Isabelle est un jeu vidéo PC publié par Belisaen 1999 .

  • 1999
  • Aventure

Test du jeu vidéo Isabelle

2.5/5 — Moyen par

Une mère chiante, une petite amie hypocrite, un beau frère sadique, des gardiens primaires, un beau père flic: Ne me demandez pas pourquoi, mais cet article doit commencer comme ça. C’est bien simple, les développeurs semblent nous rappeler assez fréquemment cette situation. Mais quelle situation ? Certainement pas celle des développeurs d’Isabelle. Dans quel guêpier se sont-ils fourrés ? Tout le monde a les yeux rivés sur le duel Quake III Arena et Unreal Tournament, le choc des titans des FPS et des jeux en ligne, quelle idée de se lancer dans un jeu d’aventure à contre-courant de tout ce qui s’était fait jusque là ? Un jeu d’auteur qu’on appelle ça. Genre, le petit jeu fait de bric et de broc, alors que les grosses productions tournent à plein régime sur le même support. Qui est l’impétueux responsable ? Thomas Cheysson. Il veut faire son truc artisanal qu’il dit, en toute conscience des problèmes de fond que ça allait avoir. Thomas nous vient du cinéma. En effet, il avait fait jusque là assistant réalisateur pendant dix ans, dans le milieu artisanal du cinéma et non industriel. Puis, il a été scénariste de Alors voilà de Michel Piccoli. Pour celui d’Isabelle, son oeuvre à lui, ça ne pouvait se passer qu’à travers un jeu vidéo. L’idée de pouvoir arriver de façon différente au même point lui a tapé dans l’oeil. Pour rester dans le milieu, il présente son jeu au salon Milia de Cannes du 9 au 14 février 1999, où son Isabelle a été le chouchou, ou la petite perle, c’est comme on veut. C’est bien simple, tout le monde a été intéressé, on en parla même au Japon (Sega s’y était même intéressé) ! Tous, sauf un producteur américain, où le manque de boum boum et de tralala auraient laissé indifférent le marché là-bas. Mais là n’est pas la question. En effet, de quoi je parle là ? D’Isabelle, un jeu qui a reçu le Moebius de la critique et de la fiction, un jeu où l’;auteur voulait relever certains défis : lier interactivité et récit, trouver une mise en scène cohérente sans connaître l’enchaînement des scènes, garder une trame linéaire et faire participer les gens. Une autre question vous vient à l’esprit, et à laquelle je vais essayer de répondre : comment ce jeu a-t-il pu autant passer inaperçu, là où le retour de la presse (aussi bien spécialisée que non), a été positif ?

« Je suis aveugle ! »

Nous sommes dans Crison, un petit village menacé par des éboulements de cailloux qui menacent de l’écraser. Une mine a donc été construite afin de pouvoir contrer ce problème. Jusque là, elle était tenue par Paul, un gars sympa, ami de Georges, le héros. Mais un « accident » va envoyer Paul à l’hôpital, et Georges devient par la même occasion aveugle. More, apprentie dictateur, va donc prendre le contrôle de la mine, et par là prendre le pouvoir sur le village, et ce grâce aux acolytes, milice créée pour l’occasion, et constituée essentiellement de gros bras. Les villageois eux, ne disent rien, non seulement il faut conserver le village, mais surtout, faux-culs comme ils sont, la prise du pouvoir par More ne les gênera pas plus que ça. Evidemment, personne ne croit votre version des faits. C’était un ACCIDENT, pas un attentat ! C’est ce que votre petite amie, Isabelle, vous rabâche sans cesse. Il va donc falloir compter sur vous-même ainsi que sur votre petit frère Raymond, afin de mettre fin au pouvoir de More.

Vous prenez donc le contrôle de Georges, mais aussi bien vite celui de Raymond, qui lui, voit clair. Ho, je vous arrête tout de suite, il n&‘est pas question d’avoir droit à un écran noir lorsque vous prenez le contrôle de Georges, non, « juste » des ombres chinoises. Par contre, vous marcherez comme un aveugle, ça oui ! C’est-à-dire, si vous préférez, les bras devant en avançant doucement, et en vous vautrant au moindre obstacle. Quelle joie ! Mais peut-être l’avait-il bien mérité! Quoi, j’ai dit ça moi ? Non pas que je me réjouisse de la cécité de quelqu’un, mais bien de remarquer que dans Isabelle, le jeu et non la copine, personne n’est tout blanc ou tout noir. Ha, il va en dire des horreurs notre Georges ! On le sent cynique et aigri face à la réaction des villageois. Pensez donc, sa mère qui est une chieuse de première, et sa petite amie se croit l’héroïne de l’histoire parce qu’elle nous a vaguement aidé dans l’histoire. Tiens, parlons-en d’Isabelle, ou plutôt sa famille ! Son frère est une calamité qui colle des beignes à Raymond, mais on ne va rien dire à cause de son handicap, et son père est l’exemple type du flic qui n’en fout pas une, si ce n’est lorsqu’il est question de vous mettre en prison. Bref, un emmerdeur. Nous voilà bien quoi ! Reste le photographe, Paul, le mécanicien, le barman, mais aussi le petit frère, sympa tout de même. Et Isabelle qui nous dit qu’on est incapable de collaborer ensemble, pfff, elle nous a vu faire au moins pour dire ça ? Pensez-vous ! Mais que je n’aille pas tout vous raconter tout de même. Parlons plutôt de comment tout ceci s’est déroulé. Vous dirigez votre personnage à la manière d’un LBA. Un bouton d’action, un autre d’annulation, un autre encore pour courir. Ha, bien sûr, il y a aussi celui qui permet de choisir le personnage ainsi qu’un objet de l’inventaire, sans compter celui qui permet de repositionner la caméra. Des objets, vous n’en n’aurez pas beaucoup, mais vous pourrez néanmoins les donner à l’autre personnage du jeu. Il sera même nécessaire de s’échanger des objets. Certaines actions ne se feront même qu’ensemble. Le but avoué du jeu est d’avoir un rapport particulier entre le joueur et les personnages. Les personnages du jeu auront d’ailleurs leur petite vie dans leur village, et ce n’est pas pour rien qu’il y a un cycle jour / nuit ! Vers midi, le photographe va s’acoquiner avec l’infirmière, là où le bar est fermé de jour. Vous voyez le genre ! Du début, on peut aller un peu n’importe où dans le village. Ce n’est pas le jeu d’aventure où on progresse de tableau en tableau comme on le connaît généralement. Ce n’est pas non plus un jeu avec des dialogues. Et oui, les seuls dialogues du jeu sont ceux de Georges et d’Isabelle. En effet, ce sont eux les narrateurs de l’histoire ! Lorsque dans le jeu, des personnages parleront, ce sera dans un sabir improbable, aux consonances proches de ce qu’on connaît néanmoins. Ce n’est pas fait n’importe comment non plus, le but étant de créer une sorte de langue pour chaque personnage, afin qu’on ne sache pas précisément ce qu’ils disent, mais qu’on le devine ! On remarquera alors très clairement que les infirmières sont affolées, ou que le barman a vraisemblablement un accent d’origine arabe. En effet, tous ne sont pas vraiment des personnages de fiction, on se croirait dans une véritable histoire, avec de vrais personnages, et non pas des fantoches insipides. J’ose le dire, Isabelle est à la production vidéoludique ce qu’un film comme Un air de famille est à la production cinématographique. On raconte des choses qui peuvent être vraies, on fait sa petite étude des moeurs, on ne cherche pas midi à quatorze heures! Et pourtant, on a beaucoup réfléchi pour faire cette oeuvre, bien plus qu’une production moyenne à gros budget. Pour le cinéma, c’est facile, de bons acteurs par exemple feront grossir les salles, mais pour un jeu vidéo ?

De l’art moderne ?

1999, comme je l’ai dit, ce fut le match UT 99 contre Quake 3, deux grosses claques graphiques, un pas était franchi. Et Isabelle ? Pas facile, lorsqu’on débute dans le jeu vidéo, de créer quelque chose qui tienne la route alors. Mais Thomas voulait créer quelque chose qui ne colle pas à la réalité, et donc créer quelque chose d’onirique. Très bien, faites, faites! Veuillez tout de même ne pas pousser trop loin ! Le but de créer un style graphique est on ne peut plus louable, mais suffira-t-il à cacher l’évidente misère graphique du jeu ? C’est bien beau de proposer dans les options du brouillard, du lissage de couleurs, des ombres, des filtres, de la réflexion… si c’est pour servir une 3D moche à l’origine. Oui, moche ! La 3D intégrale, les 20 000 polygones voire plus et autres effets n’y changeront rien, ce n’est pas la peine de se voiler la face. Le jeu nous propose un univers où les textures sont absentes. Du Flat Gouraud en veux-tu, en voilà. Rajoutez-moi une modélisation au raz des pâquerettes aussi. Si c’est pour tenter de faire des choses rondes, il est plus que dommage de distinguer les arêtes ! Je continue ? Bien sûr, car cet univers est découpé en parcelles de terrain : lorsque vous arrivez au bord, vous verrez comme une crevasse, alors qu’en réalité, vous passerez au terrain suivant. La transition ne se fait pas dans notre esprit, et il est difficile de comprendre l’architecture de ce monde, autrement qu’en l’apprenant par coeur. Reste, pour soulager la rétine, les effets de jour et de nuit assez réussis, qui viennent adoucir ce petit monde, notamment au crépuscule ou à l’aube, qui arbore à Crison une robe rose. Ha, mais ceci n’est vrai qu’avec Raymond, car avec Georges, vous ne voyez pas grand-chose, et le peu que vous voyez sera en monochrome. Sauf… dans le monde parallèle, où le monde arbore un brouillard rouge vif, et à l’univers encore plus incompréhensible. Car oui, le monde d’Isabelle est parfois incompréhensible graphiquement, ou si vous préférez, illisible. Et c’est là qu’on se rend compte du drame : lorsqu’on en est à batailler pour discerner quelque chose du jeu, c’est bien qu’on fasse preuve de courage pour continuer. C’est bien simple, les graphismes rebutants m’ont poussé à jouer en mode fenêtre, afin de limiter les dégâts ! Ouch comme vous dites ! Afin de ne pas vous aider dans ce périple, la maniabilité est elle aussi hasardeuse. Une manette permettra de limiter les dégâts, mais ne changera pas l’extrême lourdeur des déplacements de nos héros. A peu près dix secondes pour faire un tour complet, mais ceci ne serait rien sans les difficultés générales pour se mouvoir correctement et son incroyable capacité à buter sur tous les éléments du décor, et ce alors que le point and click était parfaitement rodé et qu’on en était au combo clavier et souris pour les fps. Bref, la maniabilité est désagréable. L’univers sonore est quant à lui quasi inexistant. Quelques rares bruitages peut-être bien choisis permettront seulement de nous rappeler qu’on a bien allumé les enceintes. Il y a bien des musiques en midi, mais elles sont vraiment affreuses. Reste le doublage des personnages, aussi bien Georges et Isabelle, que les borborygmes des autres personnages, qui donneront une véritable atmosphère. Vous ai-je parlé des énigmes ? Faisons ! S’il y a peut-être plusieurs façons de les faire, elles sont en revanche assez dures à trouver, mais en réalité, c’est surtout les points précédents qui vont nous rebuter à vraiment rechercher. Pensez aussi à patcher le jeu, via l’interface prévue à cette action (et qui marche toujours aujourd’hui). Et oui, pas la peine de fouiller le net pour en extirper un vague patch d’un site tombé dans l’oubli : le jeu gère tout ça lui-même, et il en avait besoin le bougre ! Testé dans sa version d’origine, le jeu est bourré de bugs, et crashera souvent !

Vous commencez à comprendre je crois. Dans un film, on prend sa caméra, et c’est parti. Dans un livre, on prend son clavier ou sa plume, et c’est parti. Mais dans un jeu, ce n’est vraiment pas aussi simple malheureusement. C’est inutile de tourner autour du pot : le jeu nécessitait dix fois plus de moyens. Lorsqu’on est une petite équipe débutante sans beaucoup d’argent, il est audacieux de se lancer dans l’univers de la 3D, là où les autres sortent l’artillerie lourde. Il aurait peut-être été préférable de se contenter de la 2D et / ou d’un point and click. En l’état, Isabelle a un fort potentiel, il aurait pu être un mythe du jeu d’aventure, comme l’a été Little Big Adventure. Mais ce potentiel a été malheureusement gâché par une réalisation en deçà du nécessaire pour s’illustrer dans le milieu. Qui se souvient d’Isabelle ? En revanche qui se souvient de Little Big Adventure ? Là, on se rend compte de la différence que ça peut avoir sur le public, une bonne réalisation. Naturellement, on serait poussé à prôner plus d’originalité au détriment du tape à l’oeil, et c’est exactement ce qu’Isabelle a voulu faire ! Oui, le scénario est extraordinaire, même dans le cinéma, il aurait marqué, oui, la narration est originale et donne un véritable cachet au jeu, non, le gameplay à la base n’est pas forcément mauvais. Mais hélas, le jeu est moche est dur à manier. A moins que le style nous plaise vraiment ? Après tout, tous les goûts sont dans la nature, et lorsqu’on regarde la presse de l’époque, force est de constater que, oui, le style graphique d’Isabelle peut plaire. Néanmoins, il marque les esprits, ça, c’est sûr ! Reste la maniabilité, où là, par contre, on s’accorde plus à dire qu’elle n’est pas fameuse. Mais elle ne se voit pas sur des images… tout comme le scénario, l’histoire, les caractères, la narration…

Un peu comme un Half Life qui peut sembler banal aujourd’hui, mais qui en réalité a inventé beaucoup de mécanismes des FPS d’aujourd’hui, Isabelle avait peut-être ce genre d’atout qui était assez révolutionnaire à l’époque. En effet, la possibilité de se déplacer dans tout le village dès le début apportait une sorte de liberté, là où on ne connaissait que les jeux où on passe d’un monde à un autre, sans vraiment en profiter. A moins que ce ne soit pour faire comme les GTA et les Zelda, et tout simplement tous les RPG… Mais c’est pour mieux se rendre compte que la liberté d’Isabelle se trouve dans son scénario audacieux. Non pas pour ses gros mots et autres vulgarités, mais bien dans le caractère de ses personnages, loin des chevaliers qui vont libérer leurs princesses. On se croirait en plein court-métrage, en plein film conceptuel. En fait, on y est : Isabelle est un jeu conceptuel. Le paradoxe total de l’oeuvre conceptuelle : elle invente quelque chose de bien, mais personne ne la reprend. Quel jeu pourrait se venter d’être la suite spirituelle d’Isabelle dans son scénario ? C’est bien simple, je n’en vois aucun. L’incroyable capacité du jeu à raconter des choses vraies dans un univers irréel. Car c’est bien de ça dont il s’agit. Isabelle retrace un peu ce qui se fait de pire dans le caractère humain. On peut tout à fait voir dans le village de Crison une métaphore de la France sous l’occupation. Sauf que ce n’est pas le « méchant » qui en prend plein la gueule, c’est bien nous ! Pleutre, faux-culs, collabos… tout ce petit monde terré tranquillement chez soi, dont la seule préoccupation est son petit confort, en prend pour son grade. Pourquoi vais-je me révolter si tout va bien pour moi ? Isabelle est une fable moderne qui va nous raconter ça.

Conclusion

Isabelle est le jeu français par excellence : on va y apporter sa touche, même si on va se casser la gueule. Riche idée ! Malheureusement, il n’est pas aussi facile que ça de se lancer dans l’aventure du jeu vidéo. Les exemples de gens qui y ont réussi, il y en a plein (oui, l’exemple le plus connu est Eric Chahi avec son Another World, mais il y en a d’autres aussi). Mais c’est juste plus dur que dans le cinéma ou dans la littérature. Le jeu vidéo est un média ingrat pour cela : il nécessite forcément des connaissances en programmation, et de plus de moyens en général. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faille baisser les bras. Pris aujourd’hui, Isabelle a surtout besoin d’un relifting. Avec un bon moteur 3D qui reproduit l’aspect marionnette des personnages, un univers graphique plus riche, voire juste cohérent visuellement, un petit coup de maniabilité refaite, et alors il y a moyen de se faire une place. Qui pourra prendre part à un tel projet ? Je ne sais pas. Belisa sera parti aussi vite qu’il était arrivé. Enfin, je dis ça, mais on peut toujours commander le jeu via Internet, et on le recevra dans une jolie enveloppe avec notre adresse écrite à la main. Pour ça, c’est ici que ça se passe, avec notamment plein d’articles de presse : http://www.belisa.com/fr/isabelle/

Reste qu’Isabelle vous permettra de savoir quoi siffler sous la douche, mais ça, c’était histoire de finir sur un petit mystère !

Isabelle