Il en aura fait couler de l’encre, ce Carmaggedon ! Le milieu des années 90 fut au fond une période rêvée pour tous les amateurs de chasse aux sorcières, avides de clouer les jeux vidéo au pilori des loisirs malsains. Il faut dire que les éditeurs de jeux, subitement délivrés de toute contingence politiquement correcte, se lâchèrent complètement durant cette période : les fatalités de Mortal Kombat, la symbolique nazie de Wolfenstein, l’atmosphère satanique de Doom, l’immoralité de Grand Theft Auto… et le gore de Carmageddon : de quoi donner des sueurs froides aux associations à la « Familles de France ». Malheureusement, contrairement aux autres jeux évoqués, Carmageddon ne s’avère pas particulièrement enthousiasmant une fois évacué son côté subversif.
Mais c’est quoi Carmageddon au juste ? Hé bien, il s’agit « tout simplement » d’ une course automobile qui propose une trentaine de circuits dans des environnements variés (centre urbain, montagnes, usine, etc.), et le choix entre deux pilotes détraqués et deux véhicules personnalisés à mi-chemin entre la tondeuse à gazon et le grille-pain. Les courses peuvent être remportées de trois manières différentes. Première tactique : boucler le nombre de tours demandé avant les autres concurrents et ce, en respectant le temps imparti. Classique mais pas très drôle. Deuxième tactique : exploser tous les autres concurrents en provoquant des accidents en série et en les envoyant valdinguer hors du circuit (de préférence quand un précipice borde la route). Il s’agit clairement du modus operandi préféré de tous les participants à ce championnat de psychopathes : sitôt le signal de départ donné, ces bouchers vous percutent sans relâche dans l’espoir de réduire votre bolide en amas de tôle froissée. Les dégâts étant localisés aussi correctement qu’il était possible de le faire à l’époque, quelque collisions frontales ruineront le moteur ou l’essieu de la voiture et la transformeront en caisse à savon impossible à manoeuvrer efficacement.
Troisième tactique : tuer tout ce qui se balade à l’écran. De nombreux piétons circulent aux abords du circuit : vieilles dames, jeunes cadres dynamiques, adolescents, agents de police, bimbos en bikini, clébards, vaches, … Chaque fois que vous en écrabouillerez un sous vos roues, vous serez récompensé par une certaine somme d’argent. Si vous les écrasez de manière gore et dégueulasse (par exemple, en les heurtant avec l’arrière de votre voiture lors d’un dérapage contrôlé, ou en les envoyant s’exploser sur une façade), c’est encore mieux : votre sensibilité artistique et votre souci du travail bien fait seront récompensés par des crédits supplémentaires. Et pour remporter la course, il faut donc écraser la totalité de la population piétonne de chaque circuit. Il s’agit là d’un travail de longue haleine. Si vous pouvez quitter le circuit et vous balader comme bon vous semble dans les différentes zones de jeu, les piétons se dénombrent généralement par centaines, tentent de fuir à votre approche et sont parfois très bien cachés. Vu le temps qu’on passe à les dénicher un par un pour les éliminer, on a de la chance que les autres concurrents soient généralement plus occupés à s’accrocher mutuellement ou à traquer eux mêmes le piéton qu’à gagner la course.
Entre chaque course, l’argent gagné sur les carcasses sanguinolentes des civils innocents vous permettra d’améliorer votre bolide avec divers blindages pour la carrosserie et des armes offensives pour liquider plus rapidement vos adversaires. Les réparations du véhicule sont en revanche gratuites. Heureusement car vu la violence des courses, inutile de vous dire qu’il est assez rare de s’en tirer avec un simple coup de peinture à appliquer sur la carrosserie !
Réalisation technique :
A condition d’avoir la machine requise pour l’afficher en haute résolution (voire même en utilisant les fonctionnalités de la carte 3D avec un patch), Carmageddon ne s’en tirait pas mal du tout graphiquement pour un jeu de caisses de cette époque. Les décors, malgré un effet de pixellisation notable, étaient plutôt originaux et variés et l’impression de liberté offerte par le jeu était impressionnante. On pouvait décider sans problème de quitter la route et d’aller traquer le bovidé dans les patûres ou de débouler sur un terrain de football américain pour y préparer de la gelée de quaterback. Le véhicule principal restait néanmoins assez grossièrement représenté (en gros, un truc rouge sphérique avec des textures grossières) mais les concurrents offraient une sympathique variété, du Monster Truck au buggy modifié plein de tubes en acier. Quant aux piétons, il s’agissait de simples images 2D très brouillonnes mais rien de bien dramatique : à supposer qu’on s’en rapproche suffisamment près pour juger de leur faible qualité graphique, ils ne ressemblaient plus alors à des piétons mais plutôt à un steak tartare. L’animation est fluide compte tenu de la complexité des circuits, et la gestion des collisions, bien qu’irréaliste, est quand même assez réussie. On dénombre une dizaine de pistes techno-hardcore et metal industriel tout à fait adéquates pour insuffler une once de poésie à ce carnage automobile. Pour ceux qui connaissent, une bonne moitié d’entre elles sont des remix des morceaux du « Demanufacture » de Fear Factory, œuvre printanière s’il en est. On trouvera quand même une grosse faiblesse à Carmageddon, davantage liée au gameplay en lui-même qu’à une fausse note des développeurs. Premièrement, ça ne va pas très vite. On ne risque pas d’arracher le bitume à du 300 miles à l’heure et même si c’était le cas, les autres concurrents ne risquent pas de vous en laisser le temps et on passe le plus clair de son temps à percuter ses adversaires ou à essayer de se dégager d’une mêlée de tôles froissés. Deuxièmement, le « bolide » est plutôt difficile à manœuvrer. Je le comparais plus haut à une tondeuse à gazon couplée à un grille-pain et je ne renie pas la comparaison, car il possède plus ou moins les caractéristiques motrices de ces deux appareils. J’ignore si cette lourdeur était voulue au départ mais les courses / baston sur roues de Carmageddon ressemblent davantage à un concours d’auto-tamponneuses, vitesse comprise, qu’à un Destruction Derby, jeu quand même beaucoup plus vif.
En bref : 09/20
Carmageddon est ultra-violent, Carmageddon est gore, Carmageddon est provocateur et défoulant… et Carmageddon est ennuyeux au possible au bout de quelques heures de jeu. Une fois qu’on s’est bien éclaté à étaler grand-mères et gosses terrorisés sur la chaussée et qu’on voudrait passer à autre chose, on se retrouve face à un mur. Pour ceux qui souhaitent rouler vite et gagner une course, il y a beaucoup mieux sur PC (n’importe quel autre jeu par exemple…) car Carmageddon est lourd, lent et peu maniable. Pour ceux qui aiment les crashs généralisés, Destruction Derby est plus drôle et plus jouable. Pour ceux qui aiment uniquement écraser des gens… hé bien, il faudrait songer à consulter car s’il s’agit d’un à-côté amusant de Carmageddon, cet objectif n’a aucun intérêt en tant que moteur principal du jeu. Il faudrait passer une heure dans chaque circuit pour être certain de bien choper tout le monde, ce qui ne pourrait alors être interprété que comme une pathologie monomaniaque. Carmageddon est en tout cas une grosse déception dont l’esprit bestial et impitoyable ne parvient vraiment pas à faire oublier la vacuité ludique.