Tremblez, couards et amateurs de jeux d’aventure complexes, car Sierra revient avec la suite de son célèbre jeu d’aventure fantastico-gore ! Après un premier épisode intéressant mais dont les qualités réelles ne rencontraient pas vraiment les ambitions démesurées de départ, Sierra réédita dans sa tentative de réaliser un jeu d’aventure dans une ambiance d’épouvante. Exit Roberta Williams, et bonjour à Lorelei Shannon pour le scénario de cet épisode, qui se déroule dans un contexte totalement différent. La nouvelle responsable du projet semble en tout cas avoir décidé que le temps des minauderies à la « un brin de poésie au coeur de la boucherie » était révolu et l’objectif est clairement d’offrir un jeu exclusivement destiné à une « clientèle adulte avertie » comme on dit pudiquement dans les arrières salles des video-clubs. Phantasmagoria II marque en outre le passage d’un jeu d’aventure assez classique à quelque chose de plus « interactif » (comme on disait à l’époque pour attirer le chaland…). Là où le premier jeu mélangeait acteurs et décors dessinés à la main, le second se déroule intégralement en vidéo. Là où le premier jeu proposait un cheminement majoritairement composé d’objets à trouver et à utiliser au bon endroit, le second propose moins d’énigmes de ce type et repose plus sur les dialogues et le fait de se rendre au bon endroit au bon moment. Le succès commercial ne fut cependant pas au rendez-vous, le public semblant déjà s’être lassé de ce type de gameplay à cette époque.
Niveau scénario, Phantasmagoria II fera vivre au joueur les évènements morbides qui gravitent autour de Curtis Craig, un brave type qui bosse à la WynTech corp., entreprise spécialisée dans… euh… bonne question… on ignore tout de la nature de l’entreprise en fin de compte. Dans la vidéo d’introduction, on comprend également que Curtis a un certain passé psychiatrique derrière lui. Par le passé, il semble avoir souffert de crises psychotiques récurrentes, mais le Curtis qui se présente à nous au début du jeu paraît être un individu tout à fait normal, le trentenaire célibataire typique, vivant reclus dans son appartement de célibataire avec son rat domestique.
Chaque matin / chapitre se déroule selon le rite immuable du lever, des deux-trois trucs à accomplir chez soi, puis du départ vers le taf, avec pause-midi au resto du coin. L’atmosphère du service où travaille Curtis a été conçue avec un certain souci du réalisme. Ceux qui travaillent dans un bureau de ce style me le confirmeront ! On y retrouve le supérieur hiérarchique coincé mais honnête, le bon pote à l’humour graveleux, la plus ou moins petite amie gentille et un poil pot-de-colle, la nymphomane qui ne rêve que de coucher avec vous, et le sale con arriviste qu’on enverrait bien au diable. D’ailleurs, c’est ce qui arrive très vite, dès le deuxième chapitre, et lance véritablement l’enchaînement inextricable d’évènements macabres. Le soir du premier jour, le sale con travaille tard et décide de jouer un tour de cochon à Curtis en effaçant ses dossiers informatiques. Le lendemain, on retrouve le farceur vidé comme un goret, crucifié à coup de poinçon, le crâne défoncé au presse-papiers et la gueule cousue à l’agrafeuse. Curtis, lui, a très bien dormi, merci pour lui. Au fil des jours, les meurtres, de plus en plus atroces, se succéderont dans l’entreprise, tandis que Curtis sera en proie à des hallucinations de plus en plus dérangeantes, liées au mystère de ses origines (non, il n’est pas le fils de Roberta Williams et de Wes Craven).
Comme souvent dans les jeux d’aventure qui se veulent réalistes et « sérieux », les énigmes ont un petit parfum illogique au second degré involontaire. Les premières minutes de jeu en sont un parfait exemple. Curtis se lève, relève le courrier, regarde un peu les photos et les trucs en tous genres qui traînent dans l’appartement, puis essaye de sortir de chez lui. Manque de pot : Curtis a paumé son portefeuille avec ses clés à l’intérieur. Sans son portefeuille, il ne peut sortir de chez lui et est condamné à mourir lentement de faim. C’est comme ça dans les jeux d’aventure. Trèves de plaisanteries, on trouve rapidement le portefeuille sous le canapé, malheureusement trop loin pour être atteint. Bouger le canapé est évidemment hors de question, ce serait trop simple. Il y a bien un balais dans l’appart mais on ne peut pas cliquer dessus. Mais Curtis n’a-t-il pas laissé entendre au début du jeu qu’il entraînait son rat à aller chercher de petits objets ? Et hop, on flanque le rat sous le canapé, on déniche un bout de chocolat dans un tiroir pour récompenser l’animal, et voilà le rongeur qui ressort avec le portefeuille. Comme auraient dit les Nuls, on a retrouvé l’homme le plus compliqué du monde…
Le fait de pouvoir échanger des mails avec ses collègues de bureau est possible et c’est d’ailleurs assez amusant. Le bon pote vous envoie des blagues salaces, la copine vous rappelle le resto en amoureux du soir, la nympho vous fait des propositions indécentes… Pour chaque mail, plusieurs types de réponses sont possibles, comme « réponse enflammée », « répartie cynique », « réponse sympathique », etc. Tout cela ne sert rigoureusement à rien pour progresser dans le scénario, mais cela rajoute un petit côté réaliste et sympathique.
Evidemment, le principal argument de vente de Phantasmagoria II ne résidait pas dans son génie ludique ou ses à-côtés sympathiques, mais dans son approche résolument adulte. Et adulte, Phantasmagoria II l’est indéniablement, bien davantage que le premier épisode qui restait finalement proche d’un style fantastique à tendance gothique assez éculé, comme un mélange de Carmilla et de Shining à la petite semaine, au mieux. Dans Phantasmagoria II, rien ne vous sera épargné : gore à tous les étages, scènes de mutilations sanglantes, nudité (Ciel ! Mais c’est vrai qu’à l’époque, c’était assez rare.) fétichisme sado-maso, … On est assez loin du sexe soft et de la violence kitch du premier Phantasmagoria. Le jeu peut également se targuer d’avoir inséré pour la première fois dans un jeu vidéo un personnage bisexuel qui ne soit pas une caricature jaillie de « Priscilla folle du désert ». Heureux détenteur aux USA d’une floppée de codes scabreux indiquant qu’il était clairement une réalisation du Malin, Phantasmagoria II fut purement et simplement banni en Allemagne, dans sa version non-censurée du moins.
Réalisation technique :
Difficile de décrire la réalisation d’un jeu exclusivement constitué de vidéos. Tout au plus peut-on affirmer que la définition de ces vidéos est d’assez bonne qualité pour l’époque, que l’environnement filmé est crédible, que l’incrustation des personnages dans les décors photographiés est nickel, et que les acteurs s’en tirent bien dans l’ensemble (même si comme d’habitude, il y a cette inévitable tendance du personnage principal à surjouer ses moindres actions). Le doublage est correct et les musiques jouent le rôle qu’elles doivent jouer dans toute série vaguement fantastique : silencieuses la plupart du temps, angoissantes lorsque quelque chose va se passer, retentissantes lorsque que ça se passe. Le scénario est plutôt bien ficelé et au fil des chapitres, on se demande réellement ce qui peut bien se tramer dans cette mystérieuse entreprise. Du fait que l’histoire se révèle accrocheuse, on fait donc moins attention au fait que les énigmes sont très simplistes et qu’on est en fait davantage spectateur que joueur. La violence et l’aliénation augmentent crescendo jusqu’à la révélation finale. Et puis là… c’est la catastrophe ! La fin du jeu qui aurait logiquement du être le point d’orgue de l’aventure est d’un ennui consommé. Sans trop vous révéler sa substance, il s’agit de la seule partie du jeu où les décors ont été dessinés et c’est assez moche. De plus, on se retrouve à combiner des trucs bizarroïdes avec des bidules incongrus, sans qu’il y ait la moindre logique, et on progresse par tentatives successives. Quand toute réflexion, même farfelue, est évacuée d’un jeu d’aventure, ce n’est vraiment pas une bonne chose. Heureusement, le reste de l’aventure n’est pas du même tonneau. Comme je l’ai dit, le jeu comprend beaucoup de moments où il faut simplement parler à un personnage pour faire progresser l’aventure. Parfois, il faut même se livrer à des actions incongrues comme « travailler ». A la fin de la première journée par exemple, bien que l’on ait récupéré tous les objets et parlé à tout le monde, plus rien ne se passe. La solution est de cliquer plusieurs fois sur le clavier de Curtis pour « travailler ». Aargh… Néanmoins, on rencontre également suffisamment d’énigmes à l’ancienne (du style « utiliser tournevis sur vis ») pour que Phantasmagoria évite l’intérêt zéro qui caractérise les réels « films interactifs ».
En bref : 14/20
Considéré comme un jeu d’aventure stricto senso, Phantasmagoria II reste assez léger. Les énigmes à résoudre ne sont pas les plus originales jamais imaginées. Le fait de parler à tout le monde plusieurs fois pour faire progresser le scénario n’est pas le gameplay le plus excitant du monde. Seul petit élément de stress, le temps est limité pour accomplir certaines actions. Il faut donc parfois SE DEPECHER de parler à Pierre ou Pol sous peine de voir l’aventure prendre un tour désagréable. Terrifiant, non ? Cependant, si Phantasmagoria II dispose d’un gameplay plutôt basique et occasionnellement frustrant (c’est énervant d’être bloqué parce qu’on a oublié de parler une quatrième fois à un personnage), l’histoire est suffisamment captivante, les acteurs suffisamment bons et l’atmosphère suffisamment angoissante pour que l’on s’accroche à l’envie de terminer le jeu, ce qui ne s’avère finalement pas très compliqué. Comparativement au premier épisode, si les énigmes en elles-même sont encore moins intéressantes et si l’ambiance paraît à priori moins attrayante, Phantasmagoria II a le grand mérite de proposer un scénario solide et sans mièvrerie, un peu plus consistant que les déboires d’Adrienne au manoir Karnovash. En résumé, ludiquement faible, scénaristiquement bon. Et comme l’aventure proposée se laisse vivre sans mauvaise volonté, c’est tout ce qui compte.