Les beat ‘em up sur 64 bits, c’est un peu comme les communistes : y’en a eu beaucoup pendant tout une génération et presque plus la génération suivante. En tout cas y’en a pas eu des masses sur N64, alors Interplay a tenté sa chance.
Prenant le contrepied des jeux de l’époque, dont le titre se finissait invariablement par 64 pour montrer sur quelle machine surpuissante ils tournaient, Clay Fighter 63 1/3 est le troisième épisode de la franchise après les deux premiers sur Super NES.
Notons que cet épisode a subi un accouchement difficile puisqu’il devait au départ sortir sur la M2, la console mort-née de Panasonic et Matsushita qui devait remplacer la 3DO. De même, une version Playstation aurait dû sortir sous le nom de Clay Fighter Extreme, mais là encore le projet fut annulé. Et même cette version N64 n’est pas la version d’origine, puisque sortira un peu plus tard un Clay Fighter : Sculptor’s Cut censé représenter la vraie vision des auteurs.
À L’AISE, GLAISE
Le docteur Kiln, qui comme n’importe quel scientifique de jeu vidéo est un psychotique notoire, souhaite conquérir le monde. Rien de très original jusque là. Le bonhomme de neige diabolique, Bad Mister Frosty, qui s’est rangé des voitures entre-temps, va tenter de l’arrêter. Ça c’est déjà plus intéressant. Et si je vous dis qu’en plus, Earthworm Jim, de passage dans le coin, vient mettre la main à la pâte (à modeler, cela va sans dire), vous aurez compris que l’on est devant un jeu assez barré.
CLEF EN GLAISE
Clay Fighter 63 1/3 est donc un bon vieux jeu de baston, jouable à un ou deux. Du moins le supposais-je, n’ayant pas trouvé le moyen d’activer le deuxième joueur. Mais bon, le contraire serait étonnant tout de même.
Douze personnages sont présents pour le bonheur des petits et des grands (c’était la phrase Bisounours du jour) :
Bad Mr. Frosty
Earthworm Jim
Taffy le bout de pâte à modeler
Bonker le clown tueur
Blob le tas de gélatine
Icky Bod Clay le spectre à tête de citrouille
Houngan le zombie vaudou
Kung-Pow le karatéka
T-Hoppy le lapin-Rambo
plus les trois personnages cachés : le Dr. Kiln en big boss, Sumo Santa le père noël obèse et Boogerman, lui aussi tiré d’une célèbre franchise hum… disons poétique.
La manette de la console est utilisée de manière à peu près intelligente, puisque le stick dirige le perso pendant que les boutons A et B servent pour les coups de pieds et de poings faibles. Ce sont les quatre directions du bouton C qui représentent les coups moyens et forts. Bien entendu, chacun dispose de ses propres coups spéciaux à base de très classiques combinaisons (quart de tour poing, avant arrière pied, etc.), et tous peuvent se moquer de l’adversaire si vous utilisez L, R et A en même temps.
Mais ce qui fait la spécificité de Clay Fighter, c’est qu’il est un croisement entre Killer Instinct et Mortal Kombat. Ce qui peut paraître un drôle de mélange au départ…
Du côté du papa, Clay Fighter a récupéré les poils sous les bras, et surtout le système combos. D’aucuns, professionnels de la baston, n’hésiteraient pas à vous parler d’openers et enders, d’auto-doubles, de linkers ou d’auto-linkers. Pour faire plus simple et moins mégalo, disons que les enchaînements fonctionnent pour tous les persos pareil : ouverture avec un petit coup suivi d’un gros double coup qui tâche, un autre petit coup pour lier la sauce, un nouveau double suivi d’un gros méchant qui envoie du bois, et ainsi de suite jusqu’au coup de fermeture. Bref, ça combotte dans la joie et la bonne humeur et ça peut durer jusqu’à épuisement de la jauge de vie adverse (depuis le itty-bitty combo à trois coups jusqu’à l’insane combo à 30 coups et plus), à moins qu’il ne sorte un contre-combo, typiquement un coup spécial apte à casser la chaîne. Ce système est très accrocheur sur le papier mais ne doit être utilisé qu’entre gentlemen, un newbie ayant vite fait de jeter la manette de dépit, ce qui serait tout à fait compréhensible.
De sa maman, le jeu d’Interplay a hérité de grands yeux bleus au léger strabisme, et des Claytalities. Vous l’aurez compris, c’est le pendant humoristique des Fatalities et c’est tout aussi compliqué à placer. Une fois la deuxième jauge de vie de l’adversaire vidée, il reste debout quelques secondes pour que vous l’acheviez. La manipulation est imbuvable, mais si vous réussissez vous aurez droit à quelque chose d’assez rigolo, comme par exemple Sumo Santa qui bouffe l’ennemi et « recrache » ses restes. Recrache ? Euh… Non, par cet orifice on n’appelle pas ça comme ça.
CE N’EST PAS VRAIMENT LA CRÈME (EN GLAISE)
Les premiers Clay Fighter sur Super NES avaient bluffé tout le monde avec leur univers original et décalé : des personnages en pâte à modeler animés comme dans un bon épisode de Wallace & Gromitt, le tout dans des décors tarabiscotés et avec un design bien loufoque.
Conservant cette esthétique unique, l’épisode N64 souffre pourtant de bien des maux. À commencer par une réalisation décevante. Si les personnages restent en 2D et font toujours pâte à modeler, les décors sont passés du carton-pâte à une 3D pauvre et mal gérée. L’ensemble est également très sombre, et les sprites pixellisent affreusement lorsque la caméra se rapproche.
Et si les animations sont toujours nombreuses et souvent tordantes, leur vitesse d’exécution ferait passer un documentaire sur l’aï pour une retransmission de formule un. Bon point tout de même pour la partie sonore, car si les thèmes musicaux ne cassent pas trois rames à l’Homme du Picardie, les bruitages sont de qualité et les voix parlées bien retranscrites sur un support pourtant pas fait pour.
Reste la jouabilité. Séduisant à priori, le système de combos se révèle très approximatif, du fait de la lenteur des personnages justement, et des gros problèmes de gestion des collisions également. Si bien qu’au final Clay Fighter 63 1/3 se montre à peu près aussi amusant que la version Megadrive de Virtua Fighter.
La difficulté face au CPU est rapidement importante, même en mode cookie, mais la durée de vie n’est pas exceptionnelle, du fait du faible nombre de personnages disponibles. Mieux vaut alors se tourner vers la version Sculptor’s Cut, qui propose quatre personnages de plus (mais qui enlève le système des combos par contre, le jeu ayant été rééquilibré).
C’est donc la fin d’une licence qui aurait pu non pas rivaliser avec les plus grands, mais se creuser sa petite niche, celle du beat humoristique. Hélas, et on l’a vu aussi avec des séries comme les Brutal Paws, l’humour a tendance à prendre le pas sur le plaisir de jeu, et dans ce cas-là la sanction est irrémédiable. Un bon beat c’est comme une bombasse, si on peut pas jouer avec ça sert à rien de nous faire baver.