Les point & click Wanadoo, c’est un style à part entière, qui suscite autant d’intérêt que d’hostilité chez les joueurs. Leur principe de panoramas fixes que l’on peut observer à 360° en fait des softs presque contemplatifs, totalement dépourvus de rythme puisque les déplacements se font écran-par-écran. Alors même qu’ils tablent souvent sur un très bon scénario de départ, les interactions avec les autres personnages sont la plupart du temps réduites à leur plus simple expression, sous la forme de dialogues courts, convenus et non-interactifs. Le gameplay tout entier se réduit donc à la résolution d’énigmes plus ou moins bien pensées, qui s’échelonnent de l’utilisation d’objets dans des circonstances tirées par les cheveux à la résolution de puzzles tordus. Ces caractéristiques sont communes à presque tous les spécimens du genre, et à l’exception des maniaques du jeu d’aventure, on s’intéresse donc surtout à l’un ou l’autre de ces jeux en fonction de l’intérêt que l’on porte à l’univers présenté. Voilà sans doute pourquoi j’ai n’ai pas tenu plus de cinq minutes sur « La Légende du Prophète et de l’Assassin » imaginé avec l’aide de l’écrivaillon Paulo Coelho (même pas eu envie d’aller chercher la corde dans le chariot, dans le premier écran) mais me suis acharné à venir à bout de celui-ci, basé sur l’univers d’un des plus grands écrivains fantastiques de l’histoire de la littérature.
Malgré son patronyme très générique, cette aventure est fortement inspirée de la nouvelle « L’affaire Charles Dexter Ward ». Les noms de quelques personnages ont été modifiés et un certain nombre d’éléments ont été ajoutés au récit de base, histoire de fournir quelques énigmes supplémentaires mais dans l’ensemble, on reconnaît sans peine la filiation avec cette nouvelle publiée en 1927, sans doute l’une des meilleures jamais écrites par Lovecraft. Vous êtes William Stanton, chercheur à l’université Miskatonic de Providence. La vie s’écoule paisiblement pour vous jusqu’au jour où l’un de vos amis d’enfance, Edgar (mais appelons-le Charles Dexter Ward… Edgar, je ne parviens pas à m’y faire), vient vous trouver par un beau matin lovecraftien (c’est-à-dire sous un ciel gris alors que le vent balaie les feuilles qui gisent sous les arbres morts d’une ville grisâtre de Nouvelle-Angleterre…). Charles semble plutôt perturbé et vous remet un curieux artefact, vous recommandant de ne le montrer ou de ne le donner à personne… et surtout pas à lui-même s’il venait à vous le réclamer un jour. Quelques heures plus tard, un autre personnage frappe à votre porte : il s’agit du médecin de la famille Ward qui vous fait part de ses inquiétudes au sujet de l’état mental du jeune Charles et vous demande d’enquêter sur ses activités. Le jeune homme a en effet abandonné ses études et poursuit d’étranges recherches dans une ferme abandonnée, non loin de la cité d’Innsmouth.
Malheureusement, alors que le début de l’aventure se déroule sous les meilleurs auspices, la situation se gâte dès la moitié du jeu. Au départ, les énigmes sont relativement simples et servent surtout à installer l’atmosphère. Durant les premières minutes de jeu, on passe son temps à discuter avec les principales relations de Ward, on admire les grandes demeures géorgiennes du vieux Providence, les églises un peu délabrées en bois blanc et les sinistres ruelles d’Innsmouth. Même si tous ces paysages sont désespérément fixes, comme l’exige le cahier de charge des jeux Wanadoo, l’ambiance austère et vaguement malsaine des écrits de Lovecraft est retranscrite de manière plutôt probante. La bande sonore, discrète et principalement constituée de discrets bruitages d’ambiance et les dialogues, pas trop mal doublés, participent à cette relative réussite. Il est simplement dommage que les personnages humains aient toujours ce look de marionnettes en vinyle. On notera néanmoins avec amusement que Edgar/Charles est le parfait sosie de Lovecraft lui-même !
Tout se gâte malheureusement dans la seconde partie de l’aventure, qui se déroule majoritairement sous terre, dans le laboratoire secret de Ward ou dans les cavernes insondables des Grands Anciens. On progresse alors dans une pénombre pratiquement absolue tant les images sont sombres. De plus, Lovecraft avait l’habitude de décrire ce type de lieux avec une telle profusion de qualificatifs ésotériques qu’il était difficile, pour ne pas dire impossible, de se les représenter mentalement sans tomber dans la facilité. De manière assez prévisible, la transcription de ces environnements par les graphistes n’aboutit pas à grand-chose de convaincant. Le joueur découvre donc une succession de couloirs obscurs et de cavernes qui baignent dans un halo verdâtre. Tout cela est monotone, pas très réussi et trop cliché pour être inquiétant. Pour ne rien arranger, c’est à ce moment qu’il faut se coltiner les énigmes énervantes typiques des point & click Wanadoo : artefacts abscons à placer au bon endroit, combinaison de différents produits pour ranimer les morts et autres improbables manipulations. Les indices sont flous, pour ne pas dire inexistants, et on progresse donc en essayant toutes les possibilités jusqu’à ce que l’une d’entre elles veuille bien fonctionner.
En bref : 12/20
Necronomicon est loin d’être le pire des jeux d’aventure de ce type, ne serait-ce qu’en raison d’une première partie très réussie et d’un univers qui parvient de manière inattendue à retrouver bon gré mal gré l’esprit des récits de Lovecraft. Pour autant qu’on soit familier du roman d’origine, on passe finalement un moment relativement agréable à visiter les différents lieux évoqués dans ce dernier. Il est donc d’autant plus regrettable que passé la moitié du jeu, Necronomicon retombe dans les travers habituels du genre : scénario qui s’essouffle, énigmes énervantes et mal torchées et représentation médiocre de l’environnement.