Discworld est un jeu vidéo PC publié par Psygnosisen 1995 .

  • 1995
  • Aventure

Test du jeu vidéo Discworld

4.5/5 — Exceptionnel ! par

Si vous n’avez jamais entendu parler de Terry Pratchett, il est grand temps de remédier à cette immense lacune littéraire. Cet écrivain britannique, dont l’œuvre la plus célèbre est la série des « Annales du Disque-Monde », est à l’heroic-fantasy ce que les Monthy Python sont à la légende arthurienne ou au Nouveau-Testament : un iconoclaste, un pourfendeur de la dignité et du drame, un forban de l’écriture pour qui rien n’est à prendre au sérieux. Les péripéties les plus épiques, les combats les plus décisifs, les menaces les plus maléfiques qui pèsent sur l’univers de sa création ne sont qu’un prétexte pour user et abuser de cet humour absurde et pince-sans-rire dont les Anglais sont les maîtres incontestés. Histoire de fournir quelques renseignements de base sur l’univers surréaliste imaginé par Pratchett, le Disque-Monde est un monde circulaire qui repose sur le dos de la grande tortue A’tuin, gigantesque chélonien galactique qui vogue à travers une dimension inconnue. Sur ce monde coexistent de nombreux royaumes aux gouvernements variés (théocraties monothéistes obscurantistes, républiques philosophiques hédonistes, royaumes microscopiques, …) et au beau milieu de tout cela, on trouve la grande cité d’Ankh Morpork, mégalopole crasseuse, dangereuse, chaotique mais terriblement attachante. La cité est dirigée d’une poigne de fer par l’impitoyable patricien Veterini et peuplée de personnages hauts-en-couleur. Quand on est déjà au parfum des nombreux particularismes du Disque-Monde et de ses habitants, c’est un véritable plaisir que de rencontrer « en chair et en os » tous les personnages loufoques au possible qui peuplent les romans. Mais Psygnosis a également pensé à ceux qui découvriraient la Disque-Monde pour la première fois, en présentant de temps à autres de petits cours théoriques sur certains éléments importants de cet univers. Ainsi, on apprendra par exemple que le bibliothécaire de l’université a été transformé en orang-outang lors d’une expérience magique qui a mal tourné, mais a toujours refusé de subir la transformation inverse, ne voulant pour rien au monde perdre ses nouveaux bras préhensiles et son droit à se gratter publiquement dans la section des références bibliographiques, que ce même bibliothécaire, fier de sa nature d’anthropoïde, devient fou de rage lorsqu’il entend le mot « singe » (« Ape » et « Monkey » en anglais), que les stupides trolls manipulent redoutablement les concepts les plus abstraits lorsque leur cerveau est à la bonne température. Ou encore que le caporal Chicard Chique (du guêt des orfèvres) est le seul citoyen de la ville à être obligé de porter une carte d’identité spécifiant qu’il est bien un être humain. En tout cas, on rencontrera au fil de la progression une bonne partie des personnages récurrents de la série. Les connaisseurs retrouveront l’ironie menaçante de Veterini, le discours nombriliste et condescendant de l’archichancellier Mustrum Ridculle, les pleurnicheries du colporteur Planteur « J’me-tranche-la-gorge », les babillages séniles de Vindelle Pounze, le solide sens commun de La Mort et la syntaxe complexe du bibliothécaire à base de « Ook » et de « Eek ».

Ce premier jeu vidéo inspiré des romans de Pratchett s’inspire majoritairement des événements retracés dans le roman « Au guêt ! ». Un dragon rôde dans Ankh-Morpork, causant de lourds dommages à la ville et à ses habitants. Afin de ne pas affoler la population, le patricien Veterini maintient un silencio stampa sur cette sombre affaire. Après tout, pourquoi s’inquiéter ? Il est bien connu que les dragons n’existent que si on croit en eux. Le seul problème, c’est que le pékin moyen des rues d’Ankh-Morporkh a une fâcheuse tendance à croire en eux, justement. Désireux de prouver qu’ils servent à quelque chose (et aussi de rafler la magot que doit détenir le dragon), les mages de l’Université invisible décident immédiatement de prendre le problème à bras-le-corps et expédient Rincevent, un membre du sérail, résoudre cet épineux problème. Le problème, c’est que Rincevent n’a pas vraiment l’étoffe d’un héros. Pour tout vous dire, c’est un couard, un pleurnichard caractériel, un individu notoirement incompétent. Comme l’explique Pratchett dans un de ses ouvrages, la mort de Rincevent aurait pour seul effet d’améliorer légèrement le niveau moyen de maîtrise de la magie des habitants du Disque-Monde. Comme si ça ne suffisait pas, Rincevent se voit flanqué dès le départ du Bagage, un coffre magique équipé de petites pattes qui le suit partout comme un chiot en manque d’affection. En dépit de son tempérament psychotique, le Bagage s’avère bien utile pour ranger les multiples objets glanés au cours de l’aventure et sert donc de menu d’inventaire tout au long du jeu. Rincevent partira donc sur les routes du Disque-Monde (même si le jeu se déroule majoritairement au sein d’Ankh-Morpork) dans une classique quête d’objets magiques :

Qu’il s’agisse de créer un détecteur de tanière de dragon, ou de récupérer les éléments qui permettront à Rincevent de devenir un héros, la recherche des différents objets aurait toute sa place dans une épopée tolkienienne… si les moyens pour y parvenir n’étaient pas aussi délirants ! Outre l’assemblage d’objets incongrus et les techniques pour le moins originales pour récupérer des objets (Ce n’est pas tous les jours qu’on s’empare du ceinturon d’un poissonnier après lui avoir filé une indigestion de caviar aux pruneaux, ce qui forcera le malheureux à filer dans les toilettes les plus proches, préalablement piégées par Rincevent avec un poulpe pris au piège dans de la bouillie de céréales durcie !), Discworld proposera aussi de fréquents allers-retours dans le temps, afin de solutionner certains problèmes avant même qu’ils ne se produisent !

Réalisation technique :

Pour recréer l’univers enchanteur de Terry Pratchett, Psygnosis a certainement dû faire appel à la crème des illustrateurs britanniques, tant le résultat est fantastique. Les décors rappellent le style d’illustrations que l’on retrouve dans les versions originales des romans fantasy anglo-saxons, avec des couleurs superbes, ni trop austères ni trop voyantes, et un style général unique parmi les jeux d’aventure de l’époque. Les personnages sont un peu plus grossiers (spécialement lorsqu’on les voit de loin) mais leur allure amusante et le plaisir de les avoir enfin devant soi compense largement ce petit défaut. L’animation des personnages n’est malheureusement pas aussi détaillée. Si les nombreux événements qui jalonnent la quête donnent lieu à de petites animations bien cartoonesques, les actions basiques des personnages ne sont que très peu décomposées et cette faiblesse entache parfois le charme visuel du jeu. Les objets cliquables de Discworld sont parfois un peu fouillis. Certains objets de très petite taille ne sont pas non plus évidents à dénicher. Discworld utilise un système beaucoup plus simple que les jeux d’aventure Lucasarts. Pas question ici de combiner des verbes avec des objets à l’écran : la souris ne sert qu’à examiner les objets, à les ramasser ou à combiner les items de l’inventaire avec un objet à l’écran. Assez bizarrement, on rame parfois un peu pour accéder à l’inventaire (le clic semble ne pas toujours fonctionner, ou alors le Bagage se montre capricieux) mais rien de bien grave. On peut également tenir des conversations totalement surréalistes avec la plupart des personnages rencontrés. A l’instar de ce qui se faisait dans Sam & Max, différentes icônes indiquent le type de dialogue que l’on souhaite tenir (question, blague, provocation, etc.). La bande sonore est assez discrète, avec de petites mélodies calmes (qui rappellent parfois celles des films Harry Potter), des bruitages cartoonesques et surtout, des voix (sur la version CD) de très haute volée. Un petit conseil en passant: si votre anglais est d’un bon, voire même très bon niveau (parce que Terry Pratchett, ce n’est tout de même pas J.K. Rowling, hein…), essayez de dénicher le jeu en anglais. Une grande partie de l’humour de Pratchett est basé sur des jeux de mots intraduisibles en français et sur un savoureux décalage entre la langue utilisée et le contexte, et on perd pas mal de ce charme en version française. Qui plus est, les acteurs engagés pour l’occasion sont vraiment exceptionnels, et on retrouve parmi eux Eric Idle des Monthy Python et Tony Robinson (Baldrick dans « La vipère noire »).

En bref : 18/20

Voici une véritable perle du jeu d’aventure, l’un des rares spécimens du genre à pouvoir concurrencer les softs Lucasarts sur leur propre terrain. Discworld n’est pas le jeu d’aventure le plus simple qu’il m’ait été donné d’expérimenter. Les énigmes sont parfois sacrément tordues (enfin, pas tant que ça d’un point de vue « Pratchettien »… !) mais à l’instar d’un Sam & Max ou d’un Day of the Tentacle, il suffit d’adhérer à l’esprit particulièrement décalé du jeu pour que les idées idiotes se mettent à fuser et facilitent la résolution des problèmes qui pleuvent sur ce pauvre Rincevent. Le scénario est assez classique mais c’est surtout l’absurdité permanente des dialogues et des situations, les concepts détournés de leur sens premier et la touche so british du jeu qui raviront les amateurs de bons mots et d’humour décalé. De ce point de vue, Psygnosis a respecté à la virgule près l’esprit des romans de Pratchett. Que vous connaissiez ou pas les écrits du monsieur, n’hésitez pas un seul instant à vous plonger dans l’univers bizarre du Disque-monde et à chasser ce dragon-qui-n’existe-pas-sauf-si-on-y-croit.

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