Planescape Torment est un jeu vidéo PC publié par Interplayen 1999 .

  • 1999
  • Role Playing Game (RPG)

Test du jeu vidéo Planescape Torment

5/5 — Parfait ! par

Quand Planescape Torment déboula sur PC, je le considérai immédiatement avec une certaine appréhension. Converti de fraîche date à la magie de la série des Baldur’s Gate, j’avais un peu de mal à imaginer qu’un RPG ne se déroulant pas dans les Royaumes Oubliés puisse présenter un réel intérêt. L’univers, tel que le magazine Joystick l’avait présenté à l’époque, me paraissait caricatural, voire même franchement bancal. Les photos publiées dans le magazine laissaient l’impression d’un monde sinistre et gris, à mille lieux des merveilles architecturales de la Porte de Baldur. Non, décidément, ce Planescape Torment n’était pas fait pour moi. Je me drapai donc dans ma morgue d’intégriste, et laissai Planescape Torment végéter gentiment hors de ma demeure. Quelques mois plus tard, vaguement inquiet des commentaires incessants me signifiant que « je n’avais aucune idée de ce que je ratais », je me décidai enfin à me procurer l’objet controversé. Après un démarrage un peu lent, qui semblait devoir confirmer mes pires à prioris, je pénétrai enfin au cœur de l’univers de Planescape. Quelques semaines plus tard, j’avais perdu dix kilos, ma femme m’avait quitté, mes amis avaient placardé des avis de recherche me concernant et la plupart de mes animaux domestiques étaient morts de faim et de solitude. Mais j’étais venu à bout de Planescape, avec la sensation d’avoir joué au meilleur RPG jamais conçu par un esprit humain. Vous ne me croyez pas ? Patience, je vais expliciter tout cela.

Les joies d’être mort:

Contrairement aux autres jeux Bioware utilisant les règles AD&D, Planescape Torment ne vous permet pas de sélectionner l’apparence, la race ou la profession de votre personnage principal, qui sont imposés par le jeu dès le départ. Vous incarnerez obligatoirement un « humain » sans profession déterminée et dépourvu de nom. La seule chose qu’il vous sera possible de paramétrer seront les 6 caractéristiques physiques et mentales propres à tous les jeux basés sur les règles AD&D. En ce qui concerne la profession, il vous sera néanmoins possible, en cours de partie, de vous diriger vers le statut de guerrier, de voleur ou de mage, voire des trois à la fois en rencontrant certains PNJ et en suivant leurs enseignements. La seule restriction est qu’une fois une nouvelle orientation engagée, vous ne progressez plus dans votre ancienne discipline.

Question apparence, le brave Sans-nom n’a pas été gâté par la nature. Indiscutablement, il a dû être humain un jour ou l’autre, mais c’était sans doute il y a bien longtemps. Car Sans-nom a tout du cadavre antédiluvien fraîchement exhumé, avec sa peau parcheminée et bleuâtre, et ses traits figés et ridés par les outrages du temps. Pour ne rien arranger, il semble être fréquemment passé à l’attendrisseur vu le nombre invraisemblable de cicatrices qui constellent son corps. C’est d’ailleurs sur une dalle de morgue que ce personnage d’un abord peu sympathique va se réveiller, ignorant du lieu où il se trouve, de son passé et même de son propre nom. Heureusement, Morte, le premier allié de Sans-nom se trouve dans les parages et va rapidement le mettre au parfum. Oui, Sans-nom est mort, du moins, il l’était jusqu’il y a peu. Oui, il se trouve à la morgue de Sigil, également surnommée la « Cité aux milles portes », une immense métropole située sur une aiguille rocheuse au centre du multivers, à l’intersection des différents Plans. Non, il n’y a rien à craindre des employés morts-vivants de la morgue, trop décérébrés pour faire preuve de la moindre initiative personnelle, mais bien davantage à redouter de la part des dirigeants de l’endroit, peu enclins à considérer l’idée que leurs « clients » n’acceptent pas leur sort. Morte vous signale également qu’un message est tatoué dans votre dos, vous apprenant qu’en cas de réveil post-mortem impromptu, les informations utiles se trouveront dans votre journal personnel en possession d’un certain Pharod. L’aventure peut débuter… Au fur et à mesure de votre progression, vous allez peu à peu découvrir que Sans-nom est immortel. A chaque fois qu’il perd la vie, son cadavre est ramené à la morgue, et il peut immédiatement repartir à l’aventure, moyennant une légère baisse des points d’expérience. Vous découvrirez également que cela fait apparemment très longtemps qu’il rôde dans Sigil dans cet état, même s’il ne garde aucun souvenir de ses existences antérieures. En effet, de nombreux habitants du coin semblent le connaître, ou viennent clairement lui réclamer de l’argent qu’il leur doit, ou quelque chose qu’il devait leur apporter. En parlant avec ces personnes, en accomplissant certaines actions ou en visitant de nouveaux endroits, votre personnage sera parfois envahi par un flot de réminiscences de ses anciennes incarnations, ce qui lui permettra d’en apprendre plus long sur lui-même et de gagner des points d’expérience. Pour vous donner un petit exemple « visuel », le patron d’un bar de la cité vous réclame les 300 pièces d’or que vous lui aviez promis des années auparavant pour le dédommager d’avoir dévasté l’endroit. Si vous parvenez à rassembler la somme, il vous rendra votre œil, que vous aviez laissé en gage. Ré-incruster cet organe dans son orbite vous permettra d’avoir accès à tous les souvenirs « vus » par cet œil lors de cette incarnation de vous-même. Une autre fois, une vieille chirurgienne fouillera vos entrailles et y découvrira un objet bien utile, que vous aviez prudemment rangé là des décennies auparavant.

Kisses from Sigil

Il faut maintenant évoquer l’endroit où se dérouleront les principales pérégrinations du mort-vivant. Sigil est un véritable gruyère en ce qui concerne les passages inter-dimensionnels. Il y en a partout : sur les murs, dans un encadrement de porte, dans un tas d’ordures, dans un buisson. Les moyens de déclencher l’apparition de ces portails sont aussi nombreux que les portails eux mêmes : il peut s’agir d’être en possession d’un objet précis, de siffler une chanson ou de penser à quelque chose de particulier. Car si l’essentiel de l’action se déroulera bel et bien dans les différents quartiers de Sigil, vous aurez également la « chance » de visiter le plan infernal de Baator ou encore, l’Outre-Terre et la cité damnée de Maudith. Mais Sigil en elle-même vous offrira déjà de nombreuses aventures extraordinaires. On y trouve pèle-mêle un immense quartier glauque et sordide, appelé la « Ruche », des zones industrielles, des quartiers aisés, des égouts, des catacombes oubliées, des quartiers ensevelis sous terre depuis des siècles, des manoirs, des magasins, des repaires secrets, des laboratoires de mage et bien d’autres choses. L’organisation politique de l’endroit est également très complexe. Sous le haut patronnage d’une inquiétante « Dame des douleurs », de nombreuses factions coexistent dans la cité. Certaines ne peuvent pas se voir en peinture, d’autres s’entraident pour de bonnes ou de visqueuses raisons, et toutes complotent et tissent une toile d’intrigues pour gagner du pouvoir. On peut citer les « hommes-dieux » de la fonderie, qui pensent atteindre un plan de conscience supérieur en pliant la matière à leur volonté ; les « sensats », aristocrates décadents des quartiers aisés qui ne vivent que pour éprouver de nouvelles sensations au moyen d’appareillages compliqués qui gardent captives des émotions de joie, de souffrance, de désir, de faim ou de mort ; les « hommes-poussière », des intégristes morbides qui gèrent la morgue et pensent que la mort est une fin ultime et désirable ; les « Récupérateurs », des clochards et autres pauvres hères qui gagnent leur subsistance en ramassant les cadavres et en les apportant aux hommes-poussière ; l’Harmonium, milice privée qui tente de maintenir un certain équilibre dans la cité; les « Rectifieurs », guerriers surentraînés qui font régner une justice aussi rigide qu’expéditive, et beaucoup d’autres associations avec ou sans but lucratif. Il sera possible de rejoindre une ou plusieurs de ces factions suivant l’intérêt du moment. Quant à la population de Sigil, elle est bigarrée et variée au point de faire passer Eauprofonde ou la Porte de Baldur pour des villages de province. Si les humains y sont en nombre importants, on y rencontre aussi des Bariaures, des Abishaïs (balors mineurs) en goguette, des zombies, des goules, des tieffelins, des aasimars, des rats-crâne (d’abominables petits rongeurs dont l’intelligence augmente proportionnellement à leur nombre) et des rats-garou, de mystérieux Dabus qui se dévouent à une mission connue d’eux seuls, et de nombreuses sales bestioles aux crocs acérés. Comme vous pouvez le constater, la richesse et la précision de cet environnement lui confèrent un aspect presque réel. Mais ce n’est pas tout : ainsi, le vocabulaire utilisé par les classes inférieures de la population est surprenant et coloré, et il faudra s’accoutumer à des expressions aussi folklorique que « Je vais te dévoiler la chanson » (Je vais t’expliquer ce qui se passe ») ou « Ce bige me doit du jonc » (Cet homme me doit de l’argent). Un côté exotique qui contribue fortement à l’impression de réalité qu’insuffle l’univers de Planescape.

Les meilleurs amis que j’ai jamais eu :

L’aventurier expérimenté ne partant jamais seul en mission, des alliés se présenteront à vous au fil et à mesure de l’aventure. Si leur nombre est assez limité, leur originalité et leur personnalité très fouillée sont sans commune mesure avec ce que proposent les autres RPG. Le petit Morte sera votre premier compagnon de route : c’est un mimir (crâne lévitant utilisé par les sorcier) ronchon, grossier, râleur, dissimulateur et obsédé sexuel. Malgré son allure ridicule, Morte est non seulement une source inépuisable d’informations sur tous les sujets, mais également un allié rapide et dangereux, dont la morsure fait très mal. Vous pourrez d’ailleurs lui racheter de nouvelles dents plus puissantes au cours de la partie. Sa capacité favorite, qui progressera au cours de la partie, consiste à balancer un torrent d’injures obscènes et salaces aptes à faire perdre contenance au plus zen des mages. Vous débaucherez également Dak’kon, un guerrier-mage gitzhéraï (race aux puissants pouvoirs capable de sculpter la matière à partir du néant) taciturne et mystique, qui semble vous suivre aveuglément pour des raisons que lui seul connaît ; Hannah, une jeune voleuse tieffeline (mi-homme, mi-démon) bravache et sauvageonne ; Fall-from-Grace, une succube raffinée dotée de grands pouvoirs curatifs ; Ignus un mage psychotique et fou furieux en combustion perpétuelle ; Vhaïlor un paladin si rigide dans ses convictions que même la mort n’a pu l’empêcher de continuer sa mission (qui se révélera surprenante quand vous en découvrirez la teneur !) et Nordom, un modrone (entité mi organique, mi mécanique) chassé de son peuple pour avoir commis l’offense d’avoir une opinion personnelle. Il vous sera possible d’emmener 5 de ces alliés avec vous en même temps. Outre l’originalité intrinsèque de ces personnages, un des grands points forts de Planescape réside dans l’interaction perpétuelle qui existe entre vous et vos camarades d’aventure. Si certains, comme Ignus ou Nordom, ne possèdent guère de conversation digne de ce nom, d’autres semblent déborder de secrets inavoués, de mensonges déguisés, de frustrations enfouies, de craintes inexprimées… la plupart du temps vis-à-vis de vous, ou plutôt d’un « ancien vous »…

Grey is beautiful

Autant vous le dire tout de suite : je suis complètement à genoux face à Planescape Torment ! Pourtant, certains joueurs semblent éprouver quelques difficultés à rentrer dans cet univers, dont l’esprit et l’atmosphère très particuliers peuvent, il est vrai, laisser perplexe. Pourtant, visuellement, Planescape est une véritable merveille, bien que la définition graphique soit relativement limitée par rapport à un Baldur’s Gate II. Ce sont surtout le style et le design des décors, véritablement uniques, qui interpellent. On pourrait définir l’esprit de cette architecture comme un mélange de Revolution industrielle dévoyée, avec de nombreuses traces de médiéval, et des courbes et perspectives d’inspiration non humaine. L’originalité des créatures rencontrées, et même la variété des simples citoyens de Sigil donnent une cohérence et un réalisme rarement vu à cet univers. Il vaut mieux que les incorrigibles optimistes soient prévenus que l’univers de Planescape ne respire pas particulièrement la joie de vivre : les teintes dominantes oscillent entre le gris, le noir, le verdâtre et l’ocre, et les fleurs et les petits oiseaux n’abondent pas vraiment dans les rues de Sigil… L’usage des pouvoirs magiques donne lieu à des animations tout simplement superbes. On ne se lasse jamais d’observer un « marteau spirituel » tournoyer lentement autour de sa cible avant de s’abattre sur elle avec une violence inouïe. Les plus puissants des sortilèges proposés par le livre de sorts donnent même lieu à des animation vidéo à part entière, comme cette créature serpentine qui jaillit d’un plan infernal pour dévorer l’ennemi, ou cette énorme canon qui tire son projectile depuis l’autre extrémité du multivers.

On n’ergotera même pas sur les voix, moins caricaturales que dans la série des Baldur’s Gate, mais on regrettera que seuls les personnages les plus importants de Planescape puissent bénéficier de ce luxe. Il n’aurait de toute façon pas été techniquement possible de doubler tous les textes présents dans le jeu, qui ne se contente pas d’afficher les dialogues entre personnages, mais décrit également ces derniers et leur attitude avec un luxe de détails digne d’un véritable roman. Quant aux thèmes musicaux, parfaitement adaptés à chaque situation, ils figurent parmi les plus fantastiques jamais insérés dans un RPG La mélodie de Deïonnarra pourrait bien vous fendre le coeur, vous verrez !

Homme ou brute, faites votre choix

Cerise sur le gâteau, la jouabilité ne posera pas le moindre problème aux joueurs ayant déjà une certaine habitude des RPG Black Isle. Si l’interface graphique des menus de jeu est relativement différente de celle des autres jeux de cet éditeur, elle demeure tout aussi instinctive et on la prend en main très facilement. Mais la principale caractéristique de Planescape provient de la manière atypique dont le joueur devra gérer l’évolution de son personnage. Dans Baldur’s Gate, il était conseillé de créer un personnage assez équilibré, afin de ne pas se retrouver totalement démuni face aux quelques énigmes du jeu ou aux sorts mentaux. A l’inverse, incarner un beau parleur mondain pas fichu de tenir une épée était impossible, vu que de nombreux ennemis avaient tendance à s’acharner sur votre personnage principal dont la mort signifiait la fin du jeu. Quoi qu’il arrive, la progression n’était pas fondamentalement différente suivant que l’on incarnait plutôt un intellectuel ou une brute épaisse. On loupait bien quelques éléments dans le second cas de figure, et les combats étaient plutôt ardus dans le premier mais dans l’ensemble, la plupart des éléments capitaux du scénario étaient quand même en votre possession au terme de la quête. Planescape n’adhère pas du tout à ce principe. Il est bien évidemment possible de se la jouer Grosbill, et de faire de Sans-nom un voyou sans cervelle. Certaines zones, comme les égouts de Sigil, sont de véritables terrains de chasse pour guerrier, bourrées de créatures mortellement dangereuses qui se renouvellent à chaque visite. A condition d’y mettre le temps, il est donc possible d’atteindre le maximum d’XP en se la jouant à la sauvage. Mais seuls les personnages intelligents auront accès à certaines réponses lors d’énigmes à résoudre ou pourront apprendre la langue des morts-vivants à un certain moment du jeu. Seuls les êtres pleins de sagesse et de charisme sauront gérer efficacement les dialogues afin d’amener vos alliés à dévoiler peu à peu leurs motivations et leurs passés. Sans ces éléments, une bonne partie de la profondeur du jeu disparaît si on s’avère incapable d’interagir avec les alliés autrement qu’en tant que renforts martiaux. Porter son choix sur un guerrier limite retardé mentalement est vraiment la pire des options à envisager si on souhaite profiter au maximum de toutes les possibilités de Planescape Torment. Dernier élément pour convaincre les adeptes des personnages à niveau astronomique d’abandonner leur double-hache +7, la majeure partie des points d’expérience provient de la résolution d’énigmes ou des dialogues menés fructueusement.

**Le RPG ultime : 19,99999/20 **

Je pense n’avoir jamais collé la note maximum à un soft depuis que je teste des jeux sur Emunova et je le ferai pas encore cette fois, mais il ne s’agit que d’un vil subterfuge. Planescape Torment est le meilleur RPG auquel j’ai eu le plaisir de m’adonner. Voilà, j’ai craché le morceau, je ne peux plus revenir en arrière. Il n’est peut-être pas le plus beau parmi tous, mais certainement l’un des plus riches, des plus longs et des plus psychologiquement fouillés qui soient. Je l’estime même supérieur à la série des Baldur’s Gate, intouchables parmi les intouchables dans ma hiérarchie personnelle des jeux historiques. Malgré le moins grand nombre de personnages et de sorts, Planescape se montre aussi passionnant que la célèbre trilogie de la Côte des épées, si ce n’est qu’il offre un plus grand nombre de quêtes et un profil psychologique nettement plus travaillés pour les personnages jouables. Certains grincheux se sont plaints du trop grand nombre de dialogues présents dans le jeu. En effet, non seulement les dialogues entrent les personnages apparaissent à l’écran mais également une description du personnage, de ses actions et de ses réactions. Le style est agréable à lire. La traduction, en dépit d’infimes erreurs, a été très professionnellement réalisée et on a réellement l’impression de dévorer un roman passionnant écrit par un maître de la Fantasy. Evidemment, pour ceux qui sont hermétiques à la lecture et ne cherchent qu’un lattage de monstres à grande échelle, Planescape risque de poser un petit problème. Qu’ils retournent donc jouer à Diablo ! L’orientation radicalement différente que prendra la progression suivant le type de personnage envisagé est une idée novatrice qui fonctionne à merveille. Suivant la manière dont vous gérerez l’affaire, Planescape Torment sera un RPG… ou un jeu d’aventure. Pour ma part, je dois l’avoir terminé une demi-douzaine de fois depuis qu’il est en ma possession et à chaque partie, j’ai découvert de nouvelles quêtes, de nouveaux secrets chez les équipiers, de nouveaux éléments biographiques pour Sans-Nom. J’ai beau chercher, je ne trouve pas le moindre défaut à ce chef d’œuvre. Pourquoi diable ne lui avoir jamais donné de suite ?

Planescape Torment