Introduction
Après les productions à succès des maisons Blizzard et Westwood, il était difficile d’imaginer que l’innovation fût encore possible dans le monde des STR. Pourtant, en 2001, une équipe tchèque tente l’improbable avec Original War. On pourrait qualifier cette expérience hasardeuse de sorte de chimère conceptuelle, maintenue par une solide armature scénaristique, le tout matérialisé sous les traits d’un style « BD adulte » semblable au coup de crayon d’un certain Van Hamme.
Mais avant toute chose, laissons place au contexte.
Point Zero
Pourquoi un titre pareil me direz-vous, il n’y a rien de très original là-dedans. En fait, il faut traduire « Original War » comme Guerre Originelle, et même, comme dit le jeu, Guerre Mondiale Zéro. Et oui, sachez que ce conflit mondial à lieu à l’aube même de l’humanité, 2 millions d’années avant la naissance du petit Jésus.
Comment cela est-il donc possible ? Imaginez que le mur de Berlin ne soit pas tombé, que l’URSS ait tenu bon face aux États-Unis d’Amérique. La guerre froide, relique de la deuxième guerre mondiale, s’est encore accentuée avec la diminution des ressources naturelles.
Cela se corse quand les Américains découvrent en Alaska un étrange artéfact, d’origine inconnue, permettant de voyager dans le temps. Pour fonctionner, il a besoin d’un composé extraordinaire, rien de moins que le catalyseur de fusion froide ! Pas de bol justement, puisque quasiment toutes les ressources se trouvent en Sibérie, alors que les Russes n’en soupçonnent même pas l’existence.
Il n’est pas question d’entrer clandestinement en territoire Russe sans déclencher l’apocalypse sur Terre. Une folle décision a donc été prise : des soldats, des ingénieurs et des savants Américains partent pour un voyage sans retour de près des 2 millions d’années dans le but d’extraire toute la « Sibérite » et la transporter sur ce qui sera un jour l’Alaska !
Mais quelles en seront les conséquences pour le futur ? Nul ne doute alors que l’avenir est déjà modifié. Par une ironie du sort, Américains et Russes venant d’un avenir différent vont désormais se disputer le moindre gramme de Sibérite… ou d’Alaskite !
Chimère ou bestiole sans queue ni tête ?
Pour un jeu qui se revendique unique et original, une sensation de déjà vu pourra accompagner le joueur. Surtout si ce dernier à connu le « pliocène » des jeux vidéo, une lointaine époque située entre les années 1990 et 1995. Ainsi, pour ceux-là, diriger vos soldats dans une jungle hostile, utiliser des tourelles et des véhicules pour faire sauter des bâtiments vous fera remonter la nostalgie d’un Cannon Fodder. La gestion de vos hommes n’est pas sans rappeler X-COM, puisque vous avez le luxe de choisir vos équipiers selon leurs compétences particulières. Pour finir, il vous faudra rechercher et assembler des composants de véhicules comme le proposait Dominium ou When Two World War. Cependant nos amis Tchèques proposent aussi des choses ! Je vais parler maintenant de leurs « ajouts ».
Pour commencer, vos hommes ne sont présents qu’en nombre limité et il est impossible d’en « créer » de nouveaux. Rien que pour cela, les « hardcores gamers » seront déçus de ne pas « rusher » par centaines, provoquant d’inévitables bains de sang. Non, ce jeu est plus subtil que cela, puisque l’on peut considérer chacun de vos équipiers comme une unité « héros ». Un système RPG est présent et permet l’évolution des quatre compétences disponibles, à savoir la compétence militaire, l’ingénierie, la mécanique et la scientifique. A ce titre donc, et sachant que les positions défensives donnent presque toujours un avantage décisif, tout rush en début de partie sera voué à l’échec.
Pour pousser encore plus loin le réalisme, tous les hommes sont capables d’effectuer différentes tâches durant la même mission, simplement en les réaffectant dans un bâtiment. Le scientifique peut donc participer à la construction de son laboratoire au lieu d’attendre bêtement, le mécanicien peut aller à l’armurerie pour prêter main forte aux soldats, etc …
Pour rendre un peu de souplesse et de fluidité au jeu, il est prévu de pouvoir rechercher des systèmes de télécommandes pour les véhicules, puis d’intelligences artificielles. Cela évite de trop exposer vos hommes et donc de tenter des assauts plus osés. Il existe aussi une troisième solution : l’Homo-Erectus Pekinensis (l’homme de Pékin, dans le jeu « Homo Pekinsis » car mal traduit de l’anglais). Une fois attiré par l’odeur de la banane, éduqué et revêtu du caleçon réglementaire, nos illustres ancêtres, renommés pour l’occasion « Pek », se révèleront très utiles pour les basses besognes ou pour les tâches risquées. « Certains » même les utiliseront de manière … hum … pas très catholique !
Ceux-là, c’est la « troisième faction », la surprise du chef, la cerise sur le gâteau. Deux campagnes, trois factions ? Ne cherchez pas l’erreur !!! Encore un jeu sorti prématurément sans doute. Cela dit tout n’est pas perdu. Pour commencer il est possible dans les deux campagnes de « mitiger » la technologie des 3 factions. Il suffit pour cela de capturer un ennemi ou de signer une alliance quand l’occasion se présente. Il est alors possible de « transformer » l’unité « alliée » (mais gardant ses caractéristiques propres) en ingénieur et de lui faire bâtir les bâtiments spécifiques à sa faction. Vous pourrez alors y faire travailler vos scientifiques et mécaniciens, moyennant quelques avantages et contraintes.
Malgré cette complexité apparente, il faut reconnaître que toutes ces « pièces » sont bien assemblées dans un seul et unique ensemble cohérent.
Un style unique
Ce jeu dégage une ambiance graphique très particulière, similaire aux BD dites « adultes ». Le dessin est en partie réaliste et aussi en partie stylisé. Cela a pour effet d’augmenter le contraste entre l’environnement et les personnages, forçant l’aspect de ces derniers sur leurs origines et leurs caractères. Comme dans une BD, toute l’attention est donc portée sur les protagonistes, au point de reléguer les véhicules de combats au second plan.
Les structures sont plutôt réalistes, tant dans leur aspect que dans leur fonction. Un réalisme que l’on observe également dans l’arbre technologique, puisque presque tous les bâtiments sont constructibles en début de jeu, les recherches aboutissant principalement sur des améliorations.
Selon la campagne, l’interface s’adapte aux couleurs de la nation pour laquelle on travaille. De plus les cinématiques accentuent encore ce changement, puisque dans la campagne américaine nous explorons le journal du personnage principal, tandis que sur la partie russe c’est le vieil ordinateur monochrome du mécanicien qui affiche la propagande du Parti, avec parfois des échanges d’emails.
L’action s’accompagne tout au long du jeu de la bande son, et si certaines musiques sont quelquefois rébarbatives, elles ne nuisent pas à l’immersion dans le jeu. Personnellement j’ai tout de même une petite préférence pour la bande son russe, avec de beaux passages d’accordéons. On n’entendra pas les musiques orientales par contre - oups, ça y est j’ai dévoilé un peu de la troisième faction !
Les bruitages sont également bien travaillés, notamment au niveau des voix. On pourra entendre nos soldats aguerris railler, raller ou hurler de douleurs selon le traitement que vous leur réservez. Même en attente ils vont vous le dire texto : « On se fait un peu chier !!! ». Ha ça, on peut dire que s’il y a une chose de bien réussie, ce sont bien les doublages des voix françaises ! Pour le personnage principal nous avons même eu droit à la célèbre voie de Pascal Renwick, connu notamment pour avoir doublé Arnold Schwarzenegger dans ses premiers films (Terminator et Running Man) ou plus récemment Laurence Fishburne qui a incarné Morpheus dans la trilogie Matrix. Nous sommes gâtés !
J’ai mal au pieds Camarade !
Le scénario est incontestablement le point fort du jeu. Peut être parce qu’aucune IA n’a été programmée, les développeurs ont tout misé sur le script. Cela a permis néanmoins de proposer une histoire pas trop linéaire (de nombreux choix jalonnent les missions et peuvent avoir des effets sur plusieurs missions) et auto-adaptative, notamment lorsque des personnages secondaires prennent la parole. Pour le coup c’est là une petite surprise de plus qui nous a été offerte. Pour s’imaginer cela je propose de comparer avec un jeu tel que Starcraft.
Prenons Starcraft donc, n’importe quel marine peut être utilisé pour sortir la tirade appropriée à un moment précis. Il suffit simplement que le marine soit à la position prévue par le script. Dans Original War chaque personnage est unique ! Si l’un d’entre eux se fait tuer il ne pourra forcément pas intervenir dans une discussion trois missions plus tard. C’est alors un autre soldat qui s’en chargera, mais pas lui spécifiquement ! Chargez votre sauvegarde et ce sera peut être encore un autre soldat qui interviendra dans une conversation, et avec sa propre voix s’il vous plait. Bref, un petit détail mais qui ajoute énormément à la cohérence et au réalisme du jeu.
Le deuxième point fort du scénario, c’est le message. L’association avec Cannon Fodder ne se limite pas à la jouabilité selon moi, j’irai jusqu’à dire que le jeu s’en inspire directement pour mettre en évidence l’absurdité de la situation.
Tout au long des péripéties nous sommes donc partis prenante par nos décisions, des décisions qui engageront la vie de nos soldats. Leur nombre limité renforce l’aspect émotionnel du jeu, car en sacrifiant leurs vies, vous ne perdez pas qu’un mécanicien ou qu’un ingénieur, mais aussi quelqu’un qui vous a accompagné durant les moments les plus durs.
Dès les premiers moments du jeu, les textes sont particulièrement durs et crus, étonnant d’ailleurs qu’il n’ait pas subi de censure pour un jeu simplement « déconseillé aux moins de 12 ans ». La frustration guette chaque instant de combat, lorsque des évènements échappent à notre contrôle, ou encore quand rien ne se présente comme prévu. Et encore pire quand on se fait passer un savon malgré une victoire coûteuse et inespérée. Du coté russe c’est le même principe qui domine, à ceci près que vos décisions vont obligatoirement impliquer des pertes douloureuses. Je n’ose imaginer le scénario si la troisième campagne avait été construite, mais la logique des choses aurai voulu encore plus de pertes, pour finalement conduire à une seule chose, la seule chose que personne ne voulais au départ : la destruction de toute vie sur Terre …
Conclusion
Voila un jeu qui sort de l’ordinaire à bien des égards. Un jeu où il ne s’agit pas de détruire bêtement un ennemi forcément toujours un peu trop « idiot » et « méchant », mais bien de se rendre compte de l’horreur de la guerre le tout baignant dans une certaine ironie. Un jeu techniquement dépassé mais proposant un concept original et innovant. Pour une fois c’est le contenu qui a primé sur l’aspect du jeu, mais qui reste tout de même honorable au regard des efforts réalisés sur le style et les doublages.
La troisième campagne ne sera jamais achevée. Mais le jeu est toujours actuellement supporté et amélioré en termes d’éditions et de modding. Plusieurs groupes de fans ont donc d’ores et déjà entamés plusieurs projets de suite non-officielles.
Si un tel jeu n’a pas été particulièrement apprécié par la presse spécialisée, il a laissé une marque indélébile sur tous les joueurs qui se sont laissés emporter ici, maintenant, il y a deux millions d’années …
Liens :
Site officiel Original War - http://www.original-war.com/
Site offrant le support - http://www.owsupport.com/
Forum Francophone - http://warsiberite.max2forum.com/
Intro Américaine sur YouTube - http://fr.youtube.com/watch?v=L6OVfdrekss
Crédits :
Godcedic & Deadgamer pour avoir identifié la voie de Pascal Renwick
Noire pour son éclairage sur l’éditeur de mission SAIL
Guil pour ses relectures & avis