Digne successeur de la série des Age of Empires, acclamée de bon droit pour avoir révolutionné les principes du jeu de stratégie, Age of Mythology est une transposition de ces deux jeux dans un contexte faisant appel à la magie et aux créatures mythiques… un peu comme si on avait pris une parcelle de l’esprit de WarCraft III pour l’injecter à Age of Empires. Age of Empires n’aurait pu tolérer l’injection de tels emprunts à l’imaginaire occidental, emprunts capables de renverser totalement le cours d’une partie si on les utilise avec doigté. En publiant un jeu qui se placerait en dehors du canon officiel de la série – bien que personne ne s’y trompe – le géant américain contentait une large proportion des joueurs, un peu rétifs au sérieux historique des Age of Empires.
Ensemble Software, le développeur de la célèbre série, s’est en tout cas décarcassé pour élaborer un scénario qui soit cohérent et ménage quelques éléments de surprise au cours de la progression. On imaginait mal, à vrai dire, se farcir 30 missions avec comme unique objectif de capturer les 30 châteaux-forts adverses sans même une noble cause à défendre. Voyez plutôt : il y a de nombreux millénaires, Arkantos, maître-amiral de la flotte Atlante et protégé de Poséidon, revient dans sa cité après plusieurs années d’aventure. Il y apprend que des pirates ont volé le trident de la statue de Poséidon qui gardait l’entrée du port d’Atlantis. Qui plus est, les alliés grecs de l’Atlantide s’impatientent et attendent des renforts au plus vite pour jeter à bas la cité de Troie. Avec deux nouvelles missions sur les bras, Arkantos lève les voiles immédiatement pour la Méditerranée orientale et le campement des Achéens. Après avoir aidé Agamemnon et Ulysse à conquérir la grande cité (ce qui prend tout de même 6 ou 7 missions), Arkantos repart avec Ajax vers sa Terre natale. Ayant décidé, en chemin, d’aider des villageois menacés par des monstres, Arkantos croise la route de Gargarensis, un cyclope versificateur qui souhaite détruire les barrières du Tartare pour lâcher sur l’Ancien monde tous les fléaux gardés captifs derrière les lourdes portes de bronze des Enfers. Arkantos et ses alliés ne peuvent laisser se développer une telle menace pour Atlantis, et se lancent immédiatement à la poursuite du géant. Cette traque les mènera au fin fond de l’Égypte et chez les Barbares du Grand Nord, au cœur d’un conflit entre divinités qui dépasse de beaucoup le cadre de référence humain. Dans chaque civilisation, Arkantos rencontrera des héros locaux qui luttent pour des causes similaires, en fonction de leur propres légendes, et unira ses forces aux leurs pour contrer les ambitions des dieux maléfiques. Par exemple, chez les Égyptiens, il ne s’agit plus des portes de l’enfer mais des reliques d’Osiris que Gargarensis tente de détruire, pour laisser le démoniaque dieu Seth – son allié - régner en toute tranquillité sur le royaume du Nil.
Les missions, qui se répartissent en nombre plus ou moins équivalent à travers les trois campagnes de l’aventure, réclameront donc que vous gériez au mieux les spécificités propres à chaque civilisation. Grossièrement, si j’écrivais un ouvrage du type « Age of Empires pour les nuls », expliquer les principes de base de la série serait assez simple : l’objectif est de construire un village, d’exploiter les ressources naturelles du coin, de consacrer une part des ressources à l’amélioration de l’infrastructure ou aux recherches technologiques ; d’entraîner une armée et de partir bravement à l’assaut du village ennemi à l’autre bout de la carte. Evidemment, en pratique, tout cela n’est pas aussi basique et il faudra faire preuve de pas mal de finesse pour éviter que l’expédition guerrière fraîche et joyeuse ne vire à la boucherie pour vos piou-pious. Tout au long du jeu, les mécanismes de base restent identiques mais chaque peuple présente quelques spécificités qui l’avantagent ou le désavantagent par rapport aux deux autres. Comparés aux Grecs qui restent classiques pour qui connaît le fonctionnement de ce type de jeu, les Nordiques possèdent par exemple des chariots mobiles qui leur évitent d’avoir à construire greniers, scieries et silos à minerais près des ressources naturelles de la carte. Les Égyptiens possèdent le Pharaon, qui permet de booster la production du bâtiment auquel il accorde sa bénédiction. Il sera donc vital d’étudier les particularités propres à chaque civilisation, sous peine de sous-exploiter le potentiel réel des peuples dont on a la charge.
Petit détour par la caserne. Les unités qui pourront être entraînées par vos soins sont légions. Pour plus de clarté, on les divisera en trois catégories : les unités classiques, les unités mythiques et les héros. Les premières fonctionnent de manière rigoureusement similaire à ce qu’on connaissait dans la série des Age of Empires. Toutes nécessitent un certain montant de bois, d’or ou de nourriture pour être construites et on découvre évidemment un large choix d’unités en fonction de chaque civilisation : fantassins, cavaliers et archers aux noms qui fleurent bon les souvenirs de version grecque (hoplites, taxiarques, etc.) ; tour de guet, catapultes et balistes du côté des armes de sièges, et trirèmes et autre galères pour les débarquements maritimes. Les Égyptiens sont un peu plus limités en la matière mais possèdent quand même des unités de base de chaque type (lanciers, tireurs à la fronde, chars de guerre, méharis, éléphants de guerre…) et disposent également des prêtres habilités à soigner les unités. Quant aux Scandinaves, ils sont également assez peu fournis niveau éclectisme des unités (lanceurs de haches, guerriers Ulfark, cavaliers jarls,…) mais disposent de compétences particulières en ce qui concerne les construction et l’exploitation des ressources. Tout d’abord, ce sont les guerriers et non les péones qui construisent les bâtiments, ce qui facilite grandement les choses et permet d’avoir du répondant en cas d’agression-surprise. Ensuite, outre les péones, on peut générer des Nains. Ces derniers sont assez maladroits pour récolter de la nourriture et exploiter les forêts mais sont en revanche des mineurs sans égal. Ces unités nécessitent évidemment de posséder le bâtiment adéquat pour être produites : écuries, guilde des archers, forteresse ou port.
Les unités mythiques sont l’élément qui différencie réellement Age of Mythology de la série des Age of Empires, et lui apporte un parfum fantastique bienvenu. N’oublions pas que nous sommes plongés au cœur des légendes de l’ancien monde, et que les créatures les plus fantastiques évoluent tout naturellement parmi les hommes. Pour être recrutées, ces unités mythiques nécessitent des ressources traditionnelles mais aussi la faveur des dieux. A nouveau, les créatures dépendront de la culture du moment. Cyclopes, minotaures, hydres et titans d’airain sont quelques unes des créatures qui pourront être convoquées par les Grecs… et il faut encore ajouter les chevaux Pégase pour la reconnaissance aérienne et les Scylla pour faire régner la terreur sur les océans. Les Égyptiens auront à leur solde des guerriers à tête d’Anubis, des momies, des crocodiles à faisceau solaire, des sphinx ou des Léviathans, tandis que les Scandinaves feront apparaître des trolls, des géants du givre, des loups Fenrir ou des Walkyries pour soigner les unités blessées.
Restent les héros : il s’agit de guerriers isolés dotés de très hautes capacités guerrières et d’un avantage inné contre les unités mythiques. Ceux qui vous accompagnent tout au long de l’aventure ou durant plusieurs missions se régénèrent à volonté s’ils sont vaincus au combat : il s’agit, pour les Grecs, d’Arkantos, Ulysse, Ajax, Agamemnon et Chiron ; de l’amazone Amanra pour les Egyptiens et de quelques seigneurs nains chez les Nordiques. Hormis ces personnages, il existe d’autres héros qui peuvent être convoqués en y consacrant un certain montant de ressources : ces héros possèdent eux-aussi une force supérieure mais peuvent néanmoins être tués au combat, sans possibilité de résurrection. Les Grecs peuvent ainsi s’allier Thésée, Héraclès, Jason ou Bellérophon. Les Egyptiens comptent sur le pharaon et ses intéressants pouvoirs de soutien. Chez les Nordiques, les héros sont des unités comme les autres (mais plus gourmandes en ressources évidemment) qui peuvent donc être engagées en grand nombre sur le champ de bataille.
Pour se doter de toutes ces jolies choses, les vieux briscards qui ont épuisé toutes les possibilités des deux premiers Age of Empires savent que rien ne vaut une collecte rationnelle des ressources disponibles. Les quatre ressources principales sont la nourriture, le bois, l’or et la faveur divine. Toutes les constructions, toutes les unités militaires mais aussi tous les progrès technologiques obligeront le joueur à dépenser une partie de ses ressources. Par exemple, la construction d’une forge réclamera de l’or et du bois en grandes quantités, tandis qu’un hoplite réclamera unités de nourriture et unités d’or à un degré moindre. L’or peut être extrait dans les mines d’or (qui finissent par s’épuiser). Le bois se récolte en abattant les arbres (théoriquement limités aussi mais il y a tellement d’arbres dans chaque mission qu’il est pratiquement impossible d’épuiser cette ressource). Le stock de nourriture peut être augmenté soit par la chasse, soit par l’élevage d’animaux domestiques, soit par la pêche, soit par l’agriculture (le meilleur choix puisqu’inépuisable). Quant aux faveurs divines, tout dépend des dieux auxquels on s’adresse. Dans la partie « grecque », vous devrez attribuer une partie de vos ouvriers au service du temple. Ils se répandront alors en salamalecs pour s’attirer les bonnes grâces des Olympiens. Plus le nombre d’ouvriers occupés à se prosterner est élevé, plus les faveurs s’accumulent rapidement. La méthode est un peu différente en Egypte : les dieux à têtes d’animaux, très matérialistes, apprécient davantage que l’on érige des statues de plus en plus monumentales à leur gloire éternelle et qu’un pharaon s’occupe de rendre hommage à ces statues. Enfin, ces brutes de dieux scandinaves se contrefoutent des sculptures et des prières. Le meilleur moyen d’amadouer l’un de ces gros barbus en casque à cornes est de tuer le plus grand nombre d’ennemis possible. Comme expliqué plus haut, les faveurs divines ont pour principale utilité de permettre la construction des unités mythiques.
De manière à pouvoir disposer de constructions et d’unités plus évoluées, vous serez obligé de faire progresser votre base vers un âge supérieur (âge classique, âge héroïque, etc. jusqu’à un maximum de trois âges différents). Les passages à un âge supérieur sont TRÈS gourmands en ressources mais il s’agit d’un passage obligé si on ne souhaite pas stagner ad vitam aeternam avec quatre bâtiments et deux types de soldats différents. A chaque fois qu’on évolue vers un âge supérieur, il sera demandé de choisir un dieu tutélaire. Suivant que l’on choisira l’un ou l’autre, les unités mythiques seront différentes et certains pouvoirs divins vous seront accessibles. Par exemple, Hephaïstos vous permettra de construire les titans d’airain, Osiris donnera accès aux momies, etc.
Certaines améliorations de bâtiment (par exemple, chiens de berger pour améliorer le rendement des troupeaux, armes en bronze pour améliorer l’équipement des fantassins, techniques minières pour augmenter les capacités d’extractions) seront également différentes selon le dieu choisi. Enfin, les pouvoirs divins uniques (c’est-à-dire que vous pouvez les utiliser une fois par mission) seront également spécifiques au protecteur que vous choisirez. Ces pouvoirs peuvent être offensifs (foudre, séisme, fléau de serpents, résurrection des morts,…), curatifs/défensifs (fontaine de vie éternelle, soin de groupe, protection de bronze) ou logistiques (corne d’abondance, pluie bénéfique, création d’une mine d’or)…
Réalisation graphique :
Au niveau technique aussi, Age of Mythology marque sa différence avec les Age of Empires : tout est à présent en 3D, de la plus monumentale colline boisée au plus petit hoplite frétillant d’impatience à l’idée de combattre. S’il n’est pas encore possible de zoomer à volonté sur la carte, les nombreuses séquences intermédiaires sont réalisées avec le moteur graphique du jeu, ce qui permet de constater que le moteur est pour le moins performant, du moins compte tenu des standards de qualité des jeux de stratégie. Lorsqu’on joue, le rendu graphique de Age of Mythology est au dessus de tout soupçon avec une très grande finesse générale, qui rend parfaitement lisibles les mêlées les plus confuses. Si la qualité technique est irréprochable, les environnements ne sont finalement pas très nombreux (collines méditerranéennes, désert, toundra, sans oublier les grottes des enfers) mais l’agencement des cartes et surtout, le très grand nombre d’unités disponibles élimine tout sentiment de monotonie. Qui plus est, le souci du détail rend l’univers très vivant, qu’il s’agisse d’oiseaux survolant la région, de la fumée qui s’échappe des constructions ou encore des cadavres et des débris d’armes de siège qui tombent lentement en putréfaction. N’oublions pas les pouvoirs divins, parfaitement représentés, qu’il s’agisse du flou lumineux généré par la pluie ou des déformations du relief engendrées par les séismes. Si les Age of Empires étaient déjà d’une qualité graphique tout à fait honorable, Age of Mythology magnifie littéralement le style et fait entrer les jeux de stratégie de ce genre dans la catégorie « soft à l’esthétique soignée ».
Jouabilité/difficulté :
A l’instar des Age of Empires, Age of Mythology est à la fois ultra-complet et ultra-intuitif. Malgré le nombre très élevé d’améliorations, d’unités et de possibilités, tous ces menus à base d’icônes sont immédiatement compréhensibles pour le bipède moyen. Aucun problème non plus pour comprendre les principes ludiques du soft, ni même pour sélectionner et diriger les unités à l’écran. La perfection, en somme. Si Age of Mythology n’est guère difficile à terminer, le nombre de missions est suffisamment élevé pour qu’on y passe un certain temps et le découpage du scénario en trois civilisations bien distinctes évite qu’on se lasse à reproduire les mêmes tactiques durant 30 missions. De toute façon, ces missions sont elles-mêmes suffisamment différentes pour varier un peu le plaisir. La construction d’une base et l’attaque de la base adverse sont majoritaires mais on trouve aussi des attaques éclairs avec un nombre limité d’unités et des missions de défense d’une base. Personnellement, j’éprouve beaucoup de plaisir à rejouer à celle où il s’agit de guider le sarcophage d’Osiris dans un défilé en direction d’une cité amie. Les troupes de Seth lancent offensive sur offensive et en cas de victoire, dirigent le sarcophage vers leur propre cité, jusqu’à ce que vous inversiez la tendance. Un véritable jeu d’équilibrisme entre stratégie de guérilla et timing précis ! Et si malgré tout, vous vous lassiez de tout cela, il vous reste encore les missions sur carte aléatoire ou le jeu en réseau.
Son :
Les mélopées très évocatrices qui rythment ces épopées d’un autre âge sont vraiment superbes mais leur cachet moyen-oriental s’accorde mieux avec les collines grecques ou le désert égyptien qu’avec les vastes étendues enneigées de la Scandinavie. Les bruitages sont légions, parfaitement reproduits et on pourra entendre, à condition de centrer la vue sur l’endroit, le cliquetis des armes qui s’entrechoquent ou le couinement des porcins d’élévage. Les dialogues durant les scènes intermédiaires sont doublés relativement correctement tandis que les unités réagissent toujours à vos injonctions par des borborygmes (en suédois antique ou en nilotique ancien, je suppose) heureusement suffisamment variés pour éviter que le joueur ne s’énerve à entendre un « Yes sir » toutes les demi-secondes.
En bref : 19/20
Digne successeur de ses deux glorieux prédécesseurs, Age of Mythology s’octroie le luxe de les dépasser tous deux. Si vous êtes totalement allergique à la série, Age of Mythology ne risque pas de vous réconcilier avec le genre. Tous les éléments de base de Age of Empires y figurent, sans la moindre omission. Mais le soft va plus loin, en ayant recours à la bonne vieille technique « Standing on the shoulders of giants ». Plus complexe évidemment puisque profitant de l’expérience des deux jeux précédents. Plus beau, grâce au passage à la 3D. Mais aussi – et j’admets qu’il s’agit peut-être d’un avis tout à fait personnel – plus excitant avec toutes ces créatures jaillies des brumes de la mythologie et ces pouvoirs divins à même de vous sauver la mise au moment le plus critique. Cinq ans plus tard, Age of Mythology n’a pas pris la moindre ride, et se montre tout aussi passionnant et indispensable qu’il l’était à l’époque.