Un projet ambitieux…
Souvenons-nous du secteur du RTS au début de ce siècle : Starcraft, sorti en 1998, s’est imposé comme la référence en matière de stratégie à tendance futuriste, et Age Of Empires II, sorti en 1999, a le monopole en ce qui concerne la stratégie historique. Il aura donc fallu quelques années pour que Sierra débarque sur le champ de bataille avec son propre projet, et ça s’annonce comme du lourd ! Imaginez un peu un jeu de stratégie en temps réel reprenant le concept des « âges » des Age Of Empires en le poussant à son paroxysme : là où la série de Microsoft vous faisait traverser les différentes époques de l’Antiquité et du Moyen-Âge, Empire Earth vous propose de vivre toute l’histoire de l’humanité, de la préhistoire et ses petits villages de chasseurs-cueilleurs jusqu’à un XXIIe siècle peuplé de pirates informatiques et de mechas, en passant par les chevaliers médiévaux, les canons napoléoniens et les tanks de la Panzerdivision. Toute l’histoire, on vous dit !
Un gameplay déjà vu, mais vraiment enrichi
Concrètement, comme je l’ai dit, le jeu reprend le système des « âges » d’Age Of Empires : vous devrez utiliser vos paysans pour collecter des ressources afin de développer votre cité et rechercher de nouvelles technologies. Quand vous aurez bâti un nombre suffisant de structures, vous devrez dépenser une grande quantité de ressources pour avancer sur une échelle de 14 époques qui sont : la Préhistoire, l’Âge de Pierre, l’Âge du Cuivre, l’Âge du Bronze, le Bas Empire, le Moyen-Âge, la Renaissance, l’Ere des Empires, l’Ere Industrielle, l’Ere Atomique qui englobe trois époques distinctes (les deux guerres mondiales et la fin du XXe siècle), l’Ere Digitale, et le Nano-Âge, qui est un festival de tanks volants, de robots et de fusils lasers. Inutile de préciser que vous devrez sans cesse renouveler votre façon de jouer, car si vous êtes habitué à gérer vos formations de guerriers au corps-à-corps, de cavaleries et d’archers, vos stratégies deviendront obsolètes quand arriveront les mousquets et les canons de bronze. De même, la production de structures et d’unités s’en trouvera modifiée : si les Casernes, Universités, Temples traversent les époques sans soucis, vos Ecuries finiront par disparaître au profit des Usines de chars, auxquelles s’ajouteront les Aéroports, Centrales radars, DCA, vos cavaliers Grecs demanderont à être modifiés en chevaliers, vos trois-mâts passeront à la turbine… si le cœur du gameplay reste très similaire à Age Of Empires (on récolte du bois, de la pierre, du fer, de l’or et de la nourriture, on construit une base et développe une armée pour aller guerroyer), chaque époque pose des enjeux auxquels il faut s’adapter, ce qui rend l’expérience de jeu immensément plus riche, mais aussi immensément plus prise de tête. Car si un minimum de jugeote suffit pour s’adapter à la plupart des époques (on a tous une petite idée de ce que peut faire un trébuchet, une arbalète ou un galion), les choses se corsent quand apparaissent les avions : Sierra ayant pris le parti d’un certain réalisme, vos chevaliers du ciel devront toujours être en mouvement et vous avez intérêt à surveiller la jauge de carburant, faute de quoi ils abandonneront le combat pour rentrer faire le plein ! Dans les époques du futur apparaissent les hackers et les mechas, disposant tous de capacités particulières qui ne sont pas toujours faciles à deviner : un entraînement intense peut être nécessaire pour maîtriser pleinement son jeu dans les époques les plus avancées. A noter que si vos unités ont des statistiques de base (vitesse, force, portée de tir…) vous pouvez, moyennant ressources, augmenter manuellement une statistique donnée, et ça peut être déterminant dans l’issue d’une bataille : un seul Viking pourra découper toute une escouade de Spartiates sans sourciller si sa force a été augmentée au maximum. Une dimension RPG qui vient apporter encore plus de richesse à un gameplay déjà bien fourni. En mode Escarmouche, l’IA ennemie peut se révéler assez maligne et poser un bon challenge… ou elle peut aussi ne rien faire d’autre que construire des murs, c’est selon les jours.
Bac histoire, mention bien
Venons-en au plat de résistance, les campagnes ! Le jeu propose quatre campagnes solo composées de huit missions chacune qui vous proposent de revivre les moments marquants dans l’histoire d’une civilisation. La campagne grecque vous plongera ainsi en pleine Antiquité, commençant très tôt par la migration des hommes préhistoriques sur la péninsule pour se finir par la conquête de Persépolis par Alexandre le Grand en 332 avant JC, vous faisant vivre au passage la guerre de Troie et la fondation d’Athènes. La campagne anglaise fera un bon d’un petit millier d’années dans le futur et vous mettra dans la cuirasse d’un jeune duc de Normandie parti conquérir le trône d’Angleterre. S’en suivront quelques moments forts de la Guerre de Cent Ans avant d’achever la campagne dans le sang et la poudre de la bataille de Waterloo. La campagne allemande concerne une période un peu plus restreinte puisqu’elle couvre les deux guerres mondiales. Vous aurez l’insigne honneur de côtoyer le célèbre Baron von Richthoffen sur les champs de bataille français dans la première partie de la campagne avant de jouer la seconde guerre mondiale dans la deuxième partie… dans la peau des nazis, oui… un parti pris assez atypique, donc pas inintéressant. Heureusement que le jeu se focalise sur les faits militaires, et ne fait absolument pas l’apologie de certaines idées. Enfin, dernière campagne du jeu, la campagne russe présente un scénario d’anticipation entièrement concocté par le développeur Stainless Steel : dans la peau d’un officier renégat dans une Russie gangrénée par la crise économique, vous devrez préparer un coup d’Etat et établir un empire encore plus vaste que l’URSS. Ce scénario digne d’un roman mélange joyeusement géopolitique contemporaine, ambiances Gundam et cyberpunk, voyage temporal, et termine les campagnes sur une note très positive. Outre cette dernière campagne axée science-fiction, les autres sont très bien présentées avec un texte d’introduction romancé auquel s’ajoute une rubrique plus encyclopédique sur la période historique concernée. Les missions s’efforcent en général de respecter le cours historique des événements (j’ai même appris des choses !) mais s’accordent parfois une certaine licence artistique : Napoléon meurt à Waterloo, les nazis gagnent la bataille d’Angleterre, sont quelques exemples de libertés prises pour ajouter un peu de piment aux missions. Côté construction, les missions font un réel effort pour éviter la monotonie et chacune d’entre elles réserve des surprises mettant l’accent sur des particularités de gameplay. L’effet pervers est une sensation de bride qui se fait ressentir sur certaines missions qu’il est quasiment impossible de finir d’une façon différente de celle prévue par le jeu. A part ça, l’IA ennemie est souvent assez facile une fois qu’on a compris la marche à suivre, sauf vers les dernières campagnes où la difficulté peut réserver quelques mauvaises surprises. Une autre critique que l’on pourrait faire au mode Campagne est la voix des personnages qui, si elle apporte un cachet indéniable, tombe (trop) souvent dans le kitsch le plus improbable. Le pire exemple est la voix des Allemands qui s’expriment en français avec un épouvantable accent emprunté à Papa Schultz. Le jeu possède également un éditeur de campagnes très complet qui permet de créer de très belles cartes et même des séquences cinématiques. Si l’outil est une véritable petite merveille de possibilités, il est malheureusement très complexe et pas intuitif pour un sou. A réserver à un public patient et connaisseur.
Un seul architecte pour les gouverner tous…
C’est sur l’aspect graphique que le bât blesse quand même un peu. Le jeu est en 3D et dispose d’un très bon niveau de zoom qui permet de se mettre vraiment à hauteur de la plus petite unité. La modélisation des structures est plutôt jolie, celle des unités un peu moins : les humains sont souvent représentés par cinq ou six gros pixels bien gras. Mais voyant l’âge du bébé, cette petite faiblesse graphique est pardonnable. Les environnements sont magnifiques et les jeux sur les élévations de terrains permettent de créer des cartes très variées de chaînes de montagnes, plateaux, falaises, sans oublier les forêts, plaines, littoraux, paysages enneigés, on peut presque tout faire ! L’eau est transparente et permet de distinguer la topographie sous-marine. Les développeurs n’ont pas mégoté sur la création des cartes de campagnes qui sont pour certaines de véritables bijoux. Une carte de la campagne anglaise représente toute la côte sud de l’Angleterre avec les villes de Londres, Oxford, Portsmouth, et, séparée par la Manche, la presqu’île du Cotentin avec les villes de Cherbourg et Caen ! Un réel souci du détail dans ces cartes qui ne peut que renforcer le sentiment d’immersion lors des missions. Les structures changent bien d’aspect avec le passage des époques, arborant dans le futur des formes étonnantes : les maisons, de simples tentes en peaux à la Préhistoire, finissent par ressembler à des dômes tout droit sortis d’un épisode de Futurama. Là où ça fait mal par contre, c’est que le jeu propose un large choix de civilisations qui se distinguent sur le plan statistiques (l’une aura des cavaliers plus rapides, l’autre des archers plus précis, etc…) mais se ressemblent toutes sur le plan graphique, contrairement à un Age Of Empires II qui nous gâtait de jolies structures typiquement asiatiques ou arabes ou européennes suivant le choix de la civilisation. Dans Empire Earth, les Chinois de l’Antiquité construisaient en colonnes de marbre et portaient la toge. Bien sûr il y a quelques structures et unités jetées dans le tas pour faire couleur locale (des maisons chinoises, des guerriers maures), mais elles sont en nette minorité, et l’ensemble reste très uniforme. C’est dommage, pour le coup ça tue un peu l’immersion. Côté musique, pas grand chose à dire. J’ai déjà évoqué les voix qui contribuent à l’ambiance quand elles ne tombent pas dans le ridicule. L’ensemble du jeu alterne sinon entre deux ou trois thèmes musicaux répétitifs mais suffisamment discrets et atmosphériques pour ne pas déranger. La musique fait son bouleau, sans être mémorable.
Dans l’ensemble, s’il accuse quelques petites faiblesses ici et là, Empire Earth reste un RTS mémorable avec un gameplay extrêmement riche, une ambiance épique et un très haut niveau de rejouabilité. Il faudra vraiment vous accrocher pour explorer jusqu’au bout toutes les possibilités offertes par les 14 époques du jeu. Si comme votre humble serviteur vous vous réveillez certains matins avec l’envie soudaine de dominer le monde, ce jeu représente une excellente alternative !