Une brise brûlante venue du désert faisait tourbillonner la poussière qui me séparait de ma victime. Debout, face au chef de ces desperados qui avaient eu l’impudence de me barrer la route, j’étais parfaitement serein. Il ne serait pas le premier que j’abandonnerais agonisant derrière moi, son sang se mêlant à la poussière des terres de l’ouest. Et il ne serait certainement pas le dernier. La tension de l’homme était palpable. Ses doigts se crispaient nerveusement autour de la crosse de son arme en bois de santal, et de fines gouttes de sueur perlaient aux commissures de ses lèvres. Un seul coup et cette âme égarée retournerait vers son créateur. Une ombre argentée attira mon regard sur la droite, suivi d’un vacarme sourd. Avec une expression qui en disait autant sur son irritation que sur son estomac vide, mon chartreux venait de faire tomber son sac de croquettes en promotion sur une pile de DVD que je comptais ranger une fois mes affaires expédiées au Texas. Mon adversaire semblait n’avoir rien entendu mais comme mû par un instinct primal, il avait tourné ce bref moment d’inattention à son avantage. Je dégainai à mon tour, mais trop tard. Une détonation plus tard, je gisais, étendu sur le sol craquelé du canyon, tandis qu’un rideau pourpre cachait lentement mon regard aux rayons du soleil. En m’étirant sur ma chaise de bureau, je convins que la voie menant à l’or de Juarez était décidément semée d’embûches. Et qu’il faudrait que je me décide à faire piquer ce chat aussi…
Après plusieurs années d’absence presque totale, il semble que le western soit enfin redevenu un genre prisé des développeurs de jeu, à tel point que le créneau est aujourd’hui diablement encombré. Histoire de se démarquer de ces concurrents, GUN en tête, l’éditeur français Focus a décidé d’aborder le genre par le biais d’une double-aventure, ce qui entraînera donc un double-gameplay, à la fois FPS et infiltration. Le scénario ne fait pas dans l’originalité la plus débridée, mais la nécessité que les deux histoires se croisent sans illogismes trop visibles a sans doute orienté l’équipe de développement vers la simplicité.
Le premier des deux héros de Call of Juarez se nomme Billy-la-Bougie, un orphelin de père d’ascendance mexicaine en butte à l’hostilité des Blancs du village texan où il réside. Désireux de prouver sa valeur à tous, Billy s’est lancé sur les traces du trésor des Aztèques, volé jadis par les conquistadors et perdu depuis de nombreux siècles. Après des années de recherches infructueuses, Billy est de retour à Hope, son village natal, pour y saluer sa mère, seule âme du village pour qui il éprouve de l’affection. Malheureusement, les choses tournent mal très rapidement. Billy s’attire des ennuis avec le propriétaire du saloon et les sympathiques villageois décident rapidement d’égayer leur journée par une grande chasse au chicano. Billy se réfugie dans la ferme de sa mère et de son beau-père… pour découvrir qu’ils viennent d’être sauvagement assassinés. C’est à ce moment que survient le révérend Ray - le second héros de l’histoire, si vous ne l’aviez pas deviné-, l’oncle de Billy, prévenu par les villageois que ce neveu qu’il déteste cordialement s’est attiré des ennuis. Découvrant la scène macabre, Ray refuse d’écouter les explications du jeune homme, et ce dernier n’a comme seul issue que de fuir très rapidement, pourchassé par un pasteur assoiffé de vengeance. Le principal intérêt de Call of Juarez repose sur cette ficelle : incarner à la fois le chasseur et la proie. D’un côté, un jeune homme bravache mais méfiant et manquant de confiance en lui, convaincu que personne ne lui accordera jamais le bénéfice du doute ; de l’autre, un pasteur fanatique de l’Ouest américain, tout aussi convaincu que Dieu l’a choisi pour faire pleuvoir son divin courroux à l’encontre de son meurtrier de neveu. On jouera donc alternativement avec Billy et avec Ray, les deux parcours s’entrecroisant avec régularité au fil des chapitres.
Billy-la-Bougie, s’il dispose occasionnellement d’une arme, se servira surtout de son fouet et, plus tard, de son arc à flèches dans les chapitres qui lui sont consacrés. En ce qui le concerne, le gameplay est principalement composé de séquences de plates-formes et de séquences d’infiltration. Billy peut en effet escalader des rochers ou des murs en s’y hissant à la force de ses bras, et utiliser son fouet comme treuil pour s’accrocher à une branche et se hisser en hauteur. Quelque fois, il faudra également déplacer des objets (des caisses par exemple) et s’en servir comme marchepied pour atteindre une plate-forme plus élevée. En dehors des loups, serpents et autres insectes qu’il peut corriger avec son fouet, Billy est plutôt démuni face aux bandits et soldats qui se dresseront sur sa route. La meilleure manière de progresser consiste donc à avancer précautionneusement, à se planquer derrière des caisses ou des barils où à se dissimuler dans les fourrés en évitant de se faire remarquer. L’I.A. des ennemis est plutôt bien fichue, et le moteur graphique prend en compte les paramètres de dissimulation (bien que parfois, on se demande comment il est possible que vos adversaires ne vous repèrent en train d’avancer en plein soleil et à découvert…).
Avec le révérend Ray, on se retrouve aux commandes d’un FPS beaucoup plus classique. Avec sa lourde armure espagnole, le révérend ne peut ni escalader les obstacles ni même nager, mais il compense cette faiblesse par une nette propension à tuer tout ce qu’il trouve sur sa route. Si les armes restent assez banales (fusil automatique, carabine, pistolet dans chaque main), la progression est suffisamment intéressante pour que cette succession de règlements de compte à OK Corral mérite un détour. Le révérend dispose également d’un « Bullet-time » d’un genre assez particulier, qu’il peut déclencher lorsque ses pistolets sont rangés dans leur étui. Une fois ce mode d’attaque enclenché, l’action ralentit et deux viseurs partent des deux extrémités de l’écran pour se rejoindre en son centre. En les déplaçant légèrement dans les quatre directions, vous pouvez donc abattre à toute vitesse les adversaires qui se trouvent sur leur trajectoire. Ce bullet-time est accessible à tout moment et ne met que quelques secondes à se recharger, mais il faut bien entendu que les armes soient préalablement rangées et que les balles soient en nombre suffisant dans chacun des deux barillets (ben oui, c’était des six-coups à l’époque).
Il y a aussi un autre truc totalement inutile mais fendard à mort à réaliser avec le pasteur : avoir une arme dans la main gauche et la Bible dans la main droite. Et je vous jure que loger 2 balles dans la tête d’un desperado en déclamant d’une voix forte « Et le Seigneur fit pleuvoir le feu sacré de la foi sur les pécheurs et les incroyants », c’est dingue ce que ça peut avoir la classe !
Les duels (affrontement avec le « boss » de fin de niveau) sont une excellente innovation, qui fait appel à cette sacro-sainte interactivité de plus en plus en vogue dans les jeux récents. Ray et son adversaire se retrouvent face à face, comme dans les western d’antan. L’objectif est le suivant : dès qu’un signal retentit (cela peut être la cloche d’une église, l’aboiement d’un chien ou n’importe quoi d’autre) ou dès que l’adversaire dégaine, il faut imprimer un brusque mouvement de la souris vers le bas pour dégainer et déplacer rapidement un viseur aux mouvements chaotiques jusqu’à la cible, en se penchant vers la gauche ou la droite pour éviter l’éventuel projectile ennemi. Ces séquences – très courtes - font donc appel exclusivement aux réflexes. Si l’ennemi tire le premier, vous avez peu de chances d’en réchapper. Mais l’atmosphère est tellement soignée (nuages de poussière au sol, légère musique à la Ennio Morricone, doigts de l’adversaire qui tressaillent près de son arme pour vous induire en erreur,…) qu’on prend un pied incroyable à participer aux cinq ou six affrontements de ce type proposés par le jeu.
Réalisation graphique :
Call of Juarez est objectivement superbe. Les décors urbains (le village de Hope, le ranch) sont extraordinairement fouillés, avec des jeux d’ombre et de lumière impressionnants, des éléments (caisses, branchages, barils, chariots et un bon milliard d’autres choses) qui se comptent par centaines et quelques effets (poussière soulevée par le vent, petits animaux qui se baladent,…) qui confèrent une réelle impression de vie à l’ensemble. Les personnages sont eux-aussi d’un réalisme rarement vu, tant dans leurs mouvements que dans leur apparence. On peut pratiquement compter les rides et les défauts cutanés sur certains visages. Une volonté de bien faire assez logique en fin de compte : la moitié du jeu étant basée sur l’infiltration et le « sneaking », il fallait que l’environnement soit le plus riche possible afin d’augmenter les possibilités d’action. En contrepartie, Call of Juarez cherche tellement la perfection qu’il est parfois victime de ses propres ambitions. Lorsqu’on traverse un champ par exemple, les bruissements de la végétation et le reflet du soleil ont fait l’objet de tellement de soins maniaques qu’on sent confusément que, non, le soleil ne peut pas éclairer un champ de cette manière vu que les fougères ne sont pas des objets réfléchissants. Ce sont des détails, certes, mais Call of Juarez fait preuve d’une telle minutie visuelle que je m’arroge le droit de faire le difficile. Les séquences se déroulant dans les grandes étendues sauvages de l’ouest soufflent également le chaud et le froid. Globalement, le résultat est à nouveau au delà de toutes les espérances. Pour peu que l’on soit au sommet d’une colline ou d’un escarpement rocheux, la vue porte très loin et le panorama que l’on peut apercevoir au loin est tout simplement magique. Mais la progression est si dirigiste qu’on a souvent l’impression de cheminer à travers une sorte de « tunnel » invisible, certes richement décoré mais un tunnel quand même. Call of Juarez, en pratiquant la surenchère graphique, et en collant des dizaines de types d’arbres différents, des buissons, des fougères, des rochers, des événements scriptés à tire-larigot et plein d’autre choses, tente de gommer autant qu’il le peut cette impression… et il y arrive la plupart du temps. Mais, pour rester dans le domaine du western, un jeu comme GUN offrait un sentiment de liberté beaucoup plus crédible.
Jouabilité/difficulté
Dans l’ensemble, Call of Juarez se maîtrise bien mais ici aussi, on sent que les programmeurs ont voulu trop bien faire. Je n’ai rien à reprocher au volet infiltration. Certes, il n’est pas toujours évident de trouver l’endroit où il faut accrocher le fouet pour se hisser en hauteur mais en dehors de cela, l’I.A. des ennemis est au-dessus de tout soupçon dans 90% des cas. Je serai un peu moins indulgent avec le FPS. Malgré l’originalité du Bullet-time, diriger un personnage aussi pesant dans ce qui n’est finalement qu’une énième adaptation du gameplay initié par Wolfenstein 3D et Doom est parfois un peu frustrant : impossible de courir, impossible de sauter,… le jeu avec le révérend Ray manque de rythme et n’égale certainement pas les références actuelles du genre. Si la progression à travers les magnifiques paysages de l’ouest et la découverte du scénario restent plaisantes, il s’agit malheureusement d’un plaisir de courte durée : Call of Juarez est désespérément facile à terminer.
Son
Ennio Morricone n’aurait pas fait mieux ! Durant la majorité du jeu, la musique s’efface au profit d’exceptionnels bruitages d’ambiance. Mais lorsque, à l’occasion d’un des duels par exemple, résonnent ces mélodies mille fois entendues dans les westerns mais toujours aussi trippantes, on ne peut pas s’empêcher d’éprouver un frisson pavlovien dans l’échine. Cerise sur le gâteau : le doublage est pour une fois d’excellente qualité et s’insère parfaitement dans le déroulement de l’histoire, qu’on peut parfaitement comparer à un film qui aurait été tourné à travers les yeux de son protagoniste principal.
En bref : 15,5/20
Ambitieux et réalisé à la manière d’un film hollywoodien, Call of Juarez est un bon jeu qui souffre cependant d’un excès d’ambition. Brillamment réalisé, Call of Juarez a tenté courageusement d’unir deux gameplays très différents : l’infiltration et l’action pure et dure. Si le mélange tient la route au niveau scénaristique, il est peu plus critiquable au niveau ludique. Aider Billy-la-Bougie à s’infiltrer dans un ranch pour enlever sa promise, c’est plutôt sympa mais ça ne vaut pas Thief ou Hitman. Guider le révérend Ray vers son destin semé de cadavres, c’est cathartique mais ce n’est tout même ni Half-Life II ni Unreal II. Ce gameplay un peu boîteux empêche Call of Juarez d’accéder au statut légendaire auquel il aspirait, d’autant plus que le difficulté reste assez peu élevée et que la ‘replay value’ du soft reste plutôt faible. Néanmoins, rien que pour sa superbe réalisation, son scénario bien ficelé et les ambitions grandioses et cinématographiques qu’il affiche sans complexe, Call of Juarez reste une expérience qui mérite vraiment d’être tentée.