Le Seizième Siècle. Des quatres coins de l’Europe, de gigantesques voiliers partent à la conquête du Nouveau-Monde. A bord de ces navires des hommes avides de rêves, d’aventure et d’espace, à la recherche de fortune. Qui n’a jamais rêvé de ces mondes souterrains, de ces mers lointaines peuplées de légendes ou d’une richesse soudaine qui se conquerrait au détour d’un chemin de la Cordillère des Andes ? Qui n’a jamais souhaité voir le soleil souverain guider ses pas, au coeur du pays Inca, vers la richesse et l’histoire des .?
Oui, OK, ça va, j’ai piqué l’intro ailleurs, et je ne vous ferai pas l’affront d’expliquer où. Mais avouez que ça rend tout de même mieux qu’un truc du style « Après le succès mondial de Civilization, le génial Sid Meier récidive avec Colonization, un programme novateur doté de graphismes réalistes, d’une bande son époustouflante, etc »
Ne nous affolons pas, le déroulement du jeu sera tout de même plus prosaïque, puisqu’il ne sera ni question de Grand Condor, ni de mystérieuses cités perdues, et encore moins de Pedro, Sancho ou Mendoza. Colonization est de cette race de jeu de gestion, complexes sans être insurmontables, qui a ruiné la vie sociale et nui aux résultats scolaires de pas mal de joueurs au début des années 90.
Sid Meier, effectivement génie reconnu de la conception vidéoludique du début des années 90, avait déjà gagné la reconnaissance éternelle des joueurs PC avec le fabuleux Civilization, qui généra de nombreuses suites plus ou moins inspirées. Avec Colonization, le public eut droit à un des meilleurs jeux jamais inspirés de ce génial gameplay. Si le principe de base demeure relativement similaire à celui de son illustre modèle (construire petit à petit une société fonctionnelle, étendue et prospère), Colonization propose néanmoins suffisamment de particularités intéressantes pour ne pas être considérés comme une banale adaptation de Civilization centrée sur un continent bien précis. Le fait de s’imposer comme la puissance dominante de tout le territoire sert non pas de moteur ultime au jeu, mais de simple moyen de s’assurer une relative tranquillité afin d’atteindre le réel objectif de Colonization : déclarer votre indépendance vis-à-vis de la mère-patrie.
Le jeu débute assez logiquement en 1492 et se déroule au tour-par-tour, d’une année chacun. La messe devra être dite avant 1800. Dans Civilization, la partie était jugée qualitativement, et vous écopiez alors d’un surnom en rapport avec votre performance : « Machin le brave », « Machin le faible », « Machin le puissant » et ainsi de suite. Dans Colonization, le système est identique, si ce n’est que votre nom sera donné à un lac, une cascade, un fleuve, un animal féroce ou un batracien ! A noter qu’il est possible de jouer, au choix, sur la carte réelle des deux Amériques ou sur une carte générée aléatoirement.
**Les forces en présence **
Les Anglais : Ayant été l’une des principales sources de peuplement du Nouveau-Monde, en raison notamment de nombreuses persécutions religieuses au cours du XVIIe siècle, l’Angleterre dispose dans ses ports d’un nombre plus élevé de candidats à l’émigration que les autres nations.
Les Français : Les Français avaient occupé des territoires énormes au nom du Roy dans le Nouveau-Monde, sans jamais vraiment chercher à les développer. Ce qui entraîna à terme leur élimination progressive au profit des Anglais. Les Français préféraient ne pas entrer en conflit avec les indigènes, comptant davantage sur le syncrétisme et la tolérance mutuelle pour s’attirer les faveurs des peuples locaux. Dans Colonization également, les Français n’éprouvent aucune difficulté à rallier les indigènes à leur cause.
Les Espagnols : Tout le monde a en tête les exactions des fameux conquistadors assoiffés de sang et de richesse. La colonisation espagnole, dans l’actuelle Amérique latine, fut brutale, violente, réalisée dans le but d’exploiter les immenses richesses du Nouveau-Monde et d’imposer la Vraie foi aux populations païennes. Les Espagnols disposent d’un bonus d’attaque contre les cités indigènes.
Les Hollandais : Contrairement à leurs rivaux, les Pays-bas, dont la population était faible comparée aux autres nations européennes, n’avaient pas les moyens de se lancer dans une colonisation de masse. Ils préféraient établir de petits comptoirs un peu partout, de commercer avec tout qui acceptait de commercer, afin d’accroître la richesse de la métropole. Les Hollandais bénéficient d’avantages commerciaux importants sur leurs concurrents et démarrent directement avec un navire de transport.
Les indigènes : Les indigènes sont les habitants originels du nouveau monde, avec lesquels il vous faudra cohabiter, interagir ou lutter. Lorsqu’on les rencontre pour la première fois, ils sont on ne peut plus accueillants. Ils vous font d’ailleurs cadeau des terres environnantes en gage d’amitié. Mais la cohabitation risque à tout moment de tourner à l’aigre. Quand une colonie se développe, elle a besoin de plus en plus d’espace pour exploiter les richesses environnantes, et finit donc fatalement par empiéter sur les possessions indiennes. Il est possible d’acheter leurs terres jusqu’à un certain point, mais le conflit ouvert finit généralement par éclater. D’autre part, l’activité des missionnaires permet souvent de dresser les peuplades indiennes contre un autre occupant européen. Ne soyez donc pas étonné que des tribus que vous n’aviez pas encore rencontré, ou même vos voisins immédiats et sans histoires, se mettent soudain à manifester de l’hostilité. Enfin, alors que vos colons explorent leur nouveau territoire, il arrive fréquemment qu’ils rencontrent des ruines, ou des lieux « à rumeurs », comme le jeu les surnomme. Investir ces endroits est souvent financièrement gratifiant, mais peut, à l’occasion, provoquer l’ire de la tribu locale, furieuse que l’on ait profané les sépultures de ses ancêtres. Les Indigènes se divisent en trois catégories. Ceux qui vivent dans des campements (plus faibles et peu nombreux; ce sont les Sioux, les Apaches et les Tupis); ceux qui vivent dans des villages (Arrawaks, Iroquois et Cherokees) et enfin, ceux qui vivent dans des villes (nombreux et bien armés, l’usage de l’artillerie sera vital pour en venir à bout; ce sont les Aztèques et les Incas).
**Le temps béni des colonies **
Les colons qui débarquent d’Europe peuvent travailler aux champs ou dans les ateliers de la colonie. Les domestiques contractuels occupent, eux, une position inférieure au colon, et sont moins efficaces. Il faudra donc un certain temps avant qu’ils ne deviennent des colons à part entière. Les petits criminels fonctionnent sur le même principe, mais sont encore plus bas dans l’échelle sociale que les domestiques ! Il existe aussi les spécialistes en tel ou tel artisanat (trappeur, mineur, drapier, fourreur, distillateur, pêcheur, etc ), que l’on recrute en Europe, mais que l’on pourra aussi former dans la colonie une fois que l’on en aura les moyens (construction d’une école et d’une université), ou envoyer dans un village indien ami pour qu’il y apprenne les rudiments du métier. Enfin, si vous disposez de missions dans les villages indigènes avoisinants, des indiens convertis viendront travailler dans votre colonie. Très mauvais pour l’artisanat, ils excellent par contre dans l’exploitation des matières premières. Les zones situées autour de votre colonie vous fourniront ces fameuses matières premières : le bois, le minerai, la nourriture, l’argent, la canne à sucre, le coton, le tabac et les fourrures. Ces matières premières se vendant généralement à faible prix en Europe, il sera capital de les transformer sur place, histoire de leur octroyer une valeur ajoutée. Ainsi, les cannes à sucres pourront être transformées en rhum, le tabac en cigares, le coton en tissu et les fourrures en manteaux. De la même manière, vous pourrez toujours écouler vos surplus d’outils, d’armes ou de chevaux sur les marchés du Vieux Continent. Ces transactions commerciales fonctionnent sur le principe de la loi de l’offre et de la demande. Donc, si vous inondez le marché d’un produit en particulier, sa valeur marchande baissera jusqu’à ce qu’une pénurie rééquilibre les prix à votre avantage. Notez que votre souverain impose une taxe sur toutes les marchandises en provenance de votre colonie. A terme, vous pourrez également commercer avec les autres nations présentes dans le Nouveau-Monde.
L’augmentation de votre capital vous permettra d’améliorer l’infrastructure de votre colonie (entrepôts, industries plus performantes, murailles, églises, ports, chantiers navals) et de construire une armée pour parer à toute éventualité. Bien entendu, tout comme dans Civilization, une seule cité n’est pas suffisante. Pendant que vos éclaireurs découvriront les terres environnantes (et, peut-être la mystérieuse et très utile « Fontaine de jouvence », qui attire les immigrants en masse dans vos colonies), les pionniers construiront des routes, les colons s’installeront dans de nouveaux endroits riches en matières premières, et des routes commerciales seront établies pour pallier au manque de ressources de certaines colonies. Même si le nombre maximal de colonies que l’on peut établir est limité, il est rare que l’on arrive à atteindre cette limite.
**L’enfer, c’est les autres **
La guerre n’est jamais bonne pour la réussite de vos colonies, à moins qu’un tempérament sanguinaire ne vous incite à éradiquer toutes les populations locales et tous vos concurrents européens. Mais les relations avec les indiens étant souvent tendues, la lutte pour les matières premières étant impitoyable, et les conflits d’Europe ayant une fâcheuse tendance à s’exporter par delà l’Atlantique, elle est parfois nécessaire. Pour créer des soldats, il faut généralement du minerai et du bois pour les fusils. Les chevaux, eux, doivent être importés d’Europe au début, mais pour peu que la nourriture de la colonie soit abondante, ils se reproduisent rapidement. Quant aux canons, il faudra disposer du bâtiment requis au sein de votre colonie pour les produire. Au fur et à mesure des batailles, vos soldats, vos cavaliers et vos artilleurs pourront, s’ils ne le sont pas encore, devenir des vétérans et disposer d’un avantage non négligeable sur leurs opposants. Mais la guerre ne se déroule pas uniquement sur terre. Il est intéressant d’ajouter une dimension maritime à vos échauffourées, d’autant plus que la maîtrise des voies maritimes est vitale pour votre commerce avec l’Europe. D’ailleurs, outre le fait de chercher à détruire les vaisseaux militaires adverses, un bon moyen d’affaiblir vos concurrents est de chercher à saboter leurs propres voies commerciales. En temps de paix, une attaque contre une caravelle ou un galion étranger équivaut bien évidemment à une déclaration de guerre. Pour éviter ces ennuyeuses procédures guerrières, il vous reste la solution des corsaires, qui attaqueront les convois vers l’Europe sans qu’il soit possible de clairement vous identifier. Du moins si vous ne réitérez pas l’expérience trop souvent
**L’éducation à la citoyenneté, le congrès continental et l’indépendance **
Hormis les différents types de colons et de spécialistes présentés jusqu’ici, il en existe un dernier type, particulièrement important : les Anciens. Ce sont eux qui vous permettront en fait de gagner la partie. Placés dans la mairie, les anciens produisent des « cloches de la liberté », c’est à dire qu’ils préparent mentalement la population à accepter une déclaration d’indépendance. Il est vrai qu’il existe de très bonnes raisons pour déclarer votre autonomie. Alors que vos colonies sont prospères, fonctionnelles et autosuffisantes, ce foutu souverain européen continue à vous faire payer des taxes d’exportations sur tous vos produits. Plus grave, sous prétexte que ce roitelet pourri gâté se chamaille avec ses voisins, il n’hésitera pas à exporter les conflits européens dans vos colonies, exigeant que vous déclariez la guerre à vos voisins étrangers avec qui vous entreteniez jusqu’ici de cordiales relations. Et s’il vous prenait l’envie de lui signifier d’aller se carrer sa perruque poudrée là où le soleil ne brille pas, une augmentation drastique des taxes commerciales vous rappellerait vite à l’ordre.
Durant l’essentiel de la partie, la production de cloches de la liberté attirera diverses personnalités au sein de votre congrès continental. Ces conseillers sont actifs dans plusieurs grands domaines, comme la puissance militaire, l’exploration, le commerce, les affaires religieuses, etc Tous sont des personnages historiques de l’histoire du Nouveau-Monde, ou ayant des liens plus ou moins proches avec cette période, tels que George Washington, Benjamin Franklin, Hernan Cortès, Bartolomé de Las Casas, Peter Stuyvesandt ou Pocahontas. L’arrivée de chacun d’entre eux vous conférera certains avantages dans les domaines concernés. Par exemple, le patriote Paul Revere permettra à vos colons de prendre automatiquement les armes contre tout assaillant, une fois le dernier de vos soldats anéanti, tandis que Jean-Baptiste Cavellier de La Salle dotera automatiquement toute colonie de niveau 3 d’une palissade.
Vient le moment où un message vous informe que la population est mentalement mûre pour l’indépendance. En grandes pompes, votre nom est paraphé au bas de la déclaration d’indépendance. Mais le souverain ne verra pas les choses d’un bon il et un puissant corps expéditionnaire sera envoyé vers les colonies, à bord de navires surpuissants jusqu’alors inconnus, les Man o’war. Inutile de vous préciser que la partie va être très serrée. Heureusement, pour autant que vous ne vous soyez pas brouillé avec tout le monde, un dirigeant européen rival ne manquera pas de voir dans votre révolte un bon moyen de mettre des bâtons dans les roues de votre suzerain. Un corps expéditionnaire allié ne tardera pas à voler à votre rescousse, équilibrant quelque peu les forces en présence. Boutez les troupes de votre roi hors de votre désormais - patrie, et la partie est gagnée !
Graphismes : Colonization étant un jeu de gestion, il ne faut pas s’attendre à des graphismes faramineux. Il n’empêche que les cartes sont lisibles, colorées et détaillées. On ne s’empêtre ni dans les types de terrains, ni dans les ressources naturelles ni dans les différentes unités.
Jouabilité : Pour les afficionados de Civilization, la navigation dans les nombreux menus et les raccourcis clavier se fera de manière quasi instinctive. Pour les autres, l’ergonomie est suffisamment bien pensée pour que quelques heures de jeu permettent d’en saisir toutes les fonctionnalités.
Son : : Très belle réussite pour les musiques. Alors qu’elles sont d’ordinaire le parent pauvre de la réalisation dans les jeux de stratégie, elles sont ici suffisamment nombreuses et réussies pour qu’on éprouve pas l’envie dévorante de les couper au bout d’une heure de jeu. Marches militaires, percussions amérindiennes, musique traditionnelle américaine avec profusion de fiddle, il y en aura pour tout les goûts.
Intérêt : 19,5/20 Foin de considérations techniques, Colonization est avant toute chose un jeu aux capacités d’addiction proprement diaboliques ! Bien entendu, le principe primitif est similaire à celui de Civilization, mais les nombreuses spécificités et améliorations du gameplay sont suffisamment bien imaginées pour que l’on ait l’impression de se retrouver face à un jeu totalement novateur. Colonization vous bloquera de nombreuses nuits devant votre écran, fidèle au principe immémorial du « Allez, encore une petite demi-heure et je vais dormir ». Construire, fonder, commercer, capitaliser, guerroyer, améliorer : un principe simple mais dont il est difficile de se lasser. A la base, puisque seulement quatre nations sont disponibles au lieu de la quinzaine présente dans Civilization, l’intérêt devrait s’en voir logiquement amoindri. Mais quand on parle de centaines d’heures de jeu au lieu de milliers, cela n’a finalement que peu d’importance