Tester ce jeu fut une épreuve, un véritable sacerdoce. Tout d’abord, j’avais de très sérieux doutes sur la transposition d’un tel film en jeu vidéo, transposition que l’on doit en plus à un petit studio inconnu. Mon second problème était plus personnel. Disons que… hum… chacun ses phobies quoi, merde ! Je suis toujours partant pour aller traquer le démon sur les lunes de Mars, ou explorer des canalisations désaffectées et supporter les apparitions inquiétantes d’une petite fille, mais chasser un gros poisson plein de dents à bord d’un petit rafiot… non… décidément, je ne peux pas. Quoi ? Qu’est ce que j’entends ? On ne chasse pas le requin mais le bipède et le mammifère marin ? Parce que… le requin mangeur d’hommes… ce sera moi ? Mais en voilà une idée qu’elle est bonne ! Originale, novatrice, voire même cathartique et à même de soigner ma squalophobie. Et pour ne rien gâcher, le jeu se montre au final très fun à jouer, bien au-delà de toutes les attentes qu’on pouvait nourrir à son égard.
Amity Island, paradis insulaire sur la côté américaine, est en passe de devenir l’un des lieux touristiques les plus prisés du pays. Partout sur l’île, des centres de vacances et d’autre lieux de villégiature poussent comme des champignons pour accueillir les meutes de touristes qui viennent se ressourcer dans ce cadre naturel préservé. Mais il faut bien assurer le confort de ces stupides humains et l’île ne tarde pas à se doter de marinas et d’usines de retraitement chimique qui déversent de pleins dégueulis de liquide frelaté dans la grande bleue, tandis que voiliers et jet-ski envahissent les eaux côtières. Heureusement, un grand héros se lève afin que l’océan retourne à ses légitimes propriétaires les poissons. Un héros de 12 mètres de long, à l’œil torve et vide et à la peau de la consistance du cuir bouilli. Vous l’aurez compris, il s’agit de Jaws, le Grand Requin Blanc de retour sur Amity pour des vacances gastronomiques. Les passions dans la vie de ce monstre marin sont toujours a) bouffer b) encore bouffer c) bouffer encore un peu d) mâchouiller des trucs avec un goût de viande. Malgré ses préoccupations triviales, Jaws s’est également donné pour mission d’expulser les humains hors de l’île, ce qui est pour le moins surprenant, voire même un peu crétin. Tentons de comprendre l’équipe de développement : le requin blanc n’étant pas particulièrement réputé pour son intellect ou sa conscience environnementale, il fallait bien fournir quelques raisons d’être aux différentes missions proposées. On se retrouve ainsi à incarner un gros poisson carnivore qui sait d’instinct que les plates-formes pétrolières, c’est le mal, et qu’un fût de produits inflammables judicieusement encastré dans un tuyau d’évacuation provoquera l’explosion de la raffinerie perchée sur la falaise. M’enfin bon, passons… Une fois votre premier maître-nageur déchiqueté, vous oublierez bien vite le léger illogisme du scénario.
Les Dents de la Mer offre un sentiment de liberté assez remarquable. Vous pouvez vous balader comme bon vous semble dans la totalité des eaux côtières d’Amity Island dès le départ. Les missions principales sont symbolisées sur la carte par des bouées rouges. Il faut terminer avec succès chacune d’entre elles pour pouvoir débloquer la suivante. Toutes ces missions trouvent leur place dans un scénario assez simpliste où les humains tentent de détruire le requin et où ce dernier prend un malin plaisir à anéantir les infrastructures humaines un peu partout autour de l’île. Néanmoins, si certaines missions vous semblent trop difficiles à accomplir, vous pourrez toujours vous rabattre sur les missions secondaires. Au nombre d’une cinquantaine, ces petites épreuves vous demanderont généralement de dévorer un certain nombre de proies durant un temps imparti, chacune des trois étapes de l’épreuve étant plus difficile que la précédente, avec un nombre de victimes plus important à atteindre ou un temps plus court. Vous devrez par exemple tuer le plus grand nombre de dauphins possible, ramasser des pneus au fond de l’océan, dévorer les membres d’une équipe de télévision en tournage sur des embarcadères, faire subir le même sort à des sauteurs à l’élastique qui plongent depuis une falaise ou encore, protéger une carcasse de baleine des attaques d’autres espèces de requins. Lorsque vous remportez une mission, principale et secondaire, vous gagnez des points d’expérience que vous pourrez ensuite dépenser pour augmenter vos capacités de prédateur, qu’il s’agisse de la vitesse, de la puissance de la morsure, de la capacité à récupérer de l’énergie en mangeant ou de nouveaux styles d’attaque.
Une autre bonne idée proposée par ce soft tient à un certain réalisme par rapport au comportement réel des requins. Par exemple, le requin est obligé de nager continuellement. Il ne peut pas rester immobile plus d’une dizaine de secondes, faute de quoi il mourra. De même, afin d’assurer sa réputation de poubelle des océans, il est obligé de se nourrir continuellement. Vous disposez en effet de deux jauges sur le côté droit de l’écran. La jauge rouge indique votre énergie vitale et baisse lorsque vous êtes blessé. Pour récupérer de l’énergie, il suffit de dévorer quelque chose. La jauge verte indique votre degré de faim et baisse de manière continuelle. Une fois vide, c’est votre jauge rouge qui subira les désagrément de votre estomac vide. Il faut donc continuellement chercher de la nourriture. Heureusement, les eaux d’Amity Island sont riches en proies en tous genres. A commencer par des myriades de bancs de petits poissons. Ces derniers sont les plus simples à avaler puisqu’ils songent rarement à fuir mais il faut en avaler un sacré paquet pour faire remonter les deux jauges. Heureusement, on trouve aussi d’autres proies plus intéressantes : des phoques, des thons, des espadons, des cabillauds, des tortues marines, des marsouins… et des baigneurs en tous genres, bien sûr. Pour récupérer de l’énergie, il suffit d’attraper un des ces animaux et de le secouer violemment jusqu’à ce que son corps cède sous la pression. Vous pouvez bien entendu achever votre repas par après avec les morceaux de barbaque qui flottent dans les courants marins. La taille de l’animal influera évidemment sur l’énergie que vous récupérerez après votre repas. Tous les animaux ne sont cependant pas d’innocentes proies qui tentent tant bien que mal de se mettre à l’abri de votre double rangée de dents. Certains n’hésitent pas à se défendre ou même à tenter eux-mêmes de vous mettre à leur menu. Ainsi, les requins bleus, les requins marteaux et les barracudas n’hésiteront pas à vous attaquer sauvagement si vous vous approchez trop prêt de leur position. Les dauphins useront d’attaques groupées et d’une certaine stratégie pour vous réduire en pièces, tandis que les baleines tueuses sont probablement les plus redoutables habitants de la mer auxquels vous devrez faire face. Enfin, n’oublions pas les humains. Qu’il s’agisse de plongeurs ou de gardes-côtes sur leur vedette rapide, la moindre vision d’un aileron leur donnera des démangeaisons dans le doigt qu’ils ont crispé sur la détente de leur arme. Les plongeurs sont heureusement très vulnérables à vos attaques. Quant aux navires, il suffira de foncer à plusieurs reprises dans la coque ou d’agripper sauvagement la proue pour expédier la navire par le fond et se régaler de son délicieux contenu !
Réalisation graphique :
Lorsqu’on fait surface, on remarque que Jaws est un portage console avec tout ce que cela implique de manque de finition graphique. Les navires, les habitations et les humains possèdent un côté assez géométrique et souffrent d’un manque de détails assez décevant même si le résultat reste quand même potable. En revanche, les fonds marins et leurs habitants sont très réussis. Si on ne découvre pas une végétation sous-marine luxuriante, le relief de ces hauts-fonds et la faune qui occupe l’endroit confère au jeu un aspect très réaliste et agréable. Non seulement le requin se déplace extrêmement vite mais ses mouvements ont fait l’objet de beaucoup de soins. Qu’il nage à son rythme de croisière, avance subitement de quelques mètres, donne des coups de queue ou tourne sur lui-même, le réalisme des mouvements de l’animal est vraiment étonnant. On peut d’ailleurs faire le même constat pour toutes les créatures présentes dans le jeu. Quand vous parvenez à faire sauter le requin hors de l’eau, on perçoit presque physiquement toute la lourdeur de l’animal. Et quand le requin attrape sa proie et la secoue dans tous les sens, vous ne pourrez sans doute pas réprimer un frisson face à la violence de l’action. A noter que le jeu est assez gore et que si vous vous acharnez particulièrement sur un nageur, vous finirez par le démembrer morceau par morceau dans un tourbillon d’hémoglobine !
Jouabilité / difficulté
Il faut un petit temps d’adaptation pour s’habituer à la maîtrise de cet énorme requin (ce qui est finalement le cas pour n’importe quelle jeu ou stage de jeu se déroulant dans le milieu aquatique) mais très rapidement, on parvient à faire accomplir à peu près n’importe quoi au tueur à aileron. Il faut dire aussi que Jaws mâche (ah ah ah !) un peu le travail au joueur en gérant les collisions imprécises à son avantage et en verrouillant automatiquement l’ennemi ou la proie la plus proche. En revanche, certaines actions sont réellement très difficiles à accomplir. Lorsqu’il faut par exemple saisir un objet entre les mâchoires du requin, faire surface et recracher l’objet sur une cible précise, le succès est davantage dû au hasard qu’à une maîtrise parfaite des commandes. La difficulté du jeu est bien dosée mais surtout, le très grand nombre de missions secondaires permet de ne jamais se retrouver définitivement bloqué à un moment ou à un autre du jeu, puisqu’il est toujours possible de faire autre chose et de revenir plus tard à la mission problématique avec les capacités du requin améliorées de manière significative.
Son
Diverses variations angoissantes sur le célèbre thème du film, des sons étouffés et indistincts lorsqu’on est sous l’eau et les hurlements de terreur des baigneurs lorsqu’ils sentent une double rangée de crocs leur chatouiller la jambe : avec ces trois éléments réunis, on se sent vraiment dans la peau d’un grand prédateur sanguinaire.
En bref : 16/20
Alors qu’il y avait tout lieu de craindre le pire, Les Dents de la Mer démontre au contraire que les réussites ludiques sont parfois là où on les attend le moins. En dépit de son scénario bancal, Jaws offre un gameplay très attrayant, centré sur les réflexes et la précision, et des missions bien conçues dans l’ensemble. Il ne s’agit pas non plus du jeu du siècle mais on sent que l’équipe de développement a fait le maximum pour offrir le gameplay le plus varié possible tout en soignant la réalisation. De toute façon, son principe même fait de Jaws un jeu qui sort vraiment de l’ordinaire, et dévorer poissons et primates civilisés procure une sensation de défoulement peu commune. C’est bien simple : il m’arrive de lancer le jeu, non pour progresser dans la quête principale ou faire une mission secondaire, mais simplement pour nager quelques kilomètres en dévorant tout ce qui passe à ma portée. N’hésitez pas à tenter l’aventure : il s’agit peut-être de la seule fois où vous pourrez manœuvrer un monstre pareil sur ordinateur ou sur console…