Il est quasiment une constante dans l’univers des jeux vidéo que les jeux à licence, conçus expressément pour paraître en même temps que le film dont ils s’inspirent et pour profiter de leur succès (et vice-versa), sont plus souvent d’immondes daubes qu’autre chose. Après tout, ce serait un peu bête de se crever à imaginer un jeu intéressant si le succès est de toute façon assuré. Bien qu’ayant trouvé le film franchement pas mal du tout, c’est avec les plus grandes appréhensions que j’ai inséré ce King Kong dans le lecteur, m’attendant à retrouver un truc torché à la va-vite et dépourvu du moindre fond digne de ce nom. Surprise ! Sans être le jeu du siècle, King Kong s’avère une très chouette expérience pour autant qu’on se laisse complètement emporter par son atmosphère et son esprit. Histoire de se rafraîchir un brin la mémoire, King Kong retrace l’histoire du metteur en scène fauché Carl Denham, poursuivi par ses créanciers, qui voit son salut dans la réalisation d’un film exotique sur une île perdue appelée Skull Island. Usant de multiples ficelles de producteur véreux, Denham recrute un équipage de mercenaires, la jeune actrice Ann Darrow et l’écrivain Jack Driscoll, et se lance à travers les océans vers ce sanctuaire inviolé. Une fois sur place, Skull Island se révèle être tout sauf une destination de vacances privilégiée. L’île est sauvage et hostile, la faune est constituée de monstrueux arthropodes, d’amphibiens non moins agressifs, de dinosaures ayant oublié de disparaître et d’indigènes inamicaux. Miss Darrow est enlevée par les primitifs locaux et offerte en sacrifice à Kong, un gigantesque gorille qui se révèlera, au fil des évènements, bien plus « humain » que la plupart des homo sapiens de l’équipe de tournage. Le jeu respecte autant que possible le déroulement de l’excellente adaptation cinématographique de Peter Jackson, démarrant au moment où l’équipe pose le pied sur les falaises déchiquetées de Skull Island, et se terminant par la scène d’anthologie mettant le singe aux prises avec l’aviation américaine au sommet de l’Empire State Building. Toute la progression se déroulera de manière très scriptée, avec de multiples interactions entre votre personnage (Jack Driscoll, doté pour l’occasion de capacités de baroudeur un peu surprenantes quand on se souvient du personnage du film) et les autres envahisseurs civilisés de l’équipage.
Me & a gun
Si King Kong a tout l’air à première vue d’un classique FPS des familles, il tient pourtant à mes yeux davantage d’un survival en 3D, dans l’esprit du méconnu Trespasser. Plusieurs éléments peuvent corroborer ce parti-pris. Pour commencer quatre armes seulement sont disponibles : le revolver, le fusil, le fusil à lunettes et la mitraillette, auxquelles il faut ajouter les sagaies qu’on déniche un peu partout. On met la main sur cet arsenal dans les caisses de munitions larguées par un hydravion un peu partout sur l’île. Cependant, il est impossible de trouver des munitions ailleurs que dans ces caisses. Une fois les munitions épuisées – et elles ne sont pas toujours très nombreuses – Jack Driscoll devra se débrouiller avec les sagaies jusqu’à remettre la main sur une nouvelle caisse. Le maniement des armes est également surprenant. Contrairement aux FPS classiques, on ne peut porter qu’une arme à la fois. Il faut appuyer sur la barre d’espace pour mettre l’arme en joue et tirer avec la souris. Il est également possible de filer des coups de crosse pour repousser les créatures de taille moyenne. Il n’y a pas non plus de compteur d’énergie à proprement parler dans King Kong (et il n’y a d’ailleurs pas de medi-pak pour récupérer de l’énergie). Si Jack est blessé par une créature, la vue deviendra trouble, envahie de traînées rouges et chancelante pendant une dizaine de secondes. Il est alors pratiquement impossible de lutter efficacement et le plus sage est de se mettre provisoirement à l’abri. Une deuxième blessure à ce moment et c’est la fin. Passé ce court moment de doute, l’action peut reprendre son cours normalement. Dans certains cas, il faudra néanmoins se défendre, blessé ou pas. Par exemple, les raptors aiment tout particulièrement tenter de vous arracher la jambe. Une fois blessé et pris au piège par le saurien, Jack devra impérativement le repousser à coups de crosse pour ne pas être achevé séance tenante. Evidemment, ce mode de récupération automatique en cas de deuxième assaut évité n’est valable qu’en fonction de la taille des adversaires : une morsure de T-Rex et on ne retrouvera même pas assez de Jack pour tenir dans une canette de bière. Dernier point en faveur du survival : contrairement aux FPS où, bien armé, certaines zones tiennent de la promenade de santé, on se sent complètement à poil sur Skull island, pleinement conscient que la moindre bestiole peut vous zigouiller en moins de deux et que les armes ne constituent finalement qu’une faible protection face à un assaut frontal contre n’importe quelle créature.
Dans la jungle, terrible jungle
Outre la progression dans la jungle et la survie face à la faune de Skull Island, King Kong offre également de très légers éléments de réflexion. Réfléchir n’est pas obligatoire, mais cela permet souvent de passer un obstacle en économisant ses munitions. Par exemple, des broussailles ou des ronces obstrueront parfois la voie. Pour s’en débarrasser, il suffit d’enflammer une sagaie dans une des urnes prévues à cet effet et de bouter le feu aux végétaux récalcitrants. Si un gros carnassier est justement en train de se frayer un passage dans les broussailles, le feu le tuera instantanément. Un autre truc pour se faciliter la vie est de tabler sur le principe de chaîne alimentaire en vogue sur l’île. Les créatures de Skull Island passent en effet leur temps à s’entre-dévorer entre elles. Si vous êtes face à une chauve-souris et à un raptor par exemple, il suffira souvent de tuer l’un d’entre eux pour que l’autre espèce vous oublie complètement et se rue sur le cadavre, constituant alors une cible plus facile. Certaines cavernes sont également envahies d’araignées. Les tuer une à une prend beaucoup de temps. Pour aller plus vite, il suffit de ficher l’une des rares bestioles inoffensives de l’île au bout d’une sagaie (libellule, salamandre ou larve) et de lancer la sagaie un peu plus loin pour que les araignées filent profiter de ce repas gratuit et libèrent le passage. Si l’essentiel du jeu se résume à progresser dans la jungle en tuant ou en évitant les créatures menaçantes, les nombreux petits évènements qui rythment l’aventure empêchent toute monotonie de s’installer. La progression est très scriptée, mais avec un brio tout cinématographique. Ann Darrow vous conseille et vous prévient de ses futures actions, les matelots vous aident, vous demandent de les suivre, de reculer, de venir à leur aide. A votre demande, ils peuvent également vous expédier leur arme si vous manquez de munitions. Et n’oublions pas ce pourceau de Carl Denham qui filme à tout bout de champ, se fait capturer par les chauve-souris et trouve encore le moyen de râler parce que vous êtes dans le champ de sa caméra. Il faut encore ajouter à cela quelques scènes d’anthologie, généralement celles qui mettent en scène les T-Rex. Indestructibles et effroyablement dangereuses, ces bestioles déclenchent une subite poussée d’adrénaline à chacune de leurs apparitions. Généralement, Driscoll devra leur tirer dessus pour attirer leur attention afin qu’elles ne boulottent pas l’un ou l’autre de vos coéquipiers, et devra également éviter de se faire boulotter lui-même ! Dans une autre scène, Driscoll, Hayes et Jimmy descendront des rapides à bord d’un radeau de fortune, coursés par des tyrannosaures sur chaque rive. L’objectif sera de tirer sur les bestioles dès qu’elles s’avisent de fourrer leur sale museau un peu trop près du radeau. Là aussi, il s’agit d’une séquence particulièrement stressante, qui soumettra les réflexes du joueur à rude épreuve.
Rock your monkeys
Mais il serait regrettable que King Kong se borne à proposer une simulation d’humain stressé dans la jungle primitive. Comme on pouvait s’y attendre, il est également possible de prendre les commandes du gorille géant lors des quelques stages défouloirs intelligemment insérés dans le scénario. Avec Kong, les niveaux tiendront en effet du jeu d’action pur et dur. On déniche bien quelques passages où le grand singe doit sauter de branche en branche ou cavaler à l’horizontale sur une falaise, tel un Prince de Perse velu de quinze tonnes, mais ces séquences ont surtout un intérêt visuel puisqu’il est impossible de rater son coup. Non, le grand plaisir de King Kong est de démolir à grands coups de poing tout ce qui pourrait menacer Ann Darrow, ce qui donne lieu à des combats titanesques contre les chauve-souris, les indigènes, les raptors et surtout, les T-Rex. Les coups dont dispose le singe ne sont finalement pas très nombreux, mais la violence et l’esthétique des combats l’emportent facilement sur cette légère lacune. Il se dégage de ces duels entre mastodontes une violence et une sauvagerie incroyable, encore soulignée par les ralentis apportés à certains coups. Ces passages font en fait penser à une version ultra-moderne et ultra-réussie de King of the Monsters, celle à laquelle vous auriez toujours voulu jouer sans jamais oser le demander. Ceci dit, c’est dans ces combats que l’on trouve une des principales fautes du goût de King Kong. Pour achever ses adversaires, Kong doit leur briser le dos ou la mâchoire. Reprenant un gameplay console, le principe est d’appuyer le plus vite possible sur le bouton d’action. Inutile de vous dire qu’appuyer frénétiquement un bouton de souris est nettement plus problématique que sur un bouton de pad. En trois jours de jeu, il y a de quoi se ruiner définitivement les métacarpes !
Monkey wrench
Si King Kong n’est certainement pas l’œuvre d’art ultime disponible sur PC, il n’en reste pas moins que son atmosphère de jungle moite et sauvage est particulièrement bien retranscrite. Ruines, fougères luxuriantes, marécages putrides envahis d’insectes, cocotiers séculaires recouverts de lianes, cavernes obscures, cascades, averses tropicales soudaines… les décors ont fait l’objet de beaucoup de soins afin que le joueur ait réellement l’impression d’être plongé au cœur d’une aventure équatoriale crédible. C’est d’ailleurs la principale force de King Kong que d’arriver à se montrer immersif à ce point. S’il reste plus lassant sur le long terme qu’un FPS classique, la première découverte de l’île est passionnante et les émotions fortes provoquées par les nombreuses menaces qui déboulent sur le pauvre joueur dotent le jeu d’une saveur particulière. L’animation est fluide, et les mouvements des dinosaures, étonnants de réalisme (Ben quoi ? vous n’avez jamais vu Jurassic Park ?) les rendent encore plus menaçants. La première fois qu’un T-Rex vous hurlera dans les cavités - avec un joli effet de déformation en prime - , vous sentirez votre pacemaker se décrocher, croyez-moi ! Les séances de baffes avec Kong sont extraordinaires malgré d’occasionnels ralentissements et une maîtrise pas toujours évidente, et il ne faut pas disposer d’une usine à gaz pour le faire tourner efficacement, ce qui est rare. La bande sonore ajoute sa pierre à l’édifice, apportant des bruitages qui contribuent efficacement à l’immersion tropicale et préhistorique et un doublage convaincant.
Au final, King Kong est un soft dont l’intérêt à long terme semble plutôt faible. La progression tablant beaucoup sur ses effets cinématographiques, l’effet de surprise ne fonctionne pas deux fois de suite, et les parties successives ont un petit goût de déjà-vu. Néanmoins, si on ne devait avoir qu’une seule certitude vis à vis de King Kong, c’est que l’atmosphère a été soignée jusque dans ses moindres détails. Et lors de la première partie, l’ensemble est suffisamment bien monté pour que l’on vole de surprises en surprises, et que l’on prenne un plaisir coupable à sauver la peau de Driscoll et à tabasser du saurien avec ce sympathique anthropoïde nourri aux hormones de croissance. Faut dire aussi que le responsable de cet état de fait n’est nul autre que l’équipe d’Ubisoft responsable de la création de Rayman : pas vraiment des manchots, quoi ! Première qualité de King Kong : l’immersion totale du joueur dans l’esprit du jeu, même si ce choix scénaristique se paye au prix d’une replay value plutôt faible. A l’achat, King Kong ne vaut donc peut-être pas son prix. Mais à la location ou prêté par un ami généreux pour quelques jours, il s’agit réellement d’une expérience qui vaut la peine d’être vécue !