Dans un futur pas si lointain que ça , la ville high tech de Neo-Kobe est le théâtre de crimes mystérieux perpétrés par des cyborgs connus sous le nom de Snatcher et ayant pour particularité de prendre les traits de leurs victimes.
Vous incarnez Gillian Seed, un jeune détective d’un groupe spécialisé dans la traque des snatchers ,les « junkers ». Votre mission , enquêter (avec votre petit droïde nommé « Metal Gear ») sur la mort de l’un de vos collègues, découvrir les plans des snatchers et aussi lever le voile sur votre mystérieux passé étrangement lié aux snatchers (évidement… un des points noirs d’un scénar sans cela plutôt cool).
KEZAKOJIMA ? (pardon):
Ceux d’entre vous qui s’intéressent un peu au grand bonhomme qu’est Hideo Kojima ont sans doute déjà jeté un oeil aux jeux qu’il possède à son actif. Mais outre les Metal Gear sur NES et MSX et en mettant de côté les petites expériences tel que Boktai, Kojima est responsable de ce jeu véritablement CULTISSIME sur Sega CD et qui a fait l’objet d’une fausse préquelle tout aussi culte au Japon sur PSX, « Policenauts ».
Snatcher n’a pas eu le succès qu’il méritait du simple fait qu’il ait eu le malheur de ne faire d’apparition en anglais que sur le support un peu « flopesque » que constitue le Mega CD. De nombreuses versions japonaises ont cependant vu le jour sur de nombreux supports dont la PSX et la SATURN qui auraient été à même de lui accorder la gloire qu’il méritait largement… mais bon , le monde est mal fait faut croire.
Mais donc , qu’y a t’il d’aussi génial avec Snatcher ?
On est ici face a un jeu d’enquête dans un monde cyberpunk tout droit sorti d’un croisement étonnant entre des références cinématographiques telles que Blade Runner, Terminator, Akira et même Dune (pour ce qui est du design de Random , l’un des persos principaux du jeu).
Constitué d’écrans fixes, de dialogues superbement menés, de scènes d’investigations exploitant une interface de textes et de séquences de shoot, le jeu pourrait paraître a priori assez moyennement séduisant. On pense à tous ces ancêtres du point & click ayant trouvé de bons représentant dans des jeux comme « Shadowgate » et « Déjà vu »… mais pourtant Snatcher n’a rien a voir avec ces titres basés sur la collecte d’items… et même si je les apprécie, le degré d’immersion proposé par Snatcher les enterre avec aisance rien que grâce au fait qu’il joue pour sa part sur les interrogatoires, déductions logiques, découvertes d’indices etc… pour faire avancer son intrigue, plutôt que sur du puzzle constitué d’items trouvés de-ci de-là et finalement sans queue ni tête.
Immersion totale :
Il y a quelque chose de vraiment fascinant dans le point auquel Snatcher parvient à faire vivre son univers et à vous y absorber, on se sent impliqué jusqu’à la moelle à tel point que le stress s’installe parfois de façon assez grave rien que quand une musique de suspense s’enclenche, vous faisant comprendre que des snatchers rôdent sans doute à proximité.
Les premiers instants de jeu (figurant pourtant parmi les plus laborieux) transpirent déjà d’une aura quasi hypnotique et peu de jeux peuvent y prétendre dans l’histoire des jeux vidéos.
Car oui, contre toute attente, en exploitant une recette finalement très contraignante (jeu à images fixes) et qui le condamne bien souvent à suivre une structure narrative sans trop de débordements ludiques, Snatcher dégouline littéralement d’une multitude de détails et de dialogues savoureux et intelligents, de possibilités d’interactions rares dans le domaine du jeu vidéo (entre autre la possibilité poilante de draguer toutes les nanas rencontrées) et d’une maturité thématique qui sait aussi se prendre avec humour et qui n’a rien a envier à des titres comme les METAL GEAR SOLID.
On trouve également de nombreux mécanismes chers à Hideo et qui rendent le jeu encore plus immersif et amusant, comme par exemple le système de « videophone », très proche du « codec » que Kojima utilise de façon systématique dans ses jeux. On éprouve un sentiment de liberté fascinant à pouvoir ainsi, entre deux investigations dangereuses, appeler son ex-femme pour lui demander de ses nouvelles… ou appeler le téléphone rose (hahaha oui pourquoi pas, après tout c’est une des possibilités offertes) ou encore bien d’autres numéros disséminés dans le jeu.
Comme dans un film:
C’est aussi le soin apporté à des points comme la mise en scène cinématographique (il suffit de voir l’intro), aux musiques d’ambiance et de suspense incroyablement prenantes, aux personnages profondément développés (comme à l’accoutumée chez Hideo Kojima), aux dialogues, aux voix digitalisées (j’y reviendrai) et au rythme du scénario (on ne s’ennuie pas une seule seconde) que l’on doit une telle qualité presque digne d’un sans faute et qui font de ce titre quelque chose d’unique et de bien plus profond qu’un « point & click » ou jeu à texte classique.
Les voix digitalisées réalisées pour le jeu sont à elles seules la preuve de la rigueur et du soin d’orfèvre qui a été utilisé pour réaliser ce bijou ludique. Elégantes et bien foutues elles n’ont rien à envier aux plus subtiles des voix digitalisées actuelles, du vrai jeu de vrais acteurs qui prennent leur taf au sérieux. C’est encore rare aujourd’hui alors imaginez donc en 94.
Petits bémols:
Je ne donne pas la note maximale à ce jeu qui a su m’absorber par son ambiance et sa quasi perfection étonnante, tout simplement parce qu’une série de petits défauts regrettables lui font manquer de peu d’être digne du Saint Graal.
Tout d’abord, quelques véritables fautes de goût se nichent dans le scénario et lui donnent un aspect un peu surfait, l’amnésie du héros et les implications qu’on lui découvre plus tard en sont un exemple cruel… pourquoi ne s’agit il pas simplement d’un détective plongé dans une affaire compliquée… on évite de peu le « je suis ton père » en fin de course… heureusement… mais on aurait quand même pu se passer de ce qui le remplace (même si de nombreuses choses dans la fin rattrapent cette implication facultative du personnage principal).
Certaines phases d’investigations sont tellement mises en scène qu’elle condamnent le joueur à effectuer à tout prix certaines actions dans un ordre précis, il n’y a pratiquement jamais de fins alternatives aux séquences proposées et si vous devez à tout prix trouver quelque chose quelque part, le jeu vous interdira de repartir bredouille.
On comprend aisément que cela aurait demandé un travail bien plus grand de scénario à multiples embranchements et que finalement ça n’aurait peut être que rendu le jeu plus fouillis, mais tout de même, on se sent parfois un peu coincé sur un rail et c’est d’autant plus dommage que certaines libertés (de l’ordre du détail… mais des détails si nombreux) à d’autres moments sont impressionnantes.
On regrettera aussi que les phases de shoot soient un peu brouillonnes et négligées et que la liberté de mouvement entre les lieux à examiner soit parfois un peu circonscrite, puis qu’il faille de temps à autres répéter certaines actions 5 ou 6 fois avant que le héros ne trouve des indices évidents.
Il vaut mieux être prévenu de tout ceci avant de s’y lancer, les sites consacrés à ce jeu oublient souvent de préciser les ombres indéniables qui se trouvent sur ce certes SUPERBE , que dis-je GRANDIOSE tableau.
Conclusion:
Snatcher est une expérience unique à mi-chemin entre un film interactif et un bon scénar de jeu de rôle. Si vous savez apprécier un scénar riche, intelligent et bien écrit, vous saurez sans doute vous laisser aspirer dans cette dizaine d’heures d’aventure d’un jeu à classer au panthéon des oeuvres les plus passionnantes de l’histoire du jeu vidéo.
Si les menu défauts relevés vous inquiètent et que vous êtes incapable de vous laisser bouffer par un scénar, qu’il vous faut de la fight et des tripes, ce jeu n’est pas pour vous (ce n’est pas une critique, d’ailleurs allez jeter un oeil du côté de Splatterhouse si vous êtes de ce genre… conseil d’ami).
Un jeu à essayer d’urgence pour tous les fans d’aventure, de cinéma, d’histoire du jeu vidéo et surtout pour tous les admirateurs du grand Hideo qu’ils seront ravis de retrouver en si grande forme.