Nous l’avons déjà constaté par le passé, réaliser un jeu pour enfants est un exercice bien souvent périlleux, et rares sont les sociétés à s’en être tirées avec les honneurs. Pour commencer, il faut en général un héros fédérateur. Ce n’est pas vraiment le cas ici, puisque la série de livres pour enfants créée par Jan et Stan Berenstain dans les années 60 n’a pas rencontré la renommée mondiale, pas plus que la série animée des années 80 qui en a été adaptée. Bref, les Berenstain Bears, c’est pas Winnie l’Ourson ni Super Baloo.
SCOUT TOUJOURS
La famille Berenstain est partie faire du camping au beau milieu d’un parc naturel, comme n’importe quelle famille américaine des années 60 vivant la majeure partie de son temps dans une immense mégalopole, sauf que là, c’est une famille d’ours. Pendant que Maman Ours prépare le repas et que Papa Ours monte la tente (ah le salaud, alors que sa femme et ses gosses sont juste à côté !), Frère Ours et Sœur Ours décident d’explorer les environs, non sans avoir, comme deux chiards bien élevés, demandé la permission à leur géniteurs.
LA PELLE DE LA NATURE
The Berenstain Bears’ Camping Adventure est un jeu de plates-formes certes, mais un jeu de plates-formes RÉ-VO-LU-TIO-NNAI-RE ! Oh que si ! Déjà, pour commencer, il vous permet de jouer non pas avec un, mais bien avec deux personnages différents ! Rendez-vous compte : vous pouvez choisir d’incarner Frère Ours ou Sœur Ours, c’est génial non ? Et ça ne s’arrête pas là ! Une fois l’aventure commencée, vous pourrez encore sélectionner PAR VOUS-MÊME l’ordre dans lequel vous souhaitez traverser les trois niveaux du jeu ! Chacun de ces stages est qui plus est constitué de rien moins que trois sections différentes, et même, tenez-vous bien, d’une quatrième zone où vous affrontez… un boss ! Brrr… Ça fait peur, écrit comme ça. Et parce que, décidément, les développeurs ne nous laissent pas souffler une minute sous ce déluge d’innovations, figurez-vous, je vous le donne en mille, qu’une fois les trois mondes traversés, vous en débloquez un quatrième ! Avec ses trois sections et son boss à lui, entièrement différents des précédents !
C’est pas foufou, ça ? À vous l’aventure mystérieuse et palpitante dans les sombres recoins d’une caverne peuplée de chauves-souris, de limaces et de fouines… La partie de pêche mouvementée et tellement amusante dans des torrents envahis de crocodiles, de moustiques et de champignons… La passionnante et remuante collecte de miel au cœur de la forêt habitée d’abeilles, d’écureuils et de pinsons… Ou, enfin, la terrifiante mais délirante traversée de la forêt hantée où vous croiserez porcs-épics (et collegram), rats et, bien sûr, fantômes !!!
Pour vous dépêtrer de cet invraisemblable imbroglio, vous ne pourrez compter que sur votre courage, vos réflexes, vos talents de joueurs et sur la panoplie gargantuesque d’actions réalisables : vous pouvez sauter et donner des coups de c… Pardon, rebondir sur votre magistral postérieur, écrasant au passage les adversaires de tout le poids de votre puissante carrure de plantigrade !
Vous pourrez même, on n’arrête décidément pas le progrès, collecter des projectiles ou utiliser un filet à papillon pour attaquer les adversaires sans risque ! Vous aurez également l’occasion de restaurer une partie de votre jauge de santé en dévorant goulument les fruits éparpillés sur votre chemin. Et vous trouverez, à condition que vous ouvriez bien votre petit œil de lynx exercé, des trésors à n’en plus finir : des joyaux d’un brillant incomparable, des poissons plus frais qu’à Rungis, du miel directement à la ruche… Un vrai butin de roi pour l’animal roi de la forêt !
POST COITUM, ANIMAL TRISTE
Si le discours de commercial ci-dessus a réussi à vous convaincre de tenter l’aventure (la PA-SSIO-NAN-TE aventure), je me dois tout de même d’émettre un léger bémol, ne serait-ce que pour éviter toute attaque pour mise en danger de la vie d’autrui ou non-assistance à personne en danger (ou abus de faiblesse, mais je ne voudrais pas vous insulter, je vous déteste bien trop pour ça).
The Berenstain Bears’ Camping Adventure est un jeu de plates-formes plan-plan, sans mauvais jeu de mots, et dénué de tout charisme. Les graphismes sont bien peu séduisants, aussi peu que ne l’étaient les dessins de la série télé, les couleurs sont ternes, les animations d’une rigidité presque cadavérique et le seul thème musical du jeu ne peut être considéré autrement que comme un sacerdoce pour tout mélomane qui se respecte (et même pour ceux qui ne se respectent pas). L’ensemble ressemblerait presque au plus mauvais des cartoons d’Hanna-Barbera, que je considère pour ma part comme la pire usine à dessins animés américains, loin derrière Disney, Tex Avery et les frères Warner.
Parallèlement à cela, la jouabilité est un peu poussive, mais bien peu de monde s’en plaindra, parce que la difficulté est aux abonnés absents. Avec douze pauvres niveaux, la durée de vie est également famélique, et si l’on rajoute à cela la réalisation médiocre, nous voilà devant un petit jeu pathétique mais presque.
C’est généralement à ce moment-là que les avocats du développeur débarquent, plaidant les circonstances atténuantes, arguant de la bonne volonté du studio et se retranchant derrière l’argument-massue : « Oui mais tu comprends, c’est un jeu pour les petits. » Oui mais je m’en secoue les jumelles, parce qu’il n’y a pas de raisons pour qu’invariablement ou presque, les jeux pour les plus jeunes soient toujours bancals, mal fichus, mal pensés, sans challenge, sans valeurs…