu’à faire - Le prince est un véritable surhomme, une sorte de croisement oriental entre Spiderman et Neo. Voyez plutôt : il peut courir à l’horizontale sur les murs pour franchir un précipice, jouer au funambule sur des poutres apparentes, tourbillonner autour de hampes de drapeau et autres barres parallèles comme un acrobate de cirque, escalader des colonnes et des pilastres et se balancer le long de cordes tel un Indiana Jones moyen. Au sabre aussi, le jeune homme est loin d’être manchot. Outre une grande maîtrise des feintes, parades et autres coups d’estoc, le Prince est capable de bondir au dessus d’un adversaire pour le frapper dans le dos, ou même de prendre appui contre un mur pour foncer comme une torpille équipée d’une lame sur le malotru le plus proche. Et mine de rien, il lui faudra bien maîtriser ce large éventail de compétences s’il souhaite sortir vivant du palais de Hazad et lever la malédiction qui pèse sur les lieux.
Déjà, rien que l’architecture du palais a été élaborée par un obsédé de la sécurité : outre les classiques gouffres et autres planchers friables, on découvrira des piliers garnis de lames, des scies circulaires et des mécanismes d’ouverture des portes vicieux au possible. Le moindre couloir, la moindre salle exigera du Prince qu’il mette en œuvre toutes ses ressources physiques et acrobatiques s’il souhaite rester en un seul morceau. Et puis, n’oublions pas que l’endroit est toujours peuplé par ses anciens habitants (gardes, guerriers d’élite, eunuques, concubines, etc.), qui ont simplement troqué leur ancienne personnalité contre un mode de pensée nettement plus simplifié et centré autour de la notion de Prince mort. Si les combats ne constituent peut-être pas le cœur même du Gameplay de Sands of Time, ils occupent néanmoins une place bien plus importante que dans l’épisode fondateur. Les multiples techniques martiales du Prince ne seront pas de trop pour traiter avec les monstres des sables. Ces derniers ont conservé les capacités martiales qu’ils possédaient lorsqu’ils étaient humains et peuvent également se téléporter à volonté pour se rapprocher du Prince. Plus grave encore, ces monstres sont immortels, à moins que vous ne les poignardiez avec la dague du temps une fois qu’ils sont au tapis. Outre le fait d’anéantir définitivement la créature, cette action permet à votre dague de recharger, voire d’augmenter le pouvoir dont elle dispose. En effet, loin d’être un simple coutelas à patates, la dague est une arme aussi indispensable que votre épée. Outre sa capacité à tuer les zombies de sable, la dague permet également de les paralyser si vous les frappez en plein combat. Mais son pouvoir le plus utile reste sa capacité à déformer le flux temporel. Imaginez un instant que votre héros vient de trébucher en pleine acrobatie et de tomber dans un trou très profond. Plutôt que de mordre votre clavier avec rage, utilisez donc la dague du temps ! Pour autant que la dague ait encore du « sable » en réserve, vous pourrez remonter le temps de quelques secondes et ramener ainsi le prince dans une position sécurisée (à tout hasard, le bord du gouffre). Ce mini voyage dans le temps n’est pas extensible à l’infini et en cas de casse, il faudra réagir très rapidement si vous voulez que votre héros puisse repartir au combat. Outre qu’il s’inscrit parfaitement dans la logique du scénario, le pouvoir de la dague remplace avantageusement la notion de « continue automatique », en vous évitant la frustration de recommencer tout le stage mais en vous forçant également à faire attention où vous mettez les pieds (la réserve de magie de la dague n’est pas éternelle).
Evidemment, là où on trouve un prince, on trouve aussi une princesse. Cette dernière est la fille du maharadjah, ramenée au palais de Hazad avec le reste du butin. Elle est la seule personne, hormis le prince, à avoir survécu au pouvoir des sables du temps et connaît également le moyen de lever la malédiction, ce qui fait d’elle votre seule véritable alliée dans le palais dévasté. Assez mécontente de son statut de prise de guerre, la donzelle possède un caractère bien trempé et ses relations avec le prince seront souvent assez… conflictuelles. Mais de ces coups de griffes perpétuels entre les deux héros naîtra bien entendu une idylle passionnée. Hé oui… Hollywoodien jusqu’au bout, ce Prince of Persia ! Plus pragmatiquement, la princesse vous aidera de temps à autre et se paiera même le luxe de combattre à vos côtés, armée de son arc. Le problème, c’est qu’il faudra alors prendre garde à ce qu’elle ne se fasse pas dessouder par un zombie mal embouché… et comme cette conne pense rarement à fuir lorsque trois monstres lui font face, inutile de vous préciser qu’elle est plus souvent un poids mort qu’autre chose.
Réalisation graphique :
On aurait pu penser que ce nouveau Prince of Persia rendrait hommage à la relative austérité graphique de l’épisode original. Il n’en est rien : non seulement Sands of Time est un jeu passionnant, mais il est aussi superbe techniquement… à tel point que sa réalisation n’a pas pris une ride aujourd’hui. Rien que le palais dispose d’une architecture parfaitement cohérente (pas de « fondu au noir » entre les stages), et le Prince aura l’opportunité de visiter ses nombreux quartiers (salles de réception, donjon, ménagerie, bains, harem, etc.) tous plus excellemment représentés les uns que les autres. La décoration « fantaisie persane » permet aux programmeurs de laisser libre cours à leur obsession du détail : élégantes frises et arabesques le long des murs ou entre les colonnes, voiles semi-transparents tendus à travers les couloirs, poussière de sable scintillante un peu partout, … : malgré certaines séquences un peu « vides », Sands of Time est un régal pour les yeux. Dans les derniers stages, les perspectives que l’on peut avoir lorsqu’on escalade les murailles ou les minarets font tourner la tête, tant Prince of Persia mise sur le gigantisme et le côté monumental de ses décors. Quant aux adversaires, s’ils ne sont pas particulièrement variés (5 ou 6 créatures différentes, pas davantage), ils ne manquent pas de prestance et les combats sont de toute manière suffisamment trépidants (malgré un côté « une technique par ennemi et ça marche à tous les coups ») pour qu’on ne s’attarde pas trop sur cette légère raison de râler. On en arrive alors à l’animation et là, c’est le panard total : les coups, acrobaties et autres combos sont superbement retranscrits, et soulignés à l’occasion par l’un ou l’autre ralenti Matrix style du plus bel effet.
En résumé, malgré la présence novatrice de nombreuses scènes en extérieur, on retrouve la signature visuelle et ludique du premier Prince of Persia – un complexe de salles piégées à l’architecture complexe – littéralement magnifiée avec les années.
Jouabilité / difficulté
Si le soft recommande de préférence l’usage d’une manette analogique, on s’en sort – contre toute attente – très bien au clavier. Les mouvements sont souples et précis, et on rate rarement son coup en se livrant à toutes ces acrobaties. Heureusement, car vu les réflexes et le timing millimétré réclamé par la plupart des séquences, le moindre faux-pas dans la maîtrise du personnage aurait rendu Prince of Persia injouable et frustrant. Le soft n’est pourtant guère difficile à boucler et l’utilisation de la dague permet de ne jamais perdre patience face à ses propres maladresses. On termine donc le jeu relativement vite mais ces fameuses séquences nécessitant des réflexes d’acier vous feront néanmoins retenir votre respiration pendant de longues secondes. Si j’avais un reproche à adresser au soft, il s’agirait des combats contre les créatures des sables. Ces dernières sont très simples à vaincre une fois qu’on a pigé la technique, aussi Ubi Soft a-t-il remédié à ce problème en abusant du nombre de monstres qui vous agresseront. Il n’est pas rare de devoir se farcir une vingtaine de créature à la chaîne dans certaines salles. Non que ces combats soient excessivement difficiles mais ils sont longs et on a parfois l’impression qu’ils gonflent artificiellement la durée de vie du soft.
Son
Le doublage est impeccable, voilà qui fait plaisir. Et bien que le scénario soit cousu de fil blanc, il est toujours plaisant d’assister à des échanges entre personnages qui n’aient pas l’air d’avoir été enregistrés par un stagiaire qui passait par là. Les bruitages, quoique désagréablement bruyants par rapport au volume sonore moyen du jeu, sont de bonne qualité. Quant aux musiques, elles ne retentissent que durant les combats, sous la forme d’envoûtantes mélopées orientales qui virent parfois au rock hargneux.
En bref :18,5/20
Prince of Persia fut et est une claque à tous points de vue. Technique tout d’abord : graphismes superbes, mouvements éblouissants de réalisme, atmosphère cinématographique, il soigne sa crédibilité jusque dans ses moindre détails. Ludique pour continuer. On y retrouve tout ce qui faisait le charme du jeu original : les pièges, les combats, les acrobaties à couper le souffle… tout ça puissance 10 évidemment. A cela vient s’ajouter le principe de la dague du temps, résolument original, et qui remplace avantageusement le système des continues automatiques. Bien qu’assez facile, Sands of Time est long, et on passera tout de même un certain temps dessus avant d’en voir le terme. N’hésitez pas un seule seconde, ce premier épisode des « nouveaux » Prince of Persia est probablement le meilleur de toute la série !