Westwood Studios a inventé le STR à lui seul avec l’inoubliable Dune II. Il l’a porté vers des hauteurs inégalées avec le non moins célèbre Command & Conquer. Enfin, histoire d’enfoncer définitivement le clou, il l’installa définitivement comme un des genres les plus acclamés de l’histoire du jeu vidéo avec la fausse suite de Command & Conquer, Red Alert. Se déroulant dans une réalité alternative, Red Alert récolta un succès encore plus important que son prédécesseur, et déchaîna les passions sur le web grâce à l’excellence de ses modes multijoueurs. En 1946, Albert Einstein (décidément toujours aussi malchanceux lorsqu’il lui prend la fantaisie d’aider l’humanité), met au point la Chronosphère, première machine à voyager dans le temps de l’histoire. Grâce à elle, il retourne à Landsberg en 1924, et élimine le jeune Adolf Hitler à sa sortie de prison. Confiant dans sa décision d’avoir épargné au monde les atrocités de la Seconde Guerre Mondiale, Einstein revient à son époque… pour découvrir que la modification temporelle a eu des effets inattendus sur la géopolitique mondiale. Libérée de la présence de son belliqueux rival, l’Union Soviétique de Staline est devenue la première puissance mondiale. Dès le début des années 50, elle reprend à son compte la politique agressive et expansionniste de l’Allemagne et lance ses divisions à l’assaut de l’Europe occidentale. De la victoire des Rouges ou de l’Alliance occidentale dépendra l’avenir du monde.
Dans une mission classique, selon un principe aujourd’hui bien connu, le joueur devra construire et protéger une base suffisamment solide et fonctionnelle pour tenir tête à la base des cousins d’en face. Il faudra rassembler des ressources (Minerais et pierres précieuses) afin d’obtenir des crédits supplémentaires pour l’infrastructure de la base, construire et entraîner des unités militaires, mettre en place des structures défensives (bunkers, murs de protection, …), des implantations industrielles (usine de montage, aéroport, chantier naval,…) qui permettront de lancer la production d’unités militaires plus puissantes, et des structures logistiques (silos pour accueillir les minerais, centrales électriques, …) pour faire tourner le tout. Le jeu n’imposant aucune limite dans la construction des structures, il est possible d’arriver à implanter une base réellement gigantesque. Une fois qu’on dispose d’une base prête à encaisser n’importe quel choc, on lance l’assaut contre la base adverse et on la réduit en cendres. Cependant, toutes les missions ne seront pas aussi basiques. Dans de nombreux cas, les missions seront plus rapides et centrées sur la tactique et la précision. il faudra par exemple protéger un convoi, exfiltrer un agent hors de la base adverse, ou traquer un fugitif à travers une zone montagneuse. Dans l’ensemble, les objectifs à atteindre sont relativement variés. Evidemment, on trouve beaucoup plus original aujourd’hui, mais à l’époque, Alerte Rouge faisait preuve d’un éclectisme qui était loin d’être la caractéristique principale des STR existant.
Selon que l’on préférera jouer la campagne alliée ou la campagne soviétique, ce seront deux techniques de jeu bien différentes qui devront être mises en œuvre. En effet, un élément important du gameplay de Red Alert est qu’il déroge à la règle en vigueur dans nombre d’autres STR de l’époque. Cette règle exigeait que chaque unité particulière d’un camp entraîne la possession par l’autre camp d’une unité aux caractéristiques plus ou moins équivalentes, de manière à ce que les forces en présence soient parfaitement équilibrées. A l’inverse, Alerte Rouge table sur un net déséquilibre des forces. Cela ne signifie pas qu’un des deux camps soit réellement supérieur à l’autre mais leurs modus operandi pour vaincre se distinguent nettement l’un de l’autre. Ainsi, les Soviétiques sont imbattables au niveau de puissance militaire pure : avec ses légions de soldats bien entraînés, ses véhicules de qualité supérieure, et ses quelques chars d’assaut au blindage et à la puissance de feu incomparables (le fameux char « Mammouth »… que de souvenirs d’engagements gagnés in extremis avec cette machine à tuer indestructible !), la campagne soviétique est destinée à ceux qui ne jurent que par la force brutale pour remporter la victoire. En contrepartie, les troupes Alliées sont généralement mobiles et rapides, mais ne peuvent lutter à armes égales face à la puissance de feu soviétique. Les Alliés compensent cette faiblesse par le recours aux opérations plus tactiques : l’ingénieur peut faire passer les bâtiments ennemis sous contrôle allié, l’espion et le voleur peuvent s’infiltrer, étudier la logistique ennemie et voler des ressources, les médecins et mécaniciens peuvent soigner les unités endommagées, et le commando Tanya s’avère bien utile pour semer la panique derrière les lignes ennemies. L’aviation est également à l’avantage des Soviets, avec la possibilité de construire des chasseurs, des bombardiers, et de larguer des parachutistes. Les Alliés doivent se contenter d’hélicoptères mais disposent en revanche d’une meilleure défense anti-aérienne. Enfin, la marine est plus efficace chez les Alliés, avec de nombreux bâtiments pour s’opposer aux sous-marins soviets, mais les missions mettant ce type d’unités en valeur ne sont pas très nombreuses.
Chaque camp dispose également de nombreuses unités qui lui sont totalement spécifiques. Ainsi, les Soviétiques disposent de chiens d’attaque. Ces animaux sont mortellement dangereux pour les ingénieurs, les commandos et les espions (qu’ils sont les seuls à pouvoir repérer), mais ne font pas le poids face aux soldats armés. Un autre bon exemple de ce mélange d’avantages et d’inconvénients est la tour Tesla. Il s’agit d’un système défensif soviétique autrement plus efficace que les bunkers alliés, qui pulvérise par impact électrique toutes les unités qui s’en approchent. Une base soviet bien protégée par des tours Tesla est pratiquement invulnérable. Néanmoins, cette structure souffre de plusieurs faiblesses à exploiter : elle est coûteuse, fragile et dépend de son alimentation en électricité. Une unité infiltrée qui réduirait au silence une ou plusieurs centrales électriques ennemies transformerait ces engins de mort en tas de ferraille inoffensif que les troupes alliées détruiront aisément. Utiliser au mieux les avantages de ces unités spécifiques tout en réduisant au maximum leurs inconvénients apporte une dimension réellement intéressante à Red Alert.
**Réalisation technique **
Il est vrai que les graphismes ont considérablement vieilli. Les zones de combats, qu’elles soient enneigées ou pas, sont extrêmement répétitives, et les bâtiments sont sobres et fonctionnels, sans design particulièrement original. Néanmoins, le passage en mode SVGA apporte un confort de jeu beaucoup plus grand par rapport au premier Command & Conquer. La finesse graphique est bien présente, les unités sont reconnaissables, même quand elles sont de petite taille, et on ne risque pas de confondre un grenadier avec un ingénieur. Rien d’exceptionnel en soi, mais une simplicité et une sobriété qui sont un service d’un gameplay optimal. A un niveau plus décoratif, on retrouve bien entendu les briefings en vidéo entre chaque mission. Ces brefs intermèdes sont toujours aussi kitchs, avec des acteurs de troisième zone qui en font des tonnes et une mise en scène style théâtre de boulevard, mais ils font partie de la tradition C&C et pris au second degré, s’avèrent toujours aussi sympathiques ! L’animation est impeccable, malgré le très grand nombre d’unités présentes à l’écran, et ça tire dans tous les sens sans ralentissements. La jouabilité, grand point fort de cette série, est du même acabit. On pige les principes de jeu en dix minutes chrono, mais il faudra un peu de pratique pour élaborer les différentes stratégies imparables à même de laminer les bases ennemies. Dans l’ensemble, Red Alert n’est pas un jeu particulièrement difficile, même si certaines missions vous donneront du fil à retordre. Le grand avantage est qu’il ne semble jamais y avoir un moyen unique de vaincre, et il sera tout à loisir du joueur de la jouer grosbill ou fin tacticien pour remporter la victoire, même si les ressources de chaque champ de bataille et le camp choisi influencent fortement le choix de la stratégie. Evidemment, ces caractéristiques paraissent aujourd’hui être le minimum requis pour tout STR digne de ce nom mais à l’époque, il s’agissait d’une petite révolution qui permettait à Red Alert de surclasser largement tous ses concurrents. Respect, donc. Pour terminer, la bande sonore est d’excellente facture. Si on se lasse assez rapidement des « Yes sir ! » et autres « A vos ordres ! » des unités lorsqu’on les sélectionne, les bruitages sont bruyants comme il faut et les musiques, aussi nombreuses qu’énergiques, donnent aux confrontations un parfum martial qui leur sied à merveille.
En bref : 18,5/20
Objectivement, Red Alert n’offre rien de plus que ce que le STR moyen propose aujourd’hui, mais n’oublions pas que cela fait presque 10 ans qu’il est sorti et, en terme de plaisir de jeu, il n’a de leçons à recevoir de personne, même aujourd’hui. Simple, incisif et diaboliquement addictif, Red Alert propose un très grand nombre de missions dans les deux camps, et une telle variété dans ces dernières qu’on ne s’ennuie pas une minute à écraser méthodiquement le camp d’en face. Et encore ne parle-t-on là que du mode solo. Le multijoueur propose de nombreux modes de jeu différents pouvant mettre aux prises 8 joueurs en réseau local ou via le web, garantit une durée de vie quasi infinie au soft, et Red Alert fut d’ailleurs une des plus grandes réussites on-line des années 90 à ce niveau. Pour ma part, j’ai passé un nombre d’heures absolument indécent sur Red Alert, en solo ou en multijoueur, ma préférence allant aux simples affrontements mano a mano, qui peuvent être menées rapidement et proprement par deux joueurs expérimentés. En regard de ses innombrables qualités, pourquoi ne pas coller une note maximale à Red Alert alors ? Disons que les STR sont une variété de jeu dont les représentants tombent vite en désuétude, vu l’évolution rapide de la technologie et l’habitude des jeux concurrents de reprendre à leur compte tout ce qui marche chez les best-sellers du genre. Que Red Alert mérite encore une note aussi élevée aujourd’hui témoigne de la place d’exception qui est la sienne dans l’histoire vidéoludique.