Pour beaucoup de gens, les studios Lucas évoquent George Lucas et, plus précisément, Star Wars.
Et c’est pas forcément faux. LucasArts a développé énormément de jeux vidéo depuis plus de 20 ans, et parmi eux beaucoup de Star Wars.
Mais ce serait terriblement réducteur de s’arrêter à cela. Pour beaucoup de gamers, Lucasarts c’est, avant tout, un des concepteurs de ‘point & click’ les plus fameux du siècle passé.
Les Monkey Island, Day of the Tentacle, Loom, les Indiana Jones… Que de grands jeux, qui ont fait de LucasArts un des meilleurs développeurs de jeux vidéo des années 90.
Et le jeu que je teste aujourd’hui vient de ce studio-là, bien qu’il ne s’agisse pas d’un point & click. Sorti en 1998 sur PC, il se nomme Grim Fandango. Et lorsque le designer de Day of the Tentacle et Full Throttle se penche sur un nouveau jeu, on se tait, et on admire.
Sale temps pour les affaires…
Vous incarnez Manny Calavera, cadavre de son état, employé au DDM (Département des Morts) et chargé de guider les âmes des frais défunts vers le neuvième monde : l’au-delà. Hélas, les affaires marchent mal, et Manny galère à maintenir son quota de clients, nécessaire au gain de son ticket pour le paradis. Du coup, votre supérieur, Don Copal (à prononcer avec l’accent de De Niro) se tourne de plus en plus vers Domino Hurley, votre principal rival (qui ressemble à la version squelettique des affreux vendeurs de chez Surcouf, croisée avec un golden boy américain) qui lui, récupère tous les clients intéressants. Pourquoi une telle inégalité ? C’est ce que Manny va tenter de découvrir.
Petite parenthèse concernant le boulot de Manny. Si un client « normal » se présente à lui (n’importe qui qui ne soit pas un vrai saint), ce dernier devra se taper un voyage de 4 ans à travers l’enfer pour gagner le paradis, seul avec un bâton équipé d’une boussole (l’Excelsior Plus). Si le client est un saint, il gagnera un voyage en train à bord du Neuf Express, qui l’amènera en 4 minutes au lieu de 4 ans.
On constatera aussi, lors de l’intro vraiment excellente, que l’argent avec lequel le défunt a été enterré peut lui servir pour obtenir une voiture de course ou la traversée sur un paquebot de luxe (bravo la morale !).
Il y a quelque chose de pourri au royaume des morts…
Bref, les affaires marchent mal pour Manny, il ne récupère que des clients sans intérêt, inaptes à l’aider à payer sa dette. Ce qu’il lui faudrait, c’est un saint, quelqu’un de bien, et bien mort… Mais c’est son rival, Domino Hurley, qui les récupère tous. N’en pouvant plus, Manny vole carrément un contrat à Domino, celui de Mercedès Colomar. Cette femme, c’est une sainte, une vraie, le genre à lire des histoires au chevet de petits lépreux, qui a vécu sa vie entière au service des autres sans se soucier de sa personne.
Manny se frotte les mains mais… STUPEUR, il ne peut lui vendre le Neuf Express, alors qu’elle y a droit plus que tout autre. La sainte, bonne joueuse, s’en va directement à pied.
Et voilà Manny convoqué chez Don Copal, son boss, qui lui passe un savon incroyable pour sa bourde. Hélas, Mercedès est déjà partie, à la merci du premier démon venu. Manny, bien que culpabilisant, se fait enfermer, prêt à subir le sévice ultime, la mise à mort par germination (qui transforme un mort en pot de fleur ambulant).
A cette occasion, il fait la connaissance de Salvador Limonès, qui ne vit sa mort que pour démanteler le grand réseau de corruption qui régit actuellement le DDM, et qui le libère pour y avoir un espion. Manny cherchera donc à comprendre pourquoi il ne récupère que des clients affreux (et pourquoi la belle Mercedès, dite « Mèche », n’a pas eu droit à son Neuf Express), et voudra retrouver la belle.
Bien entendu, vous découvrirez vite que vos mésaventures n’ont rien à voir avec la malchance, mais avec une sombre machination qui gangrène et corrompt le monde des morts.
Je ne dévoilerai pas plus le scénario, laissant le plaisir de le faire à ceux qui voudraient tenter l’aventure eux-mêmes.
Gaussons-nous de la mort !
Plus encore que dans tous les précédents jeux LucasArts (et pourtant c’était pas chose aisée), c’est son ambiance qui fait de Grim Fandango un vrai hit.
Le monde des morts forme un univers magistralement cohérent, à mi-chemin entre l’Amérique des années 50 (pour ses détectives à cigares, l’ambiance générale avec les secrétaires-espionnes en tailleur) et l’étrange Noël de Mr. Jack. Les personnages sont tous hyper charismatiques, que ce soit Manny, hilarant lorsqu’il s’équipe de sa faux et de ses échasses pour aller bosser, Glottis le démon mécano, Hector le Mans et sa tête de mafieux…
On est vite fixé, rien qu’à leur tête, sur les intentions de chaque personnage. Les méchants ont l’air méchant, les idiots ont l’air idiot, les gentils ont l’air gentil (la belle Mèche, malgré qu’elle ne soit qu’un tas d’os, est absolument craquante).
On trouve aussi du Terry Gilliam (Brazil) dans ce jeu, avec le principe, déjà (un p’tit employé seul contre le système), et pas mal de références, comme le système de courrier (des cylindres propulsés pneumatiquement dans des réseaux de tuyauterie répandus partout dans la ville).
Et le tout bourré d’humour, bien sûr. Pas 5 minutes sans qu’une phrase lâchée par un perso ne fasse mouche, sans qu’une référence ne soit réduite en miettes (Manny qui range son costume de faucheuse dans son vestiaire).
LucasArts réussit à nous faire rire de la mort, chapeau !
Parce qu’en plus c’est beau ?
Bah oui, ça tranche pas mal avec les précédents jeux LucasArts ; même The Curse of Monkey Island (sorti tout juste un an plus tôt) a l’air laid à côté de ce jeu.
Fini les basses résolutions et les 256 couleurs, place à la technologie !
Grim Fandango est, disons-le, magnifique, et plus encore. Les personnages sont tout en 3D (si si), et se baladent dans des décors en 2D véritablement somptueux. Chaque personnage est un modèle de design, et toute l’architecture du jeu est à tomber à la renverse.
Niveau sonore, c’est tout simplement parfait.
Si la musique est grandiose (du jazz de l’époque, correspondant parfaitement à l’ambiance du titre), les parties bruitage et vocale ne sont pas en reste.
Chaque personnage dispose de son propre doubleur de talent. Et pour avoir joué à la VO et à la VF, je peux dire que les deux versions sont fabuleuses. Manny avec ses accents mafieux, Mèche, pour qui l’on vendrait son âme si ça pouvait sauver la sienne… Sans compter Glottis et ses remarques délirantes (Manny : Mais… c’était une voiture de fonction ! Glottis : bah oui, j’ai rajouté plein de fonctions, justement).
Ah mais c’est pas un point & click !
Je crée ce paragraphe pour bien souligner ce point. Bien que Grim Fandango soit dans la lignée directe des jeux d’aventure LucasArts, l’usage de la 3D renvoie la souris dans son carton.
Ainsi, le jeu se joue au clavier, avec une maniabilité à caméra fixe façon Resident Evil (ouh, la comparaison de merde). Et quand Manny passe à côté d’un objet ou d’un indice intéressant ? Bah, il tourne la tête, tout simplement, vers l’objet avec lequel il peut interagir. A vous de l’utiliser à bon escient.
A ce niveau-là, le joueur habitué aux point & click peut être inquiet… De la 3D ? Pas de souris ?
Rassure-toi, ô homme de peu de foi, car LucasArts, c’pas des charlots, et ils savent bosser. Si les caméras ne sont pas toujours merveilleuses, il reste très rare qu’elles gênent véritablement. La maniabilité reste très précise et on ne perd pas ses marques, grâce à un inventaire magnifique, mais certes pas le plus clair que j’ai pu voir.
Tortueux et compliqué
Qui dit LucasArts et jeux d’aventure, dit énigmes parfois horribles.
Grim Fandango ne fait pas exception à la règle, et se rapproche fortement de Day of the Tentacle au niveau de la difficulté des énigmes. Ainsi, le jeu est exceptionnellement dur pour le non-initié, qui sera rebuté assez vite par tout cela.
Concernant les autres, qui sont déjà plus coutumiers du genre, Grim Fandango reste beaucoup moins frustrant que Day of the Tentacle, plus « logique » (fini les hamsters à congeler). Comme dans les Monkey Island, on ne perd pas, on ne meurt pas si l’on ne trouve pas la solution à une énigme ; tout au plus reste-t-on bloqué jusqu’à l’avoir résolue, ce qui nous donnera l’occasion de découvrir toutes les répliques et secrets délirants de ce jeu.
Comptez une bonne quarantaine d’heures pour en voir le bout.
Conversion réussie : 19,5/20
Ouais je sais, je suis pas objectif. LucasArts est néanmoins passé de la 2D à la 3D avec brio, et le peu de succès de ce jeu n’est absolument pas mérité.
Franchement, je leur tire mon chapeau, ce jeu est quasiment parfait. Je regretterai juste un inventaire pas hyper clair et une difficulté parfois mal dosée, mais c’est long, intéressant, magnifique, hyper drôle…
P’têtre le meilleur jeu de Lucas jamais sorti sur PC à mes yeux, et c’est peu dire.