Shining Force est probablement la série de jeux de rôle la plus acclamée de la Megadrive. Et elle le mérite amplement, tant ces wargames simplifiés et matinés d’éléments de RPG s’avèrent délicieusement passionnants à l’usage. Pour ce premier opus sur la 16-bits de Sega, Shining Force offrait déjà toutes les potentialités de base qui seraient affinées dans les épisodes suivants, et un scénario bien heroic-fantasy comme on les aime. Les habitants de la cité de Guardiana sont les gardiens involontaires d’un mystérieux sceau, dernière trace d’une lutte millénaire entre les forces du bien et celles du mal, personnifiées par le cruel Dragon noir. Et voilà qu’un beau jour, un messager apporte la nouvelle que les troupes du lointain royaume de Runefaust ambitionnent de briser le sceau et de lâcher cette terrible menace sur les royaumes.
Votre personnage, que vous pouvez appeler Dragor-le-Rouge ou même Raymond si ça vous chante, est l’unique espoir de Guardiana, un jeune prodige de l’épée entraîné jour et nuit par Varios. Chargé par le roi de Guardiana et le général Varios de repousser un détachement de Runefaust qui s’approche dangereusement d’un temple des Anciens situé non loin de là, celui que nous nommerons désormais Raymond s’éloigne malencontreusement de la cité, permettant ainsi au gros de l’armée adverse de capturer la ville et d’occire le souverain et votre maître Varios. Ces derniers vous confient dans leur dernier souffle la tâche d’empêcher le royaume félon de briser le sceau des anciens. Voilà donc Raymond et ses quelques alliés de fortune partis sur les chemins des royaumes, conscients d’être les seuls espoirs de l’humanité en péril (en cet instant dramatique, quelques violons ne seraient pas de refus, merci ). Un scénario somme toute très classique, mais qui fournira quelques rebondissements sympathiques à même de donner une certaine profondeur à l’univers de Shining Force.
Grossièrement, on pourrait dire que l’action de Shining Force se résume à voyager de villes en villes, en menant d’épiques batailles entre chacune d’entre elles. Dans les villes, le cheminement est ultra classique pour tout rôliste amateur. On se promène en tapant le bout de gras avec tous les badauds pour obtenir des indices pour la suite, on rend une petite visite de courtoisie au palais royal, on dépense ses piécettes chèrement acquises dans de l’équipement de pointe, et on en profite pour se débarrasser des armes devenues obsolètes. On n’oublie pas non plus d’accorder une petite visite au curé local qui peut au choix, guérir vos combattants d’un empoisonnement ou d’une malédiction, ressusciter ceux qui sont tombés au champ d’honneur, mais aussi accorder une promotion à vos combattants. Ces promotion sont accessibles à partir du niveau 10, mais il est plus prudent de gagner quelques niveaux supplémentaires. Il s’agit de ce qu’on pourrait appeler grossièrement un « changement de classe ». Ainsi, votre personnage principal passera d’épéiste à héros. Les guerriers deviendront des gladiateurs ; les chevaliers, des paladins ou les prêtres, des vicaires. Ces promotions ont l’inconvénient de faire légèrement baisser les caractéristiques de vos personnages mais, en contrepartie, donnent accès à des sorts et de l’équipement autrement inutilisables. Une fois les affaires urbaines expédiées, on sort de la ville et on se retrouve généralement face à une horde de créatures variées qui vous attendent sur le chemin menant à la cité suivante, ou qui défendent cette même cité. Vous l’aurez deviné, on ne pourra franchir l’obstacle qu’en battant à plates coutures l’armée adverse (ou pour accélérer les choses, en liquidant le commandant adverse, évidemment placé en sécurité à l’arrière la plupart du temps).
Les batailles de Shining Force fonctionnent suivant un système de tours. La zone de combat est divisée en carrés de déplacement (qui restent invisibles ; on ne les aperçoit que lorsqu’on déplace un des personnages). A chaque tour, vous déplacez et éventuellement, faites attaquer vos personnages, et l’armée adverse fait de même. Bien que les batailles soient dans l’ensemble relativement simples à mener, de nombreux paramètres sont à prendre en compte lors de la préparation de l’offensive : les capacités de déplacement de vos personnages, leurs points de vie, leurs capacités d’attaque et de défense, le type de terrain et les mêmes éléments sont également à considérer pour chacun de vos adversaires. Par exemple, il serait totalement inconscient de placer vos archers ou vos mages au premier plan, d’autant plus qu’ils peuvent attaquer à plusieurs cases d’intervalle. Vos guérisseurs ne doivent pas non plus être trop exposés, mais ils doivent en même temps ne pas trapiner à l’arrière, de manière à pouvoir intervenir rapidement pour soigner un allié amoché. Il faut également prendre garde à ce que les personnages les plus rapides ne se partent pas trop en avant de la « ligne de front ». Même les plus puissants d’entre eux risqueraient de tomber face à plusieurs adversaires simultanément, surtout si les renforts mettent du temps à arriver. Chaque assaut réussi vous octroie un certain nombre de points d’expérience ainsi que des pièces d’or. Le personnage portant le coup de grâce à un adversaire touche bien entendu le jackpot. On pourra néanmoins regretter que, dans un souci de ne pas déséquilibrer le niveau des personnages de la petite compagnie, les ennemis les plus puissants ne rapportent pas nécessairement plus de points d’expérience que leurs subalternes.
Raymond n’est évidemment pas seul à donner de sa personne sur les champs de bataille. Les autres personnages, vos futurs alliés, sont de bien sympathiques créatures, bien qu’il n’y ait pratiquement aucune interactivité entre eux et le bon déroulement du scénario. Dès le départ, Raymond se voit flanqué de ses meilleurs potes, bien décidés à ne pas le laisser aller s’amuser seul au milieu des soldats ennemis agonisants : Luke le guerrier, Tao la magicienne, Hans l’archer elfe, Ken le chevalier-centaure et Lowe le guérisseur. Au cours des multiples aventures de la petite troupe, on rencontrera d’autres combattants de ces différentes catégories. Bien qu’ils possèdent tous des caractéristiques bien précises (capacités d’attaque, de défense, points de vie, déplacement), qu’il est utile d’examiner en fonction de vos préférences martiales, on a généralement tendance à fonctionner au coup de cur et à l’appréciation subjective. Personnellement, malgré tout son talent, je n’ai jamais su encadrer la vilaine petite tête de fouine de la guérisseuse Krys, tandis que le chevalier Earnest, avec sa tête de guerrier solitaire balafré, est réquisitionné sans coup férir à chaque partie.
A noter que tous ces alliés ne sont pas d’égale valeur, et que certains d’entre eux se révèlent être beaucoup plus redoutables à terme que d’autres. Le jeu pousse même le vice jusqu’à gratifier certains personnages d’un rythme d’évolution très lent au début, mais très rapide après la promotion. Certains alliés de choix ne se mériteront donc qu’après les avoir traîné durant de longues et pénibles batailles, et après les avoir fait revivre à chaque fois, puisqu’ils sont incapables au départ de se prendre plus de quelques coups sans passer l’arme à gauche.
Vous pourrez vous faire accompagner de 11 alliés maximum pour chaque bataille. Une fois en sécurité dans une ville, vous pouvez également renvoyer à votre quartier général ceux dont vous souhaitez vous débarrasser, et les remplacer par d’autres alliés parmi ceux qui étaient restés à se reposer.
Cependant, les alliés ne gagnent pas de points d’expérience pendant qu’ils restent au quartier général et sont donc forcément dévalorisés par rapport à ceux qui vous accompagnent lors de chaque échauffourée. Il suffit donc qu’un allié reste absent pendant trois ou quatre batailles pour qu’il perde rapidement de son utilité, vu le fossé entre ses capacités et celles de vos adversaires à ce moment.
Hormis ces équipiers relativement « classiques », Shining Force propose également quelques mercenaires plus exotiques : Balbaroy et Amon les deux hommes-faucons ; Kokichi, un vieux barbouze en jet-pack ; Guntz, une espèce de tatou cuirassé bourré de tuyaux crachant de la vapeur; Gong, un moine-soldat ; Hanzou le ninja ; Musashi le samouraï ; Zylo le loup-garou ; Bleu le bébé dragon et Adam le robot. Le jeu propose même deux recrues encore plus déjantées, de véritables gags ambulants en réalité. Le premier, Domingo, est une bébête poilue avec des tentacules et un chapeau de schtroumpf. Il éclot en cours de partie si vous avez pris soin de récupérer son uf à Manarina. Une fois bien boostée, cette curieuse bestiole se révèle un mage relativement compétent. Mais c’est surtout le second qui prête à rire. Yogurt est en effet un petit hamster casqué, très difficile à dénicher qui plus est. Cet animal inutile possède un point de vie et n’inflige sempiternellement qu’un unique point de dégâts. Même au cas où vous le laisseriez achever vos adversaires pour toucher le jackpot en XP, il semble peu probable que vous ayez la patience de l’élever jusqu’au niveau 10. Yogurt, en cas de victoire, reçoit néanmoins un « Yogurt ring », un précieux artefact qui possède le pouvoir de transformer tous les membres de votre groupe en Yogurts ! Extrêmement utile comme vous pouvez le constater. Si certains d’entre eux vous rejoignent de toute façon à un moment bien précis du scénario, d’autres (comme Musashi et Yogurt) seront plus difficiles à dénicher, et il faudra prendre le temps de bien explorer chaque ville afin d’être sûr d’y avoir recruté tout le monde.
Réalisation technique :
Les graphismes sont mignons. C’est le terme qui leur convient le mieux car, sans être excessivement beaux, ils collent parfaitement au jeu. Les séquences de combats, lorsqu’un de vos personnages affronte un adversaire, sont en revanche très réussies, mais on aurait aimé avoir la possibilité de les zapper. Une fois qu’on les connaît par cur, elles cassent un peu le rythme du jeu. Les musiques sont sympathiques mais, peu nombreuses et revenant sans cesse à chaque bataille, on finit rapidement par couper le son, d’autant que les bruitages sont assez limités. En résumé, la réalisation globale de Shining Force est sympathique sans jamais surprendre ou émerveiller. Vous l’aurez compris, ce n’est pas là que réside l’intérêt de ce programme. En ce qui concerne la prise en main du jeu, elle est assez instinctive, et on ne met pas deux heures à s’y retrouver dans les menus de combat et d’interaction avec les autres personnages. On regrettera néanmoins que le système d’achat/vente dans les magasins, et surtout le transfert d’items d’un personnage à l’autre, ne soit pas plus souple. Si l’inventaire d’un personnage est déjà rempli, il faudra quitter le menu en cours, rouvrir le menu « donner » et transférer l’item superflu à un autre personnage avant que le premier ne puisse recevoir un autre item. Un peu lourd… mais heureusement, ce cas de figure ne se produit pas si souvent que ça…
En bref : 19/20 :
Shining Force est tout simplement passionnant, sans doute même l’un des jeux les plus passionnants qui soient sur la Megadrive. La variété des ennemis et des alliés envisageables, le scénario et la réalisation sympathique, le principe des promotions, l’excellence de la partie wargame et l’atmosphère RPG à même de satisfaire tout rôliste qui se respecte tout concourt pour faire de Shining Force un jeu auquel on accroche instantanément et qu’on ne lâche pas avant d’avoir définitivement mis une raclée à ce faquin de Dark Sol (qu’on avait déjà pu apercevoir dans Shining in the Darkness, la « fausse » prequel de Shining Force). En parlant de la durée de vie justement, et bien qu’il soit relativement long, Shining Force n’en reste pas moins un jeu vidéo relativement simple à dompter, et rares sont les batailles qui poseront de sérieuses difficultés. Si vous avez pris la peine de vous livrer à quelques batailles rangées juste pour gagner de l’expérience, et d’utiliser le sort Egress pour revenir vers le dernier point de sauvegarde sans remporter la victoire, la progression sera encore plus simple. Mais de toute façon, le principe propre de Shining Force fait que l’on y revient très souvent. Pas nécessairement pour mettre la main sur les rares objets qui auraient pu échapper à votre vigilance (la bonne marche de la mission ne repose pas vraiment sur la recherche d’objets spéciaux), mais tout simplement pour retenter l’aventure avec une autre combinaison d’alliés. Vu que l’on pige rapidement quels sont les grosbills susceptibles d’accélérer le cours des batailles, tenter de terminer le jeu avec des personnages aussi faiblards que Bleu, Gong ou Arthur tient de la gageure. Pour ma part, je dois l’avoir terminé une bonne dizaine de fois avec l’émulation, sans compter les parties avortées en raison d’une perte de données ! Est-il possible de faire mieux sur Megadrive ? Oui, et ça s’appelle Shining Force II !