Bonjour monsieur Acclaim. Je suis stagiaire chez Rare, c’est moi qui apporte le café. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
Il me faudrait un jeu qui remporte suffisamment de succès pour que je puisse gagner des brouzoufs en franchisant le titre.
Très bien. Des idées sur la manière dont vous voyez votre jeu ?
Non non, je vous laisse faire comme vous le sentez.
C’est noté monsieur. Repassez dans huit jours, nous aurons un joli concept à vous proposer.
EST-CE QUE LES FLAMANTS ONT LE KUROS ? (je suis déjà dehors)
Il était une fois, chez Rare, un jeune stagiaire qui avait reçu une commande de la part d’Acclaim et qui, bien décidé à grimper les échelons, développa son jeu dans son coin sans en parler aux vrais développeurs. Je ne sais pas si l’histoire est vraie, mais j’espère qu’elle l’est, sans quoi Rare était vraiment bidon à l’époque.
Notre stagiaire, appelons-le Georges pour plus de simplicité, commença à coucher, non pas avec la patronne, mais ses idées sur le papier. Tout d’abord, il avait décidé que son jeu prendrait pour cadre un univers medfan. Il avait lu le Seigneur des Anneaux comme tout le monde, mais il n’avait pas compris toutes les subtilités et préférait les Livres dont vous êtes le Héros. Alors son univers à lui serait héroïque-fantaisiste, mais pas trop.
Son héros s’appellerait Kuros, parce qu’à Wallis-et-Futuna ça signifie Celui-qui-Trompe-la-Mort-et-s-en-sort-avec-une-simple-chtouille dans le patois local. Et puis il serait chevalier, parce que le gentil est toujours chevalier. Ou roi, mais c’est trop facile.
Et puis il combattrait un sorcier qui s’appelle Malkil (Verrue-atrophiée-sur-la-Fesse-droite-d-une-Belette) et qui a enlevé des princesses et les a enfermées. Et il faudra les sauver, et ça sera super cool parce qu’elles nous récompenseront en nous parlant en vieil Anglois. Parce qu’il faut du vieil Anglois pour faire moyen-âgeux.
Ouais, son jeu allait faire de Georges une super-star dans le monde du jeu vidéo, il était visionnaire Georges…
DES GARS QUI SE MALKIL, ÇA FAIT RIRE LES PASSANTS (oui, j’attends toujours dehors)
Et puis Georges a commencé à réfléchir au gameplay de son jeu. Wizards & Warriors sera un jeu d’aventure ou ne sera pas. Il faudrait rien moins que huit niveaux, et un petit boss des familles pour conclure chacun, histoire de pas trop bousculer les conventions.
Là encore, Georges fit preuve d’une imagination débordante, puisque les niveaux en question, ce seraient des forêts, des châteaux et des cavernes peuplés d’araignées, chauves-souris et autres bestioles diablement surnaturelles.
Georges avait deux boutons à sa disposition pour constituer le gameplay de son jeu, alors il décida que le bouton A servirait à sauter et le B à donner des coups d’épée. Personne n’y avait pensé avant lui, ça leur clouerait le bec, chez Acclaim. Et histoire d’en rajouter, il décida que la touche Select permettrait d’accéder aux objets spéciaux précédemment récoltés.
En effet, il mûrissait depuis longtemps l’idée révolutionnaire de planquer, dans des coffres éparpillés çà et là, quelques objets spéciaux qui favoriseraient le joueur s’il les récupérait, mais qu’on ne pourrait transporter qu’un par un. Parmi d’autres bien moins utiles, il fut décidé en haut lieu que vous obtiendriez les bottes de force qui permettent d’ouvrir un coffre sans avoir de clef, la conque qui fait apparaitre les portes secrètes, la baguette de puissance qui balance des projectiles magiques…
Il existerait également d’autres objets qui resteraient tout le temps dans l’inventaire : la dague puis la hache remplacent votre arme de base, et peuvent être projetées plus ou moins loin selon le temps que vous maintenez B appuyé, le bouclier renvoie certains projectiles, la potion et la plume permettront de planer et de voler, respectivement.
En plus de tout cela Georges, souhaitant blinder son jeu d’items histoire de bien faire chier le joueur qui ne s’y retrouverait certainement pas dans tout ce merdier, Georges donc, rajouta quelques objets one-shot, consommables sur place et pas à emporter : les clefs qui disparaissent une fois un coffre ouvert, diverses potions (pour courir, sauter plus haut ou devenir invincible), des améliorations de portée pour vos armes de jet, des pièces et des trésors qui ne font que rapporter des points, de la viande pour se soigner ou encore des sphères qui, selon la couleur, paralysent ou détruisent tout ennemi présent à l’écran.
Et des gemmes. Des tonnes de milliers de gemmes éparpillées partout, cachées dans des coffres ou dans des conques volantes, ou dans des salles secrètes… Des gemmes à chier parmi, et pourtant des gemmes bigrement utiles puisque pour progresser dans chaque niveau, il faudra graisser la patte à un chevalier à la fois vénal et invincible qui vous suit de stage en stage.
WIZARDS ET WARRIORS SONT SUR UN BATEAU (…)
Et puis Georges a commencé à coder son jeu. Et là, c’est le drame. Encore un jeu moche, je veux bien. On est en 1987 après tout, sur une bécane un peu arthritique, on peut pardonner des pixels mal dégrossis et des couleurs pétaradantes. Allez, en étant chouette on peut même pardonner les animations molles, les clignotements et la bande-son réalisée à la truelle.
Mais on ne peut passer sur des problèmes de jouabilité. C’est quand même un peu le but, dans un jeu, de pouvoir jouer il me semble. Et de côté-là, Wizards & Warriors se défend assez mal. Les sauts démesurés et les problèmes de portée des coups sont vraiment gênants, il faut un long moment pour s’y habituer et le jeu ne nous en laisse pas le temps, nous noyant au moindre pas sous une nuée d’ennemis faiblards mais rapides.
Pour autant, le jeu est assez long mais n’est pas excessivement difficile (voire même, il est assez facile) car Georges a décidé que les continues seraient infinis, et que l’on recommencerait pile poil à l’endroit où l’on est mort, avec simplement un reboot du score.
Depuis, Georges est devenu le héros national chez Acclaim, puisque la boîte a quand même réussi à tirer quatre jeux de cette franchise en carton-pâte. Bon après, Acclaim est mort, c’est vrai. Mais eh, c’est pas la faute à Georges, alors je n’ai qu’une chose à dire : beau boulot, Georges.