Introduction
Existe-il une recette pour fabriquer de bons jeux ? Qu’est-ce qui rend un jeu attrayant et passionnant ? Son graphisme fin et détaillé tout en 3D ? Sa superbe bande-son ? Son univers insondable ? Dans cette approche philosophique, nous pourrions peut-être alors oser la comparaison avec l’art culinaire.
Il y a, d’un côté, le petit artisan qui vous mijote un plat du jour simple mais composé d’ingrédients de choix, travaillé avec passion et amour. De l’autre côté, un industriel. Disons, par exemple, une pièce montée sophistiquée, reluisant comme une boule disco grâce à l’apport excessif d’une gelée protéinique, apprécié pour son coût très bas et pour sa matière première revalorisable à l’infini.
Évidemment, posé comme cela, tout le monde pioche volontiers dans la soupe du petit artisan. Mais non, ce serait trop facile ! C’est oublier que l’apparence passe avant tout les autres critères.
Et puis on n’attire pas le « geek » avec des gros pixels…
Le héros, c’est moi
Pas de quoi casser trois patte à un canard. C’est un jeu d’aventure à la « heroic fantasy » (rien de plus banale) avec une jouabilité digne d’une époque révolue, une interface réduite à un simple parchemin omniprésent et ne contenant que du texte. Pour terminer, il tient sur une seule disquette et il a été programmé par un amateur !!! Oui, de telles conditions ne peuvent rien laisser présager de bon.
Prenant mon courage à deux souris, je lance le programme et ferme les yeux en redoutant le pire.
L’intro du jeu se lance, mais l’aversion et les préjugés font place à de la curiosité. J’incarne un héros (quelle surprise !) qui se trouve, d’une manière inexpliquée, entre la vie et la mort. Mais quelque chose me retient et me propose un marché : en échange d’un sursis, je dois combattre la source d’un mal qui défigure un pays inconnu. Je risque même d’être tué ! Voyons, voilà un choix rendu bien difficile : la mort ou… la mort ?
Généreuse proposition, n’est-ce pas ? Et la chose poursuit avec une mise en garde : « Attention, sache que tout ce qui va suivre est déjà écrit, seul la finalité dépend de vous ».
C’est parti, mon kiki
Oui, je le sais, d’autres auraient refusé. Mais c’est ce qui fait de moi ce que je suis, hum ? Bref, me voilà gonflé à bloc pour affronter géants, gobelins et dragons, armé de mon cure-dent collector (celui offert par la vache qui rit) et de quelques bières. Histoire de garder la tête froide.
Une étrange sensation m’envahit insidieusement; la réalité devient peu à peu comme confuse et incertaine. Je regarde mon écran d’ordinateur, je vois un parchemin. Je ne dirai pas que le graphisme est austère, puisque il même plutôt riche malgré sa simplicité. Je dirais même plus, ce jeu aurai pu être programmé pour être jouer sur une simple interface AmigaDOS, mais dans ce cas, cela aurai vraiment été austère. Donc les graphismes ne sont que du bonus. En arrière-plan, un motif composé du même sous-ensemble (style mosaïque du bureau Win… bah, Workbench disais-je !) m’indique le type d’environnement dans lequel je me trouve. Ce dernier est quelquefois animé, notamment à l’approche d’une rivière ou d’une mare peu avenante. J’entends le chant d’oiseaux inconnus qui s’échappe des enceintes…
À ce moment précis la réalité s’est complètement estompé. Je suis dans une forêt, entouré d’arbres plusieurs fois centenaires. Je m’avance avec prudence grâce aux indications du parchemin en ma possession : [F1] je longe la rivière, [F2] je grimpe la colline, [F3] je m’enfonce dans la forêt. Je choisis [F3]. Bah oui, apparemment la rivière est infestée de crocodiles et j’ai la flemme de me taper la grimpette. Et puis comme dit l’adage : l’herbe de l’autre côté de la colline n’est pas forcément meilleure à fumer… Enfin, quelque chose dans le genre !
Mauvaise pioche : je tombe tout à coup sur deux hideux gobelins. Je pense d’abord à m’enfuir, mais il n’y a plus d’écran, plus d’enceintes, plus d’ordinateur ! L’affrontement est inévitable ! Par chance, je parviens à en blesser un et à infliger un coup mortel à l’autre avant qu’ils n’aient eu le temps de réagir. Fantastique, ce cure-dent collector !
Ce moment de panique passé, la réalité refait surface et mes équipements informatiques réapparaissent peu à peu. Toujours avec le parchemin à l’écran, l’arrière-plan et quelques bruitages. En voilà un jeu qui est puissant : du haut de ses 8 couleurs (bon soyons honnête, 256 couleurs en réalité) et de sa 1D, il a suscité en moi quelque chose qu’aucun jeu vidéo avant lui n’était parvenu à réaliser.
Ah, cela porte un nom bien connu, comment c’est déjà… ?
L’Oracle a dit : « Le problème c’est le choix »
Oui je l’assume, je suis un fan inconditionnel de la trilogie Matrix. Je me souviens aussi de ce passage où l’Oracle dit à Néo : « Le problème c’est le choix ». Elle a raison !!! Car ce sont bien des choix qui vont déterminer si, en franchissant un obstacle, je vais retomber à cheval dessus. Et ce monde est traître, puisque certains de ces choix imposent un sacrifice. Dans mon cas : marcher en canard après être redescendu dudit obstacle.
Mais le choix ne se résume pas à déterminer une suite de directions ou de franchissements d’obstacles ; au cours de l’aventure, il va falloir assumer ses choix en face de certaines situations. Je me rappelle de ma première rencontre avec l’ordre des guerrières : j’ai essayé de leur expliquer le pourquoi de ma présence, mais apparemment elle ne m’ont pas pris au sérieux. J’aurais mieux fait de me faire passer pour un sourd-muet ! Elles m’ont tout de même donné quelques pièces d’or pour passer une nuit épouvantable dans l’auberge du village. Enfin, si l’on peut appeler village un tas de boue avec de la paille jetée dessus. En comparaison, le Moyen Âge semblerait luxueux aux habitants ! Enfin bref, j’ai été un peu maladroit sur ce coup, et cela m’en a coûté, sans pour autant m’être fatal.
Au fil de l’aventure, le choix permet de récupérer différents objets, placés dans l’inventaires et de les utiliser au moment propice. En fait je n’ai pas à m’occuper des objet directement, ce sont mes choix, toujours parmi ceux proposés sur la parchemin, qui décident si un objet entre ou sort de mon sac. Tenez, comme Dora l’exploratrice (c’est juste pour l’exemple, je ne suis pas fan, enfin pas trop) ! Certaines rencontres ne sont pas forcément hostiles, même le dragon est plutôt sympa, pour peu que l’on ne s’intéresse pas à son or et qu’il dorme profondément. Et puis il y a les personnages-clés, qui donnent de précieuses indications et même des objets, moyennant certains services. Pour le reste, on peut vraiment se promener où l’on veut. Reste à savoir si c’est le moment le plus judicieux pour franchir une zone dangereuse sans être équipé en conséquence…
Voyons maintenant cette carte. Ou plutôt une illustration que la magasine ADream a eu la bonne idée de publier avec le jeu. A priori, je vais donc devoir traverser 4 zones : le village, la forêt, la vallée interdite et enfin, le temple du mal. La forêt représente déjà un sacré morceau, elle est délimitée par une rivière avec un donjon à l’ouest, un massif montagneux au nord, un désert au sud et à l’est, elle devient impénétrable. Des pièges sont parsemés un peu partout et surtout, il va falloir terminer des mini-quêtes afin de pourvoir atteindre la vallée interdite sans bobo. Pour ça, il suffit de se déplacer, toujours en choisissant l’alternative la plus appropriée. Que feriez-vous si une meute de loups affamés était à vos trousses ? Grande question ! Dans ce cas précis, il y a soit la fuite, soit se défendre au risque de courroucer le gardien de la forêt, soit encore abandonner ses maigres réserves de nourriture… en espérant que les bestiaux ne s’intéressent pas au reste ! Mais comme il m’a été dit, tout est déjà écrit et le parchemin se dévoile au fil des pérégrinations. Le seul problème c’est le choix.
C’est trop bien, j’adoooooore…
Tout de même, pour un « p’tit jeu nul » il s’en sort plutôt bien. Un génie, ce programmeur, pour parvenir à donner vie à quelques pixels informes ! Au début, quand j’ai vu toute cette lecture, je ne vous cache pas que j’ai failli renoncer. Heureusement, le programmeur est aussi doué en français qu’en algorithmes. C’est fou, lire autant de trucs sans avoir mal à la tête, alors qu’avec ma prof de français…
Tiens, cela me rappelle justement à quel terme je pensais. Un truc simple mais puissant, semblable à celui éprouvé à la lecture d’un livre qui n’a pas une seule image par page et encore moins de bulles. Bref, je parlais de l’imagination. Oooooh ça alors, j’en ai donc moi aussi, c’est incroyable, ça existe !
Conclusion
Après quelques heures à tourner en rond, à cartographier chaque recoin de cette forêt et à ramasser divers objets insolites, me voilà dans une clairière avec, pile au milieu, un vieux tronc d’arbre creux. N’écoutant que ma curiosité, je m’y enfonce la tête la première. Je ne pouvais pas savoir qu’un ours y avait élu domicile. La douleur m’envahit de nouveau et, entre la vie et la mort, j’entends la voix du début qui me propose une deuxième chance. J’aurais volontiers accepté mais mon pote doit déjà m’attendre sur « World of No-life ». Mais je reviendrai, promis !
Revenant à la réalité, je découvre avec stupeur que la bière s’est renversée et est en train de couler sur la moquette. Bon, mon pote devra attendre. Si ma mère voit ça je vais mourir, et ça ne sera pas dans mon imagination !
Auteur : Olivier Thil
Requis : A500 ou plus
Bootable : OUI
Installable: OUI
Source : Jeu complet inclus dans la disquette de couverture du magasine ADream n°13