Béatrice et Jean-Luc Langlois, Dominique Sablons, Maria Dolorès… Si ces noms ne vous sont pas familiers, c’est que vous n’avez pas eu la chance de connaître la mythique société française Lankhor, à l’origine du non moins mythique Manoir de Mortvielle (ou Mortevielle selon les versions). Ce jeu d’aventure légendaire avait scotché les joueurs de l’époque, de par sa réalisation incroyable et de par la richesse de son gameplay. À tel point qu’une suite a été mise en chantier quelques années plus tard. Cette suite, c’est Maupiti Island.
UN PRIVÉ NOMMÉ JÉRÔME LANGE
Si le Manoir de Mortvielle se déroulait dans une inquiétante bâtisse digne des Dix Petits Nègres, Maupiti Island prend place, on s’en doute un peu au vu du titre, sur une île tropicale. En l’occurrence, nous sommes en 1954 et Jérôme Lange, le détective privé héros du premier opus, est en croisière entre le Japon et Madagascar, lorsque le cyclone Harry balaie sa coquille de noix. Échoué sur l’île de Maupiti, il va découvrir qu’une femme nommée Marie a mystérieusement disparu. Et, poussé par sa curiosité professionnelle, il ne tarde pas à comprendre que l’île et ses habitants recèlent des secrets lourdement enfouis.
JÉRÔME LANGE MÈNE L’ENQUÊTE
Maupiti Island est un jeu d’aventure graphique, un genre qui a peu à peu disparu au profit du point ‘n click. Les deux styles partagent nombre de points communs, à commencer par la progression, qui s’effectue d’écran fixe en écran fixe. La principale différence, c’est qu’ici il ne s’agit pas d’utiliser le bon objet au bon endroit, mais plutôt de trouver quelle action réaliser parmi un large panel, ainsi que de mener des interrogatoires pointus afin de découvrir des indices.
Vous allez explorer l’île depuis la plage sud jusqu’à la plage nord, en passant par le puits, le bassin, l’embarcadère, la cabane du dénommé Juste, le jardin et l’immense bâtisse coloniale de Maguy, et vous allez croiser à de nombreuses reprises la route des différents autochtones, qui vaquent à leurs occupations comme si de rien n’était. Ainsi, selon l’heure, les personnages ne seront pas forcément au même endroit, ni dans les mêmes dispositions à votre égard.
Si bien qu’il n’est pas rare, en ouvrant une porte au hasard, de se faire surprendre comme un voleur par l’occupant de la chambre. Les dialogues s’engageront alors (parfois il n’y aura même pas de dialogue possible : vous vous ferez assommer et aurez perdu du temps) , mais gare : certains voient d’un mauvais œil votre curiosité et vous devrez les brosser dans le sens du poil si vous comptez tirer quelque chose de leurs élucubrations. Lors des conversations, quatre menus sont disponibles : RÉPÉTER (pour confirmer une phrase), QUESTIONNER (pour orienter la conversation), ARGUMENTER (pour vous dépêtrer d’une situation inextricable) et STOP (pour quitter votre vis-à-vis). Chacun de ces menus, du moins les trois premiers, offre lui-même de nombreuses possibilités. Ainsi, si vous choisissez d’argumenter, vous devrez encore opter entre utiliser des souvenirs, montrer un objet, mépriser votre convive, voire même le soudoyer ou le passer à tabac.
Cette richesse dans les choix se retrouve aussi au niveau de l’interface principale, qui propose cinq menus : DÉP (pour se déplacer vers un endroit de l’île), INVENT (pour gérer vos objets), ACTIONS (comme son nom l’indique), SELF (pour les actions portant sur vous-même) et FIC (pour… je ne sais plus). Et encore une fois, à l’intérieur d’un même menu, il existe de très nombreuses variantes. Par exemple, le menu d’actions permet d’appuyer, attendre, dormir, fermer, fouiller, lire, manger, mettre, observer, ouvrir, prendre, regarder, sentir, sonder, soulever, tourner…
Enfin, comme la première version du Manoir de Mortvielle pouvait être finie en cinq minutes chrono, sans forcément déclencher tous les évènements et donc sans avoir vraiment profité du jeu, Lankhor a implémenté un questionnaire à la fin du jeu pour s’assurer que vous avez vraiment suivi l’histoire. Il en va de même dans Maupiti Island.
LA FIN DE JÉRÔME LANGE
À vrai dire, toutes les qualités et tous les défauts du Manoir de Mortvielle s’appliquent à Maupiti Island. La seule différence entre les deux jeux, c’est l’année de parution. Et mine de rien, le filtre ainsi appliqué change beaucoup de choses, à l’exception sans doute de l’ambiance de polar des années 50 qui demeure la même, aussi fidèle aux œuvres d’Agatha Christie et de ses contemporains.
Visuellement, Maupiti Island est encore plus recherché que son grand frère. Les décors tropicaux fourmillent de détails, les personnages font plus vrais que nature, et si les animations sont toujours le grand absent de l’histoire, la partie sonore reste vraiment crédible. Ce qu’il y a, c’est qu’entre temps, un grand pas en avant a été fait par les premiers point ‘n click véritables, en matière de narration comme de graphie, et désormais les aventures graphiques paraissent un peu vieillottes et figées dans le temps. Et si la claque était bien là deux ans plus tôt, on est tout de même moins surpris par cette nouvelle aventure.
En outre, le système de jeu est d’une lourdeur bien malvenue à l’heure des productions Lucas et Sierra, bijoux d’ergonomie qui font passer le jeu de Lankhor pour un ancêtre rétrograde. Pourtant, la liberté est ici de mise, ce qui n’est pas forcément le cas des productions pré-citées. Dans Maupiti Island comme chez son prédécesseur, on peut faire à peu près tout à n’importe quel moment, quitte à se retrouver game over en cas de mauvais choix. Mais c’est un risque à courir, qui compense avantageusement une durée de vie bien famélique.
En un mot comme en cent, cette ultime quête de Jérôme Lange (un troisième volet devait être mis en chantier mais n’a jamais vu le jour) semble un peu datée à l’aube des années 90, et il est bien certain qu’un joueur actuel n’y trouvera pas son compte. Maupiti Island est dédié uniquement à ceux qui ont connu les heures glorieuses du jeu d’aventure graphique, et qui sont restés piégés dans les années 80.