Tout le monde l’attendait avec une fébrilité insoutenable, et beaucoup furent déçus du manque de nouveautés apportées par Civilization II. Plus qu’un nouveau jeu, Civilization II aurait plutôt du s’appeler Civilization +, puisqu’il s’agit avant tout d’une remise à niveau de ce jeu légendaire. L’objectif du joueur est toujours de présider aux destinées d’un peuple de l’an 4000 avant Jésus-Christ jusqu’en 2100. Au départ d’un petit groupe de va-nu-pieds, le joueur créera un empire centralisé, se dotera d’une armée, progressera scientifiquement de la roue à l’âge atomique, gérera l’infrastructure civile de ses cités, explorera le vaste monde, créera des routes commerciales, combattra ses voisins ou nouera des alliances avec eux et tentera de s’imposer comme le peuple le plus puissant et riche de la Terre. Le jeu s’arrête officiellement en 2100 (date à laquelle le dernier score civilisationnel est enregistré) ; même s’il est possible de continuer la partie par après. La partie est considérée comme gagnée lorsque votre civilisation a conquis la planète entière ou lorsqu’elle a envoyé avec succès un vaisseau spatial coloniser Alpha Centauri.
Les principes de jeu du premier Civilization n’ont pas été revus et corrigés, ils ont simplement été améliorés et complexifiés. Petit panorama rapide des nouveautés apportées par Civilization II. Outre les civilisations déjà présentes dans le premier volet, on pourra cette fois prendre en main la destinée des Espagnols, des Sioux, des Carthaginois, des Vikings, des Celtes et des Japonais. Chacun de ces peuples dispose de capacités de départ qui lui sont propres (maîtrise de l’une ou l’autre technologie, présence de deux colons, etc…) et de « caractéristiques culturelles » (expansionnistes, militaristes, etc.) qui ressortiront lorsque vous les rencontrerez en cours de partie.
De nombreuses nouvelles unités de combat ont également fait leur apparition, comme les archers, les éléphants, les piquiers, les croisés ou les dragons. Certaines de ces unités disposent de capacités intéressantes : ainsi, les parachutistes peuvent être largués sur une ville depuis un avion, les marines peuvent lancer un assaut amphibie contre une unité côtière sans débarquer au préalable, et les troupes alpines et les partisans ignorent les restrictions de déplacement liées à la configuration du terrain. On signalera aussi l’apparition de chasseurs à réaction, de bombardiers furtifs, d’hélicoptères et de missiles à longue portée, qui rendent la guerre aérienne plus intéressante. Les colons évoluent tôt ou tard vers le statut d’ingénieurs (avec de nouvelles possibilités offertes comme aplanir une montagne ou reboiser la banquise), les caravanes deviendront des camions de fret, et les diplomates seront remplacés par des espions (dont l’une des possibilités, politiquement dangereuse mais radicale, consiste à implanter une charge nucléaire dans une ville adverse). De nombreuses améliorations de villes ont également fait leur apparition. Pour n’en citer que quelques-unes, les transports en commun réduisent la pollution liée à la surpopulation ; le système de défense S.D.I. rend les villes invulnérables aux missiles nucléaires, les plates-formes pétrolières créent des « boucliers » (les unités liées à la production) dans les zones maritimes, l’aéroport permet de faire voyager des unités automatiquement entre deux villes, et le supermarché augmente de manière conséquente la production de nourriture sur les zones de cultures intensives.
Même remarque pour les Merveilles du monde, dont le nombre a quasiment doublé : en plus des anciennes merveilles, on pourra mettre en oeuvre la Croisade du Roi Richard, l’ambassade de Marco Polo, l’académie militaire de Sun-Tzu, l’atelier de Leonardo da Vinci, la société commerciale d’Adam Smith, la tour Eiffel et la statue de la liberté. Certaines de ces réalisations verront cependant leurs effets expirer lors de la découverte de l’une ou l’autre technologie. Au niveau du gouvernement, la seule nouveauté réside dans la possibilité de choisir un régime intégriste. Dans la moyenne au niveau de la productivité et du commerce, le régime intégriste est d’une nullité absolue en terme de recherche scientifique. Mais il possède certains avantages comme une stabilité interne totale et la possibilité de posséder les unités de « fanatiques », faibles mais très peu coûteuses à la fabrication comme à l’entretien. Lors des affrontements entre unités, ces dernières se voient à présent équipées d’une sorte de barre d’énergie. En fonction des paramètres de bataille, on peut donc se retrouver victorieux mais suffisamment amoché pour ne pas être capable de soutenir l’assaut suivant.
Réalisation technique :
La carte, à présent représentée en 3D isométrique, est claire, propre et agréablement colorée. On repère au premier coup d’œil les différents types de terrains et les bonus productifs, commerciaux ou alimentaires qu’ils renferment (vignes dans les collines, animaux à fourrure dans les forêts, or dans les montagnes, etc…). Les unités sont également bien plus esthétiques que les carrés vaguement stylisés du premier épisode, même si elles ne sont pas animées. Evidemment, on n’atteint pas le summum de la classe graphique mais tout ce qu’on demande à un jeu de stratégie de ce style est de ne pas être trop rédhibitoire graphiquement, et Civilization II répond totalement à cette demande. Seule régression étrange : les représentations de vos différentes cités (avec toutes les infrastructures et les merveilles construites) sont beaucoup moins réussies, et on ne se rend guère compte de l’importance de la ville en y jetant un œil. Le support CD propose également quelques petits gadgets assez sympathiques. Les rencontres avec les chef d’états étrangers ont évolué. En lieu et place du personnage célèbre (César, Napoléon, Genghis Khan, etc.) qui discutait directement avec vous et changeait d’humeur en fonction de vos décisions, on se retrouve cette fois face à une représentation artistique du leader étranger adapté à l’époque (par exemple, une peinture de Philippe II d’Espagne, une estampe de Tokugawa, une mosaïque de César ou une photo en noir et blanc d’Abraham Lincoln) accompagné d’un diplomate animé en costume traditionnel. Ces diplomates ont malheureusement des attitudes très mécaniques et un choix de costume assez douteux (par exemple, les diplomates français, anglais, allemands et espagnols sont tous des chevaliers dont la tunique est respectivement décorée de lys, de lions, d’un aigle et d’un taureau). La construction d’une Merveille du monde déclenche également une courte vidéo – dont la symbolique reste parfois obscure – qui vous présente les apports civilisationnels de ce grand accomplissement. Plutôt sympa même si ça ne change fondamentalement rien au jeu. Le conseil des ministres, que vous consulterez de temps à autre pour avoir quelques idées sur les priorités nationales, est assez hilarant : il s’agit de cinq (mauvais) acteurs, vêtus à la mode antique, médiévale ou moderne, qui prêchent chacun pour leur chapelle et s’engueulent mutuellement. Lors d’une séance typique, le militaire réclame des tanks, tandis que le commercial souhaite la construction de bourses et de places de marché, le scientifique se fiche de la poire du militaire et exige qu’on investisse dans la recherche, la diplomate minaude que tout va bien en baissant les yeux et le plus ridicule de tous, le clone d’Elvis en tenue glam’ qui sert de « conseiller en bonheur civil », fait un petit geste rock’n roll en clamant « Take care of your people, King ! ». Honnêtement, c’est à hurler de rire tellement c’est kitsch et décalé, et je vous fiche mon billet que les programmeurs et les acteurs eux-mêmes, conscients du grotesque de cet ajout multimédia, ont décidé de jouer le jeu à fond. La prise en main de Civilization II est totalement instinctive pour ceux qui maîtrisaient toutes les ficelles de base du jeu original. Pour les autres, il faudra prendre le temps de découvrir toutes les caractéristiques du jeu pour en profiter au maximum (la « Civilopédia », toujours présente, est à ce titre bien utile). Dans tous les cas, pas mal de petits éléments ergonomiques ont été retravaillés efficacement pour augmenter le confort de la partie. En ce qui concerne la bande sonore, les bruitages sont plutôt sympathiques pour un jeu de ce style, mais les musiques, pourtant sur piste CD et reprenant de nombreux thèmes du jeu précédent, sont loupées.
En bref : 19/20
Civilization II n’apporte pas énormément d’éléments au jeu original, mais il constitue une réactualisation plutôt intéressante au jeu d’origine (qui était, il faut l’avouer, assez rebutant techniquement). L’ergonomie et la confort d’utilisation ont été grandement améliorés même si, au bout de 6 ans d’attente, on aurait pu espérer davantage que quelques modifications cosmétiques et superficielles. Mais foin de tout cela : Civilization reste un jeu passionnant à l’usage, de cette race de jeu qui vous fait subitement lever la tête de votre écran et vous écrier « Quoi ! Déjà cinq heures et demie du matin, et j’allais justement décréter la guerre totale contre les Zoulous ? ».
Et puis, comment ne pas parler de l’ajout extraordinaire de Civilization II, celui qui lui donne une durée de vie pratiquement infinie : le mode « triche ». Non, ce mode n’est pas à utiliser pour générer subitement trois escadrons de bombardiers furtifs, une portée entière de howitzers et une trentaine de bombes atomiques en cas de pépin. Enfin si… c’est possible, mais cela gâcherait totalement le principe du jeu. Non, une fois bien maîtrisé, le mode triche vous permettra de créer vos propres scénarios, en remodelant la carte et en changeant les forces en présence avant de vous lancer dans une lutte acharnée contre vos adversaires remodelés dans d’autres conditions.
Qu’on soit déçu ou pas par son côté peu novateur, Civilization II reste à la base l’un des jeux les plus passionnants qui soient, l’un des ces rares programmes qui génèrent une addiction totale et à long terme. Très simple d’utilisation, cette version offre un confort de jeu optimal et un rythme de jeu relativement rapide (comparé à la série des Call to Power qui allait prendre le relais). Avec la possibilité de créer ses propres parties, la durée de vie de Civilization est, à proprement parler, infinie !